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À l’Université de Lille, l’enseignement sous Covid

À l’Université de Lille, l’enseignement sous Covid

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Que ce soit à l’école primaire, au collège, au lycée ou à l’université, la crise du Covid-19 chamboule l’activité des enseignants. Les étudiants, eux, ont connu un deuxième confinement à partir d’octobre, perpétuant les cours en 100% distanciel auxquels ils avaient été confrontés en mars dernier. Rémi Lefebvre, politiste et enseignant-chercheur, et Diederik Wagenaar, professeur d’espagnol à l’Université de Lille, se sont livrés au Pépère News. 

À l’Université de Lille, enseignants et étudiants sont en permanence dans l’incertitude. L’année dernière, avec un confinement en mars puis les examens de fin d’année en distanciel. À la rentrée de septembre, la formule hybride alternant une semaine à la fac et une semaine à distance se termine brusquement par un passage en total distanciel du fait du confinement annoncé fin octobre. Mais c’est alors qu’après avoir suivi la moitié du semestre en distanciel, certains étudiants ont dû passer leurs examens en présentiel. Puis, après une reprise des cours en distanciel en janvier, les travaux dirigés pourront se tenir en présentiel en demi-groupes, malgré la menace d’un troisième confinement qui pèse sur la France. En bref, l’instabilité compromet la continuité pédagogique, pour les étudiants comme pour les enseignants.

L’adaptation, mot phare de cette nouvelle situation

Étudiants ou enseignants, il a fallu s’adapter. À l’annonce du premier confinement en mars dernier, les outils numériques tels que Zoom qui permettent d’assurer les cours en distanciel étaient peu – voire pas – utilisés. “Dans un premier temps c’est la sidération qui l’emportait sur tout autre considération. J’étais effrayé et hébété que l’année soit compromise”, déclare Rémi Lefebvre. Puis, il a fallu se convertir aux outils numériques. Pour Diederik Wagenaar, il lui était impossible d’assurer des cours en distanciel par manque de matériel. Il se filmait donc pour mettre le cours à disposition des étudiants. “Pendant le premier confinement, il n’y a pas eu d’interaction”, explique-t-il. Rémi Lefebvre veillait au suivi individuel des étudiants, “je passais du temps au téléphone avec eux, notamment ceux qui étaient en mémoire”.

À la rentrée de septembre, c’est la formule hybride qui a été mise en place. Les étudiants alternaient une semaine à la fac puis une semaine en distanciel. Les cours magistraux sont passés à une durée de trois heures pour restreindre les venues à l’Université. “Je trouvais que cette alternance de temps numérique et de temps à la fac n’était pas très satisfaisante mais permettait au moins de garder un pied dans l’établissement et une interaction avec les étudiants”, indique Rémi Lefbvre. Il aurait préféré que cette formule soit maintenue : “On n’est pas dans la situation des facs parisiennes parfois exiguës et vétustes, ici on a de grands amphis.”

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Les cours magistraux à l’Université se déroulent à distance. © Célia Consolini / Pépère News

Maintenant, le professeur d’espagnol assure les cours en distanciel via Zoom. “Cette année il y a possibilité d’interaction mais ce n’est pas idéal. Tous les étudiants n’ont pas le bon matériel ou une bonne connexion.” D’habitude, il met une note de participation orale, mais à distance, il a abandonné l’idée car cela creuserait les inégalités entre ceux qui ont les outils adéquats et ceux “qui doivent choisir entre avoir une bonne connexion internet et manger”.

Le distanciel, ce fardeau…

“On va pas plaindre les enseignants, la situation est beaucoup plus compliquée pour les étudiants. Évidemment notre activité se dégrade mais on a quand même un volume de cours assez limité à transmettre tandis que les étudiants, eux, accumulent les cours en numérique”, déplore Rémi Lefebvre. Ce qui dérange le plus les deux professeurs, c’est le temps passé sur les écrans. “25h30 devant l’ordi [en une semaine], le soir on a mal aux yeux. C’est jeudi et j’ai les yeux qui pleurent”, confie Diederik Wagenaar. Il déplore aussi l’impact psychologique que les cours en distanciel ont sur les étudiants, compromettant la continuité pédagogique.

“Mais je ne pense pas que les enseignants soient les plus à plaindre“, déclare Rémi Lefebvre. Pour le chercheur en science politique, ce qui est terrible est la perte du côté performatif et dramaturgique du cours. Pour lui, transmettre un cours relève de la performance pour attirer l’attention des étudiants. Et ça, les enseignants le font avec la présence physique et les interactions de visage, ce qui est complètement inexistant avec le numérique. “J’ai moins de plaisir à ouvrir mon ordinateur et me dire que je vais passer trois heures à parler à des pastilles noires.” Il a conscience que suivre trois heures de cours est une épreuve et que beaucoup d’étudiants perdent le fil. “C’est trop long trois heures, ça rajoute des difficultés alors que la situation n’est déjà pas simple.”

