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À Lille, des collages féministes pour se réapproprier la rue

À Lille, des collages féministes pour se réapproprier la rue

collage du Collectif collages féministes Lille

En se baladant dans les rues de Lille, vous avez sans doute aperçu de grandes feuilles blanches sur lesquelles sont peints des slogans en lettres noires ou rouges, affichées sur les murs. Derrière elles se trouve le collectif “Collages féministes Lille”. Rencontre avec une colleuse lilloise. 

Sous l’impulsion du mouvement #MeToo, le collage est une méthode d’action qui s’est développée ces derniers temps, en particulier dans les grandes villes de l’Hexagone. La parole se libère, des mouvements et collectifs émergent. Né l’année dernière en réponse à la hausse des féminicides, le collectif de collage lillois agit dans l’ombre pour marquer les esprits. Une colleuse a accepté de nous éclairer sur ces actions qui fleurissent dans la capitale des Flandres.

Une “désinvisibilisation” des inégalités et des discriminations

Le collectif “Collages féministes Lille” se dit “intersectionnel et inclusif”. Mais qu’est-ce que cela veut dire ? “Le mot intersectionnel vient des mouvements de Black feminismdes années 1960-1970, nous explique notre colleuse anonyme. Les femmes noires subissaient alors deux types de discrimination à la fois : le sexisme et le racisme. L’intersectionnalité et l’inclusivité permettent d’aller au-delà de la notion de féminisme en combattant, par extension, le racisme, l’homophobie, la transphobie, la putophobie, l’autismophobie et la pédocriminalité. Le collectif dont les collages parent les murs de la ville est composé de toute personne souhaitant participer hormis les hommes cis. Pour éviter une mauvaise inclusion des personnes transgenres et non-binaires, chacun met le prénom qu’il souhaite que les autres membres utilisent sur le groupe de discussion.

“Nous voulons que les inégalités et les discriminations, quelles qu’elles soient, ne soient plus invisibilisées, poursuit-elle. En collant dans la rue, tout le monde voit ce que l’on fait.” Agir dans l’ombre, sans que personne ne sache qui colle, tout en voyant les collages partout dans les rues, est un atout majeur. “Cela peut donner de la force à d’autres personnes victimes de sexisme, de violences ou d’autres discriminations, sentir qu’iels ne sont pas seul.x.es.” Un autre privilège de ce mode d’action est la mise en lumière de ses opposants. “Lorsque quelqu’un arrache un collage, cela se voit ; cela prouve que des personnes ne veulent pas entendre parler des discriminations.” Certains collages ne restent pas plus d’une nuit. Mais le collectif est téméraire. Malgré les tentatives de réduction au silence, il continue à coller. La colleuse lilloise confie que les collages l’ont aidée à se réapproprier la rue car après avoir subi des agressions ou du harcèlement de rue, il peut être difficile de penser que l’on a le droit d’être dans la rue, qu’elle nous “appartient”.

collage du Collectif collages féministes Lille
Collage du “Collectif collages féministes Lille”. “Nos plaintes sont ignorées mais nous ne nous tairons plus jamais” peut-on lire sur un mur dans les rues de Lille. © @collages_feministes_lille – Instagram

Le collectif a pour objectif de dénoncer toute la structure de la société patriarcale et validiste dans laquelle nous vivons. “Nous dénonçons le fait que certains ont plus de droits que d’autres, mais aussi la légitimation des violences que nous pouvons tou.x.te.s subir sans pour autant que cela soit payé ou condamné par le système, mais surtout par la société et les stéréotypes qui l’entourent.” Avec le confinement, les collages physiques ont été compromis, mais des collages virtuels ont été organisés. Le collectif est également très actif sur son compte Instagram, sur lequel il relaie ses collages mais aussi “de multiples informations et des témoignages de militant.x.es”.

Un mode d’action percutant

Des collages pour marquer les esprits, tel est l’objectif du collectif. “Tout le monde a l’habitude de voir des graffitis sur les murs. Les feuilles blanches avec des lettres noires ou rouges est quelque chose de plus voyant, qui marque plus qu’un graffiti.” Les collages happent le regard du passant, qui ne peut y rester indifférent. Ils occupent à la fois les esprits et l’espace.

Pour choisir les messages, les membres du collectif proposent d’abord un thème pour le slogan. “Différentes formulations sont proposées, réfléchies et travaillées au sein du groupe, notamment par des concerné.x.es”, pour toujours faire en sorte que les slogans ne les choquent pas. Une fois les messages à coller choisis, “ils sont préparés par chaque personne qui le veut chez elle”. Les collages sont organisés une ou plusieurs fois par semaine, sans fréquence déterminée. Ils peuvent parfois l’être à la suite d’une polémique ou d’un événement (Polanski césarisé, féminicide…).

