AFF : J’accuse, passionnant mais distant
Événement de cette deuxième journée de l’Arras Film Festival, le film de la 20ème édition, dernière création du cinéaste Roman Polanski et lauréat du Grand Prix du Jury à la Mostra de Venise, J’accuse ne fait pas l’unanimité. Tout le monde a déjà passé beaucoup de temps à parler du réalisateur pour ses multiples affaires et condamnation. Mais ici, parlons plutôt cinéma.
Cette adaptation du roman de Robert Harris revient sur la célèbre affaire Dreyfus, un scandale ayant secoué la France et le monde, du 19ème siècle à nos jours. Plutôt que de nous raconter une énième fois l’histoire de ce gradé juif injustement condamné, Polanski fait le choix judicieux d’adopter le regard du Colonel Marie-Georges Picquart (Jean Dujardin), officier ayant découvert l’anguille sous la roche. Dreyfus (Louis Garrel) est, lui, relégué au second plan, devenant bien vite une figure innocente à défendre, mais extrêmement antipathique. C’est donc un regard nouveau qui est porté sur cette affaire passionnante.
Impeccable
En effet, passionnante est le mot. Pendant plus de deux heures, nous voilà transporté en cette fin de 19ème siècle. Des décors somptueux et impressionnants, une photographie ambitieuse, des acteurs stars s’effaçant derrière leurs personnages… Tous les superlatifs sont réunis pour emmener le spectateur dans les coulisses de cette sombre affaire. J’accuse est un véritable film d’espionnage d’époque qui, contrairement au tout récent Le Roi, ne trahit ni son histoire, ni ses personnages historiques. Les documents sont visibles, bien utilisés et le film parvient à faire comprendre toute cette histoire bien compliquée. On voit en action les rouages mielleux et fiers de la « justice » française, à vous en dégoûter de la nationalité. De plus, malgré la célébrité de l’histoire, le scénario réserve son lot de surprises et de retournements de situations. Répétons-le : le film est passionnant. Tout est impeccable, propre et sans bavure, solide et bien ficelé… Peut-être trop ?
Mais froid
Car je pense qu’à être trop sage et trop scolaire comme l’est Polanski, on en perd le véritable cœur de cette affaire. Pas de sentiments, rien qu’un enchaînement désincarné de scènes intéressantes et passionnantes, mais sans cœur hélas. Heureusement que le talent du réalisateur est là pour faire monter la tension dans certaines scènes, car le scénario se compose quasi uniquement de gens qui parlent dans des intérieurs. Les acteurs représentent bien ce phénomène : ils sont tous très bon, mais d’une sobriété un peu pénible. On aimerait plus de sentiments silencieux, nous n’aurons que faits et joutes verbales.
C’est ce que Jean Dujardin confirmait au micro de France Inter :
« Peut-être que, sur ce rôle, je me suis moins planqué : le personnage de Picquart s’imposait à moi, je ne peux pas le surjouer, je laisse passer l’Histoire devant moi. Il n’est pas question que je brille : il y a des rôles, comme OSS, pour ça, et puis il y a des rôles où l’Histoire est plus grande« , dit Jean Dujardin, qui explique qu’il y a une part de « devoir de mémoire« . »
La musique aussi se fait distante par moments, bien que pertinente dans son utilisation. Dans la logique du projet, J’accuse n’est pas là pour nous donner ce que nous voulons, mais ce dont nous avons besoin. Un témoignage sincère et précieux qu’il faut prendre pour ce qu’il est : un film historique. Le tout, à l’image de cette fin : abrupte et logique, mais qui n’ajoute pas la cerise sur le gâteau.
Cependant, le gâteau reste bon et ce film de la 20ème n’est pas une déception, loin de là. Il est beau, ambitieux, passionnant et très solide. On regrette simplement cette figure désincarnée et son déroulé très « mécanique ». Le film sort ce mercredi 13 novembre dans les salles et on vous encourage à aller le voir. Si vous n’y allez pas pour Polanski, allez-y dans un devoir de mémoire. Pour nous, le festival continue à Arras !
Edit Post-César : Alors que j’avais dit qu’il était mieux de ne parler que de cinéma et non pas de politique, l’académie des César m’a rappelé que c’était impossible. En donnant le prix de la meilleure réalisation, elle récompense un violeur pédophile condamné et en fuite pour un travail moyen. J’accuse à beau être bon, il n’est pas à la hauteur des Césars, quand ces derniers ont démontrés qu’ils n’étaient pas à la hauteur du cinéma français.