5 visages du 5 décembre
Assistantes maternelles, parodistes de la société de consommation, artistes, pompiers, cheminots, infirmières et travailleurs agacés voire révoltés, nombre d’entre-eux ont décidé de ne pas aller travailler, ce jeudi 5 décembre, lors de la grève générale lancée par les syndicats.
Le Pépère News, intrigué par l’ampleur de la manifestation lilloise et par la diversité des acteurs et de leurs revendications, a décidé de se pencher plus en détails sur la personnalité, l’histoire et les motivations de cinq français pris au hasard dans la foule de manifestants.
Laurent, Sylvie, André, Ottilie et Margaux nous ont confié une partie de leur histoire et la manière dont ils font face aux mesures du gouvernement, à la société de consommation, à la misère humaine.
Certains prénoms ont été modifiés.
LAURENT
Membre de l’Église de la Très Sainte Consommation, présidée par le Pap’40 et dont le slogan est “Travaille, Obéis, Consomme“, Laurent a défilé ce jeudi avec une croix arborée de l’insigne du MEDEF – syndicat patronal – et de l’aigle noir, symbole nazi du Troisième Reich.
Alors que le personnage vadrouille à la rencontre des manifestants pour “porter la bonne parole au peuple“, il tente de faire passer un message qui paraît déplacé : les français devraient retourner travailler au lieu de manifester. Au premier abord, l’ange moraliste, dictant que “le travail, c’est la santé“, que “l’économie est une religion“ et que “la manifestation est ridicule et illégitime“ semble être l’allégorie parfaite du patronat opulent et exécrable. Et pour ce qui est de la réforme des retraites, il clame haut et fort le bienfait des mesures du gouvernement pour la santé des Français et leur capital : la mise en œuvre de la capitalisation des retraites serait-elle un moyen pour eux de s’enrichir ? Les riches n’auraient-ils pas besoin de retraite puisqu’ils sont déjà riches ? Les français devraient-ils utiliser leurs fonds de pension pour la préparer ?
Évidemment, toute cette mise en scène est à prendre au second, voire au “quatrième ou cinquième degré“. Pour l’organisation dont il fait partie, parodiant la religion et tournant en ridicule la société de consommation, l’humour et le spectacle semblent être les seuls moyens de lutte contre l’émergence du capitalisme. Se présentant comme un soutien aux français, sa présence au cœur de cette manifestation paraît légitime, bien que trompeuse.
SYLVIE
Aide-soignante à l’hôpital de Tourcoing, la quinquagénaire a l’habitude des samedis de manifestation. En ce 5 décembre de grève générale et de mobilisation, elle déclare cette fois sortir dans la rue “pour les retraites”, mais aussi “pour ses enfants et petits-enfants”.
“Les députés ont des sous et nous, on n’a rien”. Sylvie paraît à la fois désemparée et révoltée. Selon elle, exercer un métier dans le paramédical, c’est aujourd’hui faire “du travail à la chaîne”. Elle déplore tout d’abord un manque de personnel, mais, plus généralement, un manque de moyens, qu’ils soient humains, matériels ou financiers. Cette situation amènerait les aide-soignants à ne même plus se consacrer au cœur de leur métier. Elle nous confie : “Ce matin, j’ai bossé. J’ai fait les toilettes à la chaîne”.
Néanmoins, Sylvie paraît satisfaite de la tournure qu’a pris la manifestation à Lille. Pour elle, cela se déroule dans de meilleures conditions que les mobilisations du samedi initialement lancées par les Gilets Jaunes en 2018.
ANDRÉ
André a 66 ans. S’il se mobilise aujourd’hui, c’est par solidarité : “Avant, j’étais dessinateur dans le bâtiment. Aujourd’hui, je suis retraité et le gouvernement de Macron m’a sucré 150 euros sur ma pension”.
Visage dépité et regard triste, André regrette l’absence de l’entièreté absolue des français : “Tout le monde devrait être dans la rue. Les commerçants devraient fermer, on devrait empêcher la grande distribution”.
Il nous confie avec émotion être profondément énervé : “Il y a des gens qui crèvent dans la rue et qui n’arrivent pas à boucler leurs fins de mois, des étudiants qui s’immolent par le feu, trop de gens qui se suicident, et Macron nous dit que les français sont négatifs ? Ça ne m’étonne pas, il vient de chez Rothschild“.
Pour André, “on ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs” : si l’on veut du changement, il faut savoir user de la violence en temps voulu. Et, lorsqu’on lui demande ce qu’il pense des agents de police, il répond du tac au tac qu’ils sont “payés pour réprimer et frapper“, que ce n’est “pas la peine d’essayer de les raisonner” mais que, au fond, ce ne sont pas eux les responsables. Il finit par déclarer : “On les critique, on les appelle au suicide. Mais même si j’avais vraiment été dans la merde, je ne serais jamais devenu CRS“.
