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« Adios Bahamas » pour dire adieu à Népal

« Adios Bahamas » pour dire adieu à Népal

Adios Bahamas est le dernier projet de Népal, jeune rappeur qui s’est suicidé le 9 novembre dernier à l’âge de 29 ans. Il est aussi le premier album qu’il sort le 10 janvier, après cinq EP ( dont 444 nuits), toujours avec le collectif  “75èmesession”.

L’album commence sur un bruit de mer qu’un essoufflement vient rompre. Et c’est un peu le fil conducteur de tous les morceaux. Entre souffle d’été qui vient nous redonner le sourire, vêtements légers et blancs que Népal porte sur la pochette d’album mais qui viennent se ternir de gris par des paroles sombres, nostalgiques, ancrées d’une dure vérité. Une vérité que Népal combat par sa liberté de penser et de se révolter. Cet album porte donc bien son nom « Adios Bahamas », c’est dire adieu à tout, même aux endroits les plus paradisiaques. Même à l’été. Même à ce qui peut nous redonner espoir. Ce premier (et dernier) album que Népal laisse en testament est un bijoux technique et musical. On y retrouve de nombreux featurings avec Doums, Nekfeu, Di-Meh et 3010.

“Sonder les abysses” ou “nager en surface” ?

C’est la question que Népal se posait déjà dans Rien d’spécial en 2014. Il semble au début rapper en surface dans un feat avec Di Meh marqué par l’egotrip. Malgré cet air joyeux, Népal annonce déjà la fonction de cet album en disant qu’il laisse un « fragment de [sa] vie dans un chorus ». ( Le chorus qui est, rappelons-le, l’effet qui multiplie les voix ).

Pour le titre d’après, en feat avec Nekfeu, Népal accepte de regarder la vérité en face ; « Personne n’apprend à penser par toi-même, la réponse est dans la question. // Mais l’jour où tu décides de sauter les barrières // Et d’voler comme un esprit libre, tu sentiras même plus la pression ».  Il explique ici qu’en s’affranchissant des règles, ou en décidant de partir de cette société, on peut devenir libre, et cesser de ressentir la pression qu’elle nous impose.

Plutôt mourir qu’accepter

Trajectoire vient encore plus renforcer ce sentiment de malaise global, de critique sociétale. Et c’est sans doute la chanson qui illustre le mieux son état d’esprit et le mieux l’album. « Au bord de la mer je saurais même pas quoi y faire / J’vis mon rêve en silence et je me prépare pour l’hiver ». Dans le refrain il nous donne sa définition de la vie. Celle-ci perd son sens quand on ne peut pas s’aimer, aimer les autres, s’élever, donner aux autres. Toutes les thématiques habituelles sont présentes (la Foi, la conscience, la drogue, les questionnements existentiels et humanistes, le capitalisme, l’introspection, la routine).

La trajectoire que se donne l’artiste ne semble plus avoir de point d’arrivée.  Il critique la société et refuse d’accepter sa cruauté : « Plutôt mourir vraiment, que de raisonner en foutu zombie». On retrouve ces mêmes thèmes dans son précédent EP avec le son Malik al Mwalt. Il dit attendre l’ange de la mort qui le libérera. La liberté étant un des thèmes centraux de sa musique, ce qu’il recherche par dessus tout.

https://www.youtube.com/watch?v=abrmqTNHUa0

Si l’artiste semble ici au plus bas, Vibe, Lemonade et Là-bas brisent sans plus de transition cette tristesse pour y ajouter une toute autre ambiance chill. Des sons beaucoup plus RnB, qui rompent avec le style « rap conscient » de l’artiste pour nous donner envie de bronzer au bord de la piscine. Cependant on sent un sourire presque forcé dans ces trois sons. Les paroles ne sont pas du tout en raccord avec les instrumentales et la voix de l’artiste qui s’est feutrée d’un accent West Coast.

© : Capture d’écran YouTube – Clip “Babylone”

Une âme grise pour passer d’un registre à l’autre

Il le dit lui-même dans Lemonade «  Nos âmes sont grises comme la city / Mais j’souris pour le job ». On comprend par ailleurs la couleur de l’album qui peut être une référence au livre « Les âmes grises » de Philippe Claudel. Celui-ci y écrit : « Les salauds, les saints, j’en ai jamais vu. Rien n’est tout noir ni tout blanc, c’est le gris qui gagne. Les hommes et leurs âmes, c’est pareil… ». Ce même gris qui teinte tout le clip de Babylone sorti en 2019 et qui reprend le thème de Vibes. Le rap est vécu comme un exécutoire (sentiment commun à beaucoup de rappeurs) : «Si t’es au stud’ comme à l’usine, Babylone a gagné».

Sundance garde une note gaie avec une instru boom-bap produite par Diabi mais nuancée par le sérieux de nombreuses références philosophiques, cinématographiques etc. où il exprime son malaise par rapport aux autres, son envie de les laisser, en martelant que «puisque l’enfer c’est les autres [citation de Sartre, ndlr], pourquoi vouloir faire comme les autres ?»

Millionnaire, en feat avec Doums, vient contredire La folie des glandeurs de 2012 avec un son qui parle de l’argent qui ne fait définitivement pas le bonheur : «  Le matin je me réveille comme un millionnaire / Le soir je m’endors en fœtus comme un toxicomane / Ce monde n’a aucun sens […] ». 

On change ensuite encore de registre avec deux derniers sons un peu plus expérimentaux. Mais surtout ils sont chantés, et c’est réussi ! Dans Crossfader, on peut relever cette phrase emblématique «Les saisons passent mais moi j’aimerais être ailleurs». Finalement même si l’été apaise l’âme et les instrumentales de Népal, cela ne satisfait toujours pas son envie de partir loin de la société qui l’oppresse.

Avancer sans voir pour peindre son art

Et puis l’ultime morceau. Il abandonne son ressenti face au monde qui l’entoure, pour nous parler de lui, de son art. Ainsi il commence et finit ses couplets avec cette phrase « J’ai peint l’ciel couleur lavande ». Cette couleur est issue de la spiritualité hindou et bouddhiste, qui inspire Népal depuis longtemps. Il ajoute « Tu peux commencer aveugle et finir peintre ». Cette façon d’avancer à l’aveugle est le sujet principal du précédent morceau en feat avec 3010. Il explique qu’il apprécie son art les yeux fermés. Tel Monet, il dessine ses maux, ses mots, son quotidien répétitif. Et il y rajoute sa touche de couleur teintée de violet.

Puis, l’album se finit… On a écouté Népal pour la dernière fois. Enfin plutôt l’une des dernières fois puisque “75ème session” a annoncé le 2 février la sortie de 5 singles que l’artiste avait prévu après cet album.  J’aimerais dire qu’Adios Bahamas est un chef d’œuvre mais ça n’en est pas un. Népal fait du Népal : sans filtre, sans barrière ; en nous disant la ou plutôt sa vérité, aussi dure soit-elle. On le comprend, on essaye du moins, mais l’album s’arrête. On a dit adieu aux Bahamas, et on dit adieu à Népal, grand rappeur qui en formera sans doute bien d’autres.

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