Ce Nord qui licencie : portraits d’ouvriers
Ce Nord qui licencie : portraits d’ouvriers
Aymeric, 42 ans, 21 ans à Cargill
Cette usine, on l’a toujours connue ! J’étais pas d’Haubourdin, mais de Marquette, et je jouais au foot au stade Beaupré juste derrière les bâtiments. J’ai fait 2/3 emplois d’été, un peu de CDD et d’interim, et après j’ai trouvé un contrat chez Cargill. Après 18 mois de CDD, j’ai été embauché.
"C’est carrément dégueulasse ce qui se passe. On nous a toujours dit qu’on allait fermer avant le verre, qui est en face, et c’est pas arrivé donc on était optimistes. Mais ce qui s’est passé ces dernières années, c’est qu’on a arrêté de transmettre le savoir, les formations sont devenues bâclées. On s’est aperçus qu’il y avait de plus en plus de cadres qui arrivaient, leur façon de pensée était parfois aberrante. Ils étaient pas du tout compétents, ils ne connaissaient parfois pas le boulot…"
© Quentin Saison / Pépère News
Ce Nord qui licencie : portraits d’ouvriers
Jean-Luc, 50 ans, 30 ans à Cargill
Ça fait 30 ans que je travaille à Cargill. Mon grand-père a travaillé après la guerre dans cette entreprise, j’y travaille moi-même et mes deux fils également. C’est vraiment une histoire de famille.
Retrouver un travail à 50 ans, ça va être compliqué, surtout avec le contexte actuel. Tout est chamboulé avec cette histoire de Covid, nous on sait très bien que le travail va être compliqué à trouver. Après 30 ans de boutique on se demande sur quelle reconversion on va repartir. On fait partie de la chimie, et c’est un secteur où il y a déjà pas mal de licenciements un peu partout dans les boîtes.
"C’est un problème général, dans les HDF et en France également. Il y a plein de sociétés qui engrangent les profits, qui touchent des aides de l’État par le CICE ou les allégements de charges patronales, qui opèrent pas beaucoup de primes de transfert. Elles font des bénéfices par leurs filiales dans les pays où la charge fiscale est moindre et elles profitent de tout ces systèmes qui sont autorisés par l’État."
© Quentin Saison / Pépère News
Ce Nord qui licencie : portraits d’ouvriers
Maxence, 37 ans, 15 ans à Agfa
Je suis assistant du contrôleur de gestion. J'ai toujours bossé à Agfa. Comme tout le monde, je vais perdre mon salaire… On a construit notre vie en fonction de ce salaire et si on l’a plus, tout va forcément changer. Ca veut dire qu'il y a de l’incertitude, mais à 37 ans je me dis que la fermeture de l’usine c’est pas la fin d’une vie. Est-ce que ça sera mieux, est-ce que ça sera moins bien ? J’en sais rien mais je trouverai quelque chose. Je sais que je vais rebondir.
"J’ai passé 15 ans avec des collègues auprès desquels je me suis attaché. C’est comme une deuxième famille. C’est de ne plus être avec eux qui va être un grand changement."
© Quentin Saison / Pépère News
La situation économique post-Covid est critique dans le Nord. La région semble être l’une des premières sinistrées en matière d’emploi, puisque au moins 1.000 licenciements dans le secteur industriel sont prévus dans les trois prochains mois.
“C’est comme une deuxième famille. C’est de ne plus être avec eux qui va être un grand changement.” Maxence a 37 ans et a passé la moitié de sa vie à travailler pour Agfa. Comme 174 de ses collègues, Maxence va être remercié. En janvier, l’usine de Pont-à-Marcq sépcialisée dans la production de plaques d’impression devrait déjà avoir fermé ses portes, elle qui s’inscrit dans la vie de la commune depuis 1935. La situation n’a pourtant rien d’extraordinaire. Partout, autour de Lille et dans les Hauts-de-France, ça vire. Le géant mondial de l’agro-industrie, Cargill, est prêt à licencier jusqu’à 180 salariés de