L’autre côté de sa pancarte, non-visible sur la photo, s’adresse aux médias. Comme bon nombre de français, il ne leur fait plus confiance. Du moins “plus à BFM, ni LCI“. Pour ce retraité délaissé par la société, “le problème, c’est les riches. Il faut arrêter de diviser les français et de suivre le slogan de Macron : diviser pour mieux régner“.
OTTILIE
Gilet rose au grand sourire, entourée de ses amies et consœurs, Ottilie se mobilise fièrement en ce jeudi noir.
Âgée de 51 ans, cette Allemande d’origine a quitté son pays – après obtention d’un diplôme de préparatrice en pharmacie – pour s’installer en France et vivre de sa passion. Elle est aujourd’hui assistante maternelle et survit plus qu’elle ne vit.
Avec une voix sage et pleine de reproches pour ceux qui n’écoutent pas assez les “petites gens“, Ottilie nous confie n’être payée que 3,20 euros de l’heure et travailler plus de 60 heures par semaine pour quatre contrats simultanés. Cela sans compter le ménage et la nourriture qu’elle doit préparer pour les enfants qui lui font aisément atteindre 15 heures en plus.
Si elle perd de l’argent en se mobilisant, ce n’est pas une première pour Ottilie : elle avait manifesté à plusieurs reprises lors de la réforme du chômage chez les “AM“, comme elle aime les appeler. Si elles ont réussi à obtenir gain de cause, l’Article 49 du Projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale (PLFSS) pose aujourd’hui problème : il oblige les AM à s’inscrire sur le site monenfant.fr. “Toutes nos coordonnées vont être visibles par tout le monde. On doit en plus donner nos dates de vacances et les parents pourront venir à n’importe quelle heure.” reproche-t-elle à cette mesure. Elle dénonce la machine économique qu’est en train de devenir son métier : “Il doit y avoir un contact entre parents et assistantes maternelles“.
On devine au petit insigne de la CGT épinglé sur son gilet fluorescent qu’Ottilie est syndiquée. “Personne ne nous aide, même pas le conseil régional qui est pourtant notre patron. Alors, on doit se défendre nous-mêmes. Le syndicat m’a aidée et je conseille vivement à toutes les AM de se syndiquer“.
Elle nous raconte, l’air grave, son passage au conseil de prud’hommes qui a duré plus d’un an après qu’un parent ait refusé de lui payer ses congés. Ottilie regrette le manque de reconnaissance en dépit des efforts que font les AM pour adapter leur domicile aux règles de sécurité récemment imposées par le gouvernement : “Les dirigeants pensent que nous sommes sans cervelle. Ils sont en train de tuer notre métier parce que le remboursement des parents leur coûte trop cher“.
L’assistante maternelle est là pour les retraites, pour les oubliés, dans l’espoir de voir naître un système plus juste avec des allocations plus élevées, sur le modèle Allemand, pour le futur des plus jeunes. Elle nous questionne avant de courir retrouver ses amies : “Qu’est-ce qu’on laisse à nos enfants ?“.
MARGAUX
Souvent oubliés à tort par l’État mais aussi par l’opinion publique, les artistes, eux aussi, se mobilisent.
Margaux, 28 ans, est diplômée d’école d’art depuis maintenant trois ans. Avec son compagnon, Bruno, ils ont décidé de manifester pour la première fois en tant qu’artistes. En ce jeudi 5 décembre, les deux dessinateurs-plasticiens lèvent bien haut leur écriteau sur lequel est écrit en lettres capitales : “Art en Grève”.
“On en a marre de faire du bénévolat”, nous confie-t-elle. La situation des artistes est très différente de celle des autres professions. D’ailleurs, ils ne sont pas même en mesure de manifester pour les retraites : “Autant dire qu’on ne cotise pas. [Il n’y a] rien à défendre pour notre profession car rien n’existe sous prétexte que l’art, c’est beau, c’est bohème”. Le jeune couple, au RSA, n’en peut plus de cette situation. Sur le site internet du mouvement, il y est indiqué : “Le terme travailleur·euse de l’art désigne toute personne exerçant une activité dans ce champ spécifique, y compris les artistes”. Pour Margaux, aucune distinction ne devrait être faite en ce sens entre les différents corps de métier. Son message est clair : un travailleur est un travailleur et aujourd’hui, il y a de l’injustice. Elle se demande encore comment son métier peut ne pas être reconnu alors même que les artistes “créent de la valeur économique”.
La jeune femme se dit désemparée. Margaux aime son métier, “vit pour l’art et meurt de faim pour ça”. Elle nous avoue que ce début de carrière est particulièrement difficile et que le monde de la culture est “très bouché”. Elle finit par nous confier avec tristesse : “Dans notre société, c’est difficile de s’accomplir comme on le souhaiterait”.
Pour Margaux et Bruno, malgré la fierté de voir tous ces français réunis pour protester dans la solidarité, le manque d’artistes en grève dans cette ville “pourtant très culturelle” reste déplorable et peu encourageant.
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Auteur/Autrice
Étudiante en deuxième année de licence Sciences politique option Académie ESJ Lille, j'aime arpenter le monde, carnet et appareil photo sous les coudes. Je suis re-lectrice permanente.