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2020, une année toujours plus compliquée pour les migrants

2020, une année toujours plus compliquée pour les migrants

Un migrant nous montre les vêtements que lui ont donnés les bénévoles ©Chloé Lavoisard

Dans le monde comme en France, chaque année est une nouvelle épreuve pour les 272 millions de migrants en quête d’un nouveau départ. Mais 2020 a été particulièrement rude : entre conditions de vie difficiles et contraintes sanitaires, les associations humanitaires alertent.

Le reconfinement du 29 octobre et le retour des attestations de déplacement ont creusé à nouveau les inégalités. Privés de matériel, les exilés n’ont pas de moyen de se procurer d’attestation, ni même parfois d’en connaître les caractéristiques. Selon Chloé, bénévole à l’Auberge des migrants, il s’agit d’un problème majeur : “À la Grande-Synthe, il y a eu des discriminations où les forces de l’ordre ont demandé des attestations de déplacement aux personnes [exilées], alors qu’elles n’ont pas d’imprimante, beaucoup n’ont pas de portable.” 

Le reconfinement comme prétexte

Une verbalisation dénoncée par l’association qui s’appuie sur la circulaire du 3 novembre. Celle-ci précise que “les personnes sans abri, compte tenu de leur situation matérielle, peuvent être amenées à se déplacer sans disposer d’une attestation spécifique. Les forces de l’ordre ont reçu la consigne du ministère de l’Intérieur de faire preuve de discernement afin que les personnes sans abri ne soient pas verbalisées à ce titre”.

Selon la même circulaire, chaque bénévole d’une association humanitaire doit préparer une attestation de déplacement professionnel qui précise la nature de la mission d’intérêt général. Mais le rôle des associations humanitaires est parfois sujet à controverses, comme l’explique François Guennoc, vice-président de l’Auberge des migrants : Le sous-préfet conteste le travail d’une de nos équipes [Human Rights Observers] dont un des boulots consiste à aller voir ce qui se passe lors des expulsions, pour surveiller le comportement de la police et voir quel matériel est enlevé. Il conteste que ce travail soit un travail d’urgence humanitaire. Nous, nous soutenons que si.” Pour les membres de l’association, l’observation des expulsions, le repérage des besoins et l’accès au droit font bel et bien partie de leur rôle.

“On est intimidés, on a peur de la peine de prison, on a peur des amendes.” – Chloé, coordinatrice pour Human Rights Observers

Selon Chloé, coordinatrice pour HRO, l’attestation entrave les actions menées. Les menaces de verbalisation planent sur l’association, à ce jour verbalisée à quatre reprises, changeant ainsi les habitudes des bénévoles. “On est intimidés, on a peur de la peine de prison, on a peur des amendes qui vont jusqu’à 4.000€ et du coup on change notre tactique. Par exemple, on restait dans la voiture, ce qui limite énormément notre observation, mais même dans la voiture on se fait verbaliser. Donc c’est un message clair : on ne veut pas de nous durant les expulsions pour invisibiliser les violences de l’État envers les exilés.

Pas de trêve pour les déboutés du droit d’asile

En hiver, les conditions climatiques mettent en danger la santé de ceux qui vivent dehors. Le froid, la pluie, la neige, sont autant de difficultés contre lesquelles les exilés tentent de se prémunir. Contre cette précarité d’hébergement, des centres d’accueil pour demandeurs d’asile (CADA) mettent à disposition un nombre limité de logements pour les plus fragiles.

Mais pour combien de temps ? En France, le 1er novembre marque le début de la trêve hivernale. En 2020, suite au premier confinement, elle s’est terminée le 10 juillet au lieu du 31 mars habituel, avant de reprendre le 1er novembre dernier. Durant cette période, impossible de déloger un locataire qui ne paie plus son loyer ou d’expulser une personne vulnérable de son logement. Pourtant, les déboutés du droit d’asile sont les exceptions à cette règle. Dans les CADA, une famille dont la demande d’asile a été refusée peut être expulsée du centre. Et ce, même en temps de trêve hivernale. Elle doit être remplacée par une autre famille dont la demande est en cours. 

Face à une réponse négative, l’exilé dispose d’un mois pour quitter l’hébergement, faute de quoi il sera considéré comme une “présence indue”. Selon la loi de 2015, son logement ne sera plus payé par l’État et le migrant devra verser la somme de 19,50 euros par jour. En 2018, seulement 36% des demandeurs d’asile avaient reçu une réponse favorable. En mars denier, des chambres de confinement ont été mises en place localement. Ouvertes tardivement, après 3 à 4 semaines de confinement, pour cette population qui n’est pas à risque selon le directeur de l’ARS, elles permettent de respecter la mise en quarantaine des exilés. Cependant, le nombre de places disponibles ne permet pas d’isoler tous les migrants : sur 800 migrants à Calais, seuls 300 peuvent être accueillis.