“Nos actions ont lieu dans la soirée, nous ne sommes pas masqué.x.es mais les tenues sombres sont préférées”, précise notre colleuse anonyme. Colle forte en main, les colleuses se rejoignent à un endroit et une heure donnés, puis arpentent les rues avec leurs slogans jusqu’à trouver le bon mur, en évitant d’être trop visibles. Les murs porteurs des messages ne sont pas des façades de maison, “sauf si quelqu’un ou quelque chose de particulier est visé par le collage – par exemple le palais de justice sur lequel nous avons posté le témoignage d’un militant victime de pédocriminalité.” Agir dans l’ombre est primordial. “Nous risquons 90 euros d’amende”, auxquels il faut ajouter 15 euros par affiche. “J’ai collé avec une jeune femme qui avait été repérée avec le reste de son groupe. Iels avaient dû rester sur le lieu du collage avec les policiers jusqu’à ce qu’iels arrachent le collage.” Les personnes expérimentées conseillent les néo-colleuses pour leur premier collage. Aussi, pour anticiper une éventuelle arrestation, “des personnes du groupe guettent un peu plus loin dans la rue et préviennent si un danger est possible.”

colleuse en pleine action
Une colleuse, membre du “Collectif collages féministes Lille”, en pleine action.  © @collages_feministes_lille – Instagram

Entre avancées et déceptions, il n’y a qu’un pas

Demandes financières et mesures réclamées insatisfaisantes, promesses non tenues : voilà le tableau que dresse la colleuse du Grenelle contre les violences conjugales. “Les mesures du Grenelle sont un pas vers l’amélioration, mais ne sont à mon goût pas suffisantes.” Le Grenelle, qui se déroulait du 3 septembre au 25 novembre 2019, a réuni trois mois durant gouvernement, associations et acteurs engagés. Il en est sorti une sensibilisation accrue des enseignants à l’égalité entre les genres, mais les enfants sont les grands oubliés. Ce sont les premiers à sensibiliser. “Ne plus devoir dire à nos filles de se protéger mais éduquer nos garçons.” Un collage récent l’illustre : Elle s’est fait violer. Il l’a violée”.

Récemment, une polémique a éclaté incriminant Basic Fit pour sa transmisogynie. Une personne du collectif a envoyé un mail à l’entreprise pour se renseigner sur l’accès aux personnes transgenres dans les clubs dédiés aux femmes. La réponse fut claire : seules les femmes cisgenres ont accès à ces clubs. En postant la capture d’écran du mail sur leur compte Instagram, une personne anonyme a envoyé au collectif une conversation entre collègues travaillant à Basic Fit, à laquelle elle avait accès puisqu’elle y travaillait auparavant. “Dans ces screens, nous pouvions voir des propos transphobes et transmisogynes, ce pourquoi nous avons contacté la page Le Coin des LGBT sur Instagram et avons dénoncé la discrimination de Basic Fit au sein des clubs de cette filière.” Malgré des excuses présentées, l’entreprise a refusé une formation gratuite faite pour sensibiliser et informer les employés sur les personnes transgenres et leur prise en charge par la filière.

collage du Collectif collages féministes Lille
Collage du “Collectif collages féministes Lille”. “Femmes victimes on vous croit”, sur un mur dans les rues de Lille. © @collages_feministes_lille – Instagram

Mais derrière ce tableau noir, certaines avancées voient le jour. Lyon, Paris, Dijon, Tours, et bien d’autres villes voient des collages parer leurs murs. “C’est une victoire pour nous. D’autres personnes veulent se mobiliser pour les mêmes causes que nous. D’ailleurs, nous nous aidons entre collectifs de collages un peu partout en France ; nous nous relayons des informations et essayons ensemble de trouver des solutions si une personne victime de violences nous demande de l’aide.”

Hormis les collages, le “Collectif collages féministes Lille” joue un rôle important en sensibilisant et en déconstruisant sur certains sujets tels que la pédocriminalité. Le collectif vient aussi en aide aux personnes victimes de violences conjugales et/ou intrafamiliales dans leur recherche de logement. “Certaines personnes viennent nous parler pour témoigner et ressentir un soutien psychologique qu’iels ne reçoivent pas forcément.” C’est aussi la démarche de “NousToutes” qui met à disposition des formations gratuites en ligne, pour sensibiliser aux violences sexistes et sexuelles et au sein du couple

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