AFF : Les Misérables – Bienvenue en enfer
Premier film de Ladj Ly adapté de l’un de ses courts-métrages, Les Misérables est le portrait d’une société en perdition. Un état des lieux des jeux de pouvoirs de banlieues, 24 ans après La Haine de Mathieu Kassovitz. Un constat d’autant plus inquiétant qu’il résonne d’une triste et profonde note aiguë de réalité. Si vous ne l’avez pas compris, il sera difficile pour moi de faire preuve d’objectivité tant le choc fut grand.
Autant le dire tout de suite, le visionnage des Misérables version 2019 est tout sauf agréable à regarder. Pendant 1h40, le réalisateur de 39 ans s’efforce de décrire cette France des quartiers en profondeur. Les enfants et les parents, les flics et les gangs, chacun réfugié dans son coin, crachant sur son voisin. Le pitch ? Une bavure policière enregistrée par drone va provoquer un emballement de toutes les forces en présence qui révélera leur véritable nature. Chacun selon ses convictions, selon ses envies, selon ses émotions. Aux dernières images du film, on ne se demande qu’une chose : comment en est-on arrivé là ?
Des victoires
Ladj Ly, ancien gamin de banlieue parisienne, choisit de se placer au plus proche de ses personnages. Sa caméra à l’épaule épouse les contours de leur physique caractériel et de leur mentalité. Décider d’ouvrir son film sur un événement tel que la victoire de l’équipe de France, championne du monde de football, est tout sauf innocent. Qu’est-ce que la haine et l’adversité dans ces moments de joies ? Des moments qui prouvent toute la bêtise de cette supercherie séparatrice. Seulement, de telles extrémités ne peuvent co-exister. Alors, où est la farce ? Est-elle dans la joie fédératrice de ces rares moments ? Ou dans l’expression d’une haine permanente ? De grandes questions posées sans aucune intention de réponse. Un état des lieux sert à ça : poser des questions.
Et des défaites
Pauvre des responsables ayant laissé une telle situation se créer. Pauvre des acteurs de cette folie qui ne font que s’enfoncer dans leur misère personnelle. Aucun ne souhaite visiblement travailler main dans la main avec son voisin. Chacun se complaisant dans son jeu, sa petite comédie, de façon irresponsable et immature. Il n’y a pas de dialogue ni de compréhension entre les gens. “Pourquoi se parler puisqu’on se hait ?” se demandent les protagonistes. Il n’est même plus question de trouver de justification à cette haine. Et les enfants dans tout ça ? On les retrouve complètement perdus. Ballottés entre de grandes formules où l’on parle de respect et des actes violents injustifiés. Des paroles simplement contradictoires et hypocrites. Aucun beau discours ne saura justifier ni régler la situation. Si le film leur laisse de la place pour s’exprimer, quelle réponse apporter face à tant de violence éhontée ? Le film choisit la violence, Ladj Ly choisit le cinéma.
Mais surtout un immense film
Car Les Misérables, au delà de son message, est un immense film. La réalisation adoptée, style documentaire, s’efface derrière les actions et sentiments de tous. S’effacer derrière son propos, voilà la principale qualité du film, de sa réal’ et de ses acteurs. Tous sont impeccables, connaissent la situation actuelle et ça se voit. Qui sont-ils ? À part les acteurs principaux, on devine qu’il ne s’agit pas de comédiens de métier, mais de vraies personnes jouant leur propre rôle. On retrouve toute la vérité de ces liens sociaux dans leurs yeux, leur langage, leurs manies. Autre point fort du film : sa nuance. À aucun moment il ne tente de juger quiconque, il reste en dehors, ne dénonce personne en particulier, simplement la situation présente. Mais alors, où est la faute ? Chez les flics ? Ils ne font que répondre à la violence. Chez les banlieusards ? Ils ne font que répondre à la violence. C’est tout ce que l’on retrouve condensé dans cette dernière séquence de film. Une plongée dans un tourbillon de vengeance, de fureur viscérale et de haine. Justifiée, certes, mais qui prend aux tripes et ne laisse aucun répit.
Les Misérables de Ladj Ly est donc un monument. De part son efficacité et sa sincérité, il devient nécessaire à une société désormais aveugle de ses responsabilités. Ce qui est certain c’est que, face à ce film, Hugo sourit dans sa tombe, mais pleure face au monde.