Adult in the room, plongée au coeur de la crise grecque dans le dernier Costa-Gavras
Après l’inauguration de son exposition photo “Le parcours d’une vie” en 2014 à la Maison de la photographie, Costa-Gavras revient sur Lille pour présenter son film à l’UGC Cité ciné. Il en débat avec fierté devant les lillois.
Basé sur le best-settler de Yánis Varoufákis, Adult in the room illustre brillamment les coulisses des négociations sur la crise grecque, moment douloureux au cœur d’une Europe sous tension.
De drame en drame, la vision d’un film percutant
25 janvier 2015, la coalition de la gauche radicale Syriza arrive au pouvoir en remportant largement l’élection législative (plus de 36% des voix) grâce à une campagne menée en grande partie sur l’opposition à la politique de rigueur imposée par l’UE qui affecte fortement la Grèce. Une lutte s’engage entre les dirigeants du pays et l’Europe. Alexis Tsípras, premier ministre grec, et Yánis Varoufákis, ministre des finances, vont ainsi vite se rendre compte des portes fermées pour la négociation à chacun de leurs déplacements. Ils se sont donc heurtés à l’insistance de l’UE à maintenir le protocole d’accord existant, un accord qui engageait la Grèce à poursuivre l’austérité.
Costa Gavras, le plus français des cinéastes grecs, avait suivi avec émoi la crise grecque dès ses prémisses et avait instinctivement l’envie de retranscrire cet événement sur le grand écran.
Mais c’est réellement lorsque Michèle Ray-Gavras (sa femme) tombe sur un article de Yánis Varoufákis qu’il comprend de quoi parlerait principalement son film. C’est grâce à un lien d’amitié entre lui et Varoufakis qu’il va pouvoir bâtir son scénario. En effet, l’ancien ministre grec des finances lui enverra chaque nouveau chapitre de son livre sur ses quelques mois au pouvoir, Conversations entre adultes. De plus, Varoufakis enregistrait la plupart de ses entretiens avec les dirigeants européens, permettant au réalisateur grec d’avoir des dialogues à la parole près et purement véridiques.
Adults in the Room navigue dans ces eaux politiques traîtresses avec une grande habileté, condensant une situation politique et économique labyrinthique en un feuilleton passionnant. Nous sommes littéralement plongés dans le milieu méconnu des instances directrices et des bureaux des leaders européens. L’intensité des dialogues va parfois faire douter les spectateurs sur leur véracité tant les mots sont durs, voire surréalistes, à l’encontre de Yanis Varoufakis, notamment de la part du ministre allemand des finances, Wolfgang Schäuble, ou encore Jeroen Dijsselbloem, l’ancien président de l’Eurogroupe (N.B. : réunion mensuelle et informelle des ministres des finances des États membres de la zone euro).
Une tragédie moderne ?
Bien qu’il y ait des exceptions notables, la plupart des thrillers politiques basés sur des événements réels ont tellement à cœur d’être fidèles à l’exactitude historique que la tension dramatique s’envole et commence plutôt à ressembler à un documentaire tiède et dilué. Ce n’est certainement pas le cas avec Adults in the Room. La tension est bien réelle.
Costas-Gavras a pris ce drame politique majeur et l’a réduit à ses éléments dramatiques essentiels. Il l’a présenté dans un contexte compréhensible : un différend financier complexe entre de nombreux pays et un choc des personnalités et des égos entre la Grèce, l’Allemagne, la France et les différentes institutions financières et politiques européennes.
C’est l’un de ces rares cas où l’histoire est racontée par les vaincus, et non par le vainqueur. Christos Loulis représente brillamment Varoufakis, le négociateur brutal quelque peu provocateur et franc. Il n’est peut-être pas le seul adulte dans la salle, mais c’est sans doute le plus humain, ramenant chaque argument aux victimes de l’austérité grecque et à la façon dont elles peuvent être sauvées.
Son jeu est profond. Sans jamais réellement parler de la situation qui s’empire de jour en jour, nous comprenons tout le ressenti de Varoufakis : sa déception et son échec. Ce ressenti se voit aussi dans la direction photographique. Les images sont ternes, sombres et froides, renforçant le caractère dramatique du film. Il en résulte un sentiment permanent de claustrophobie.
Gavras déclare avoir voulu donner à ce film une certaine “dimension de tragédie grecque”. Une tragédie au sens ancien du terme : « les personnages ne sont ni bons ni mauvais, mais sont guidés par leur propre idée personnelle de ce qu’il convient de faire ». Une tragédie de notre époque moderne. Costa-Gavras dépeint aussi la bureaucratie, avec quelques chorégraphies malicieuses pendant des conversations grinçantes.
Une salle d’assistants qui ferment leurs ordinateurs portables en rythme, un groupe de ministres se levant tous en même temps : il est clair qu’il considère le côté humain de ce conflit comme celui qui est régi par la tradition et le protocole. Pour Costa-Gavras, ce film est aussi un moyen de « montrer l’Europe qui ne marche pas du tout ». Il rappelle que l’Europe, à sa fondation, se voulait être en premier plan “une Europe culturelle” et non “économique”.
Le film doit être regardé pour ses mérites et pour ce qu’il est – un thriller politique qui retiendra votre attention sur les machinations que l’on trouve dans la politique internationale.