En lecture
Au Fresnoy, l’exposition “Jusque-là” ou l’art de la traversée

Au Fresnoy, l’exposition “Jusque-là” ou l’art de la traversée

L'exposition "Jusque-là", au Fresnoy

Jusqu’au 30 avril, se tient l’exposition “Jusque-là” au Fresnoy – studio national des arts contemporains, en collaboration avec Pinault Collection, à Tourcoing. Dans un accrochage sans frontière, les œuvres de l’artiste chilien Enrique Ramirez et celles de dix autres artistes invitent à réfléchir à la notion de traversée. 

En entrant, notre œil est attiré par des yeux. Jean-Luc Moulène a réalisé une sculpture faite d’un collage de centaines d’images qui représentent des yeux. A côté, l’artiste suédoise Nina Canell a disposé au sol plusieurs fragments de carreaux en céramique, brisés et recouverts d’une légère couche d’eau. Au loin, un bateau de bois à la voile orange est suspendu à l’envers dans la grande nef, c’est “Miroir” de Enrique Ramirez.

Aussi diverses que singulières, jouant sur les couleurs ou dansant sur le rythme, les œuvres de la nouvelle exposition “Jusque-là” invitent au voyage. Il s’agit d’une co-production entre le Studio national des arts contemporains et Pinault Collection. Cette collaboration n’est pas nouvelle, c’est suite à la création d’une résidence d’artiste à Lens, en 2015 par François Pinault, que leur relation s’est approfondie. A travers cette exposition, ils proposent une traversée inédite entre les frontières humaines et métaphysiques permettant de se questionner sur le passé, le présent et le futur de l’humanité. A l’honneur, l’artiste chilien Enrique Ramirez, ancien étudiant du Fresnoy.

C’est “un peu comme entrer dans une forêt”

L’exposition est une proposition. Dans un espace décloisonné, les trente œuvres dialoguent avec le visiteur qui, naviguant, s’approprie lui aussi la question de la traversée. L’accrochage articule ces œuvres à la manière d’un écosystème, où la fragilité des branches de fougères de Steegmann Mangrané contraste avec la puissance du plus ancien arbre d’Amérique du Sud filmé par Enrique Ramirez.

"Alerce" œuvre Enrique Ramirez
La vidéo “Alerce” de Enrique Ramirez côtoie “Log Dog” de l’artiste danois Danh Vo. © Olga Poyet / Pépère News

Vidéo, peinture, photographie, lithographie, installations faites de bois ou de produits alimentaires, tous les supports se mêlent. Les matières et les sons aussi : “Certaines œuvres […] favorisent le silence pour faire apparaître des choses simples qu’on prend moins – ou qu’on prenait moins – le temps de regarder. L’arbre, l’eau, le mouvement sont pour moi très acoustiques”, explique Caroline Bourgeois, commissaire de cette exposition et conservatrice auprès de Pinault Collection. Le visiteur s’engage dans l’équilibre de cet assemblage et c’est alors “un peu comme entrer dans une forêt”, espère Enrique Ramirez.

“Jusque-là”, au-delà et en amont

Ainsi construite, l’exposition invite au cheminement intellectuel où réflexions sur le passé, le présent et le futur se bousculent. Les travaux de Enrique Ramirez sont imprégnés d’un passé à la fois personnel et collectif, à travers les vestiges tragiques d’un Chili qui fut en proie à la dictature du général Pinochet. Dans la grande nef, “4820 pièces de cuivre” sur une carte de la Méditerranée font référence au nombre de corps disparus dans ses profondeurs en 2016 mais aussi “à la mémoire de l’eau qui a servi de sépulture aux corps des dissidents jetés à la mer sous la dictature”.

Grande nef "Jusque-là" exposition
Les œuvres de l’exposition “Jusque-là” dialoguent dans la grande nef, en bas à droite “4820 pièces en cuivre” de Enrique Ramirez. © Olga Poyet / Pépère News

La traversée, au présent, à l’heure où les frontières semblent se fermer de plus en plus aux hommes pour s’ouvrir aux marchandises, est bel et bien un sujet politique. La politique demeure dans cette exposition, le socle commun à la plupart des réflexions qui abordent entre autres; la colonisation, le nationalisme, les dérives du capitalisme, l’exil et le changement climatique. Les artistes ont “peut-être le devoir d’ouvrir des fenêtres”, selon Enrique Ramirez, mais ils laissent au visiteur le soin d’interpréter ce qu’ils y auront vu au travers. “C’est l’art qui pose des questions, non l’art qui donne des réponses”, suggère-t-il.

Un Hombre que camina

C’est peut-être l’œuvre que l’on retient le plus : “Un Hombre que camina” (l’homme qui marche) de Enrique Ramirez. Dans cette vidéo, on assiste à une étrange procession. Dans le Salar, lac de sel Bolivien, un homme masqué comme un diable. Derrière lui se traînent des vêtements de conquistador (colons). Le reflet du ciel sur l’eau donne une impression de paradis cassant avec l’image du protagoniste. Entre la vie et la mort, ce lac sera bientôt détruit pour ses réserves de lithium : c’est peut-être l’apogée de la traversée.

Un hombre que camina, une vidéo de Enrique Ramirez
“Un hombre que camina”, une vidéo de Enrique Ramirez. © Olga Poyet / Pépère News

L’exposition est à voir au Fresnoy, à Tourcoing, jusqu’au 30 avril 2022. Le lieu est ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 19h. Le prix d’une entrée est de 4 € plein tarif et 3 € tarif réduit pour les étudiants, les demandeurs d’emploi et les seniors. L’entrée est gratuite le dimanche.

Quelle est votre réaction ?
J'adore !
2
J'ai hâte !
0
Joyeux
0
MDR
0
Mmm...
0
Triste...
0
Wow !
0

Auteur/Autrice

Voir les commentaires (0)

Répondre

Votre adresse Email ne sera pas publié

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.