“J’ai moins de plaisir à ouvrir mon ordinateur et me dire que je vais passer trois heures à parler à des pastilles noires.” – Rémi Lefebvre, politiste et enseignant-chercheur à l’Université de Lille

Tous deux déplorent l’évanouissement du côté physique de la relation pédagogique. En langue, où la participation est le meilleur apprentissage, créer une dynamique de groupe par Zoom reste compliqué. “Certains se connectent sans mettre la webcam et je ne sais pas s’ils sont vraiment en face de moi ou s’ils prennent un café dans la salle d’à côté.” Plus encore, Rémi Lefebvre pointe du doigt l’exacerbation des inégalités. “Les étudiants qui ont des facilités, dont l’intérêt va de soi, arrivent à s’adapter à la nouvelle configuration pédagogique” alors que les étudiants dont la motivation est plus faible ou qui ont davantage de difficultés, décrochent. “À la faculté comme dans la société, la crise du Covid exacerbe les inégalités.”

… mais qui n’a pas que des effets négatifs

Le distanciel, ça libère du temps. Rémi Lefebvre a profité du premier confinement pour rattraper le retard qu’il avait pris sur sa recherche. “J’étais à la fois effrayé mais en même temps j’ai tiré profit du premier confinement pour rattraper le retard que j’avais sur mes publications et bouquins.” Autre avantage pour le politiste, la libération de la parole de certains étudiants. “Quand j’ai fait les premiers cours en distanciel, il y avait pas mal de participation, voire même des étudiants qui participaient en numérique alors qu’ils n’auraient pas pris la parole dans un amphi, car c’est moins intimidant.”

Pour Diederik Wagenaar, le semestre dernier s’est aussi bien passé. Il se réjouit du fait que les étudiants faisaient leur travail et les oraux que l’enseignant leur a fait passer en fin d’année se sont eux aussi déroulés dans de bonnes conditions. Mais à l’inverse de Rémi Lefebvre, le professeur d’espagnol constate que de nombreux étudiants ne participent plus, du fait de l’absence de note d’orale et de la possibilité de faire autre chose pendant le cours.

Une numérisation de l’enseignement est-elle alors envisageable ? Les deux professeurs sont unanimes : le présentiel reste primordial pour l’enseignement. Toutefois, les nouvelles technologies qui permettent de mettre des supports pédagogiques à la disposition des étudiants leur paraît plus qu’utile. “Je suis pour un usage raisonné de la numérisation. Je suis convaincu que la numérisation va être le cheval de Troie de la baisse des moyens à l’Université donc là, je bloque. Je crains que la crise de Covid soit un accélérateur de la numérisation mais pour les mauvaises raisons“, confie Rémi Lefebvre.

L’instabilité nuit à la continuité pédagogique

“Moi honnêtement, je n’aurais jamais imaginé que la situation à l’Université dure aussi longtemps. Je ne veux plus trop croire à l’idée qu’on va reprendre les cours en présentiel donc j’essaie de m’habituer à l’idée que l’année va fonctionner de cette manière-là”, regrette l’enseignant-chercheur. Et il a eu raison. Le doyen de l’Université des sciences juridiques, politiques et sociales a confirmé le lendemain que les cours magistraux resteraient en distanciel jusqu’à la fin de l’année. Pour Diederik Wagenaar, ce n’est peut-être pas si mal. “Si on bascule à chaque fois d’un système à l’autre, c’est difficile. D’un point de vue pédagogique, j’estime que la stabilité est utile.”

Les travaux dirigés pourront quant à eux être dispensés en présentiel pour les étudiants qui le souhaitent, en diminuant la jauge d’élèves de moitié. Le professeur d’espagnol, lui, reste en distanciel pour raisons médicales. Mais même sans ce système hybride, l’organisation des TD a été un casse-tête. “J’ai plus de 300 étudiants, je passais mes journées à organiser les groupes et répondre aux mails.” Pour les chargés de TD qui devront alterner cours en distanciel et en présentiel, l’organisation est encore plus compliquée. “Certains de mes collègues devront être en présentiel à la fac pour un TD à 9h30 puis, à 11h, ils seront obligés de faire un TD en distanciel en restant à l’Université.” Le problème est que tous n’ont pas un bureau à eux seuls. “Dans mon bureau nous sommes trois, et ce sont des profs d’anglais, ça risque d’être une belle cacophonie”, ironise Diederik Wagenaar.

Enfin, les deux enseignants espèrent que les partiels seront organisés en présentiel. “Je pense que les examens en distanciel sont catastrophiques pour les étudiants car ils ne sont pas dans de bonnes conditions, ce n’est pas bon pour l’évaluation des connaissances car cela fausse les choses”, indique Rémi Lefebvre. Son collègue partage le même avis, “certains sont passés de 6 de moyenne à 16 lors des examens du premier confinement”. 

Une question demeure. Les étudiants qui auront choisi les TD en présentiel sont censés passer les examens en présentiel, mais ceux qui ont choisi le distanciel vont-ils être obligés de passer les examens en présentiel ? Si ce n’est pas le cas, il y aura une injustice entre les étudiants. Telle est la crainte des deux enseignants.

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