Un confinement qui n’offre aucun répit

Dès l’annonce du confinement en France le 17 mars dernier, les centres d’accueil de jour ont été contraints de fermer. D’ordinaire un lieu de partage, de rencontres, destiné à “se poser, s’asseoir”, mais surtout “avoir un peu de reconnaissance pour ces personnes exilées et faire à nouveau se sentir humains”, le Secours Catholique de Calais a été forcé de fermer ses portes. Jacky Verhaegen, salarié de l’association, raconte comment le confinement a accentué les inégalités.

Jacky Verhaegen
Jacky Verhaegen, salarié du Secours Catholique, dans les locaux de l’association à Calais. @ Elsa Yegavian / Pépère News

Le problème de la crise sanitaire c’est que ça va impacter encore plus fort les gens qui étaient déjà dans une grande précarité. Ils étaient confinés à un moment, dans la jungle, dans des camps de fortune. Ils pouvaient très peu se déplacer. On leur avait donné l’obligation de se déplacer avec des masques sauf que personne ne leur avait fourni de masques. Donc ça a été très très compliqué.” Derrière lui, des bénévoles de l’association préparent des kits sanitaires individuels comprenant masques et gels hydroalcooliques. Il seront distribués durant les prochaines actions de maraude.

Après le 11 mai et le déconfinement, le centre est resté clos. Avec une moyenne de 200 exilés par jour qui viennent y trouver refuge, l’accueil de jour ne pouvait pas certifier la mise en place des gestes barrières. Depuis, le centre a pu rouvrir ses portes et continue de travailler malgré le reconfinement.

Des tensions exacerbées par le cloisonnement

Dans la nuit du 8 au 9 septembre, un incendie s’est déclaré sur l’île grecque de Lesbos. Le camp de Moria n’a laissé que des cendres. Il abritait près de 13.000 exilés dans l’attente d’une réponse à leur demande d’asile. Plusieurs fois dénoncé par des ONG, le groupement de fortune offrait des conditions de vie insoutenables. Au mois d’août, après un confinement total de l’île de Lesbos, la ville de Mytilène a retrouvé sa vie d’avant. Ouverture des cafés, non-port du masque, à en observer ses rues le virus avait complètement disparu de la capitale. Pourtant, Moria restait cloisonnée. Soumis à un confinement arbitraire de plusieurs semaines, durant lesquelles les demandeurs d’asile ne pouvaient pas sortir, les tensions ont grimpé. L’incendie aurait été déclaré par un groupe d’exilés, en contestation aux mesures d’enfermement.

Suite à l’incendie, la maire de Lille, Martine Aubry (PS), a déclaré vouloir accueillir des migrants, en particulier des mineurs isolés. Durant son point presse de rentrée, elle avait insisté sur la cohésion, déjà initiée depuis quelques années par la mise à disposition temporaire de locaux. “Même s’il y a beaucoup de difficultés chez nous, Lille doit continuer à faire preuve de solidarité.”

Des difficultés, le groupe d’opposition Lille Verte en pointe du doigt. Revenant sur le campement de Roms privé d’eau au nord du Vieux-Lille, Stéphane Baly avait dénoncé, lors d’une conférence de presse le 29 septembre, une “partie de ping-pong entre la MEL et Martine Aubry.” Un avis partagé par le groupe Génération.s, huit mois après l’évacuation de migrants du parc Matisse. Stéphane Baly demande désormais à la maire “une action quotidienne, pas des subventions ponctuelles”. Pour Faustine Balmelle, membre du parti, un enjeu politique se dessine : “Pourquoi Aubry n’accueille plus de migrants ? C’est parce-qu’elle a peur de perdre des voix.”

Déjà fragilisés par la précarité de leurs moyens, les exilés sont d’autant plus impactés par la crise sanitaire et les confinements. 2020 aura été un cauchemar pour l’ensemble des migrants du monde. Mais en cette fin d’année, un espoir renaît. La discussion autour du règlement Dublin III pourrait changer la donne. Une modification du texte devrait redistribuer les cartes aux pays européens, vers un système d’accueil plus équitable et respectueux. Reste à savoir si les négociations mèneront à un accord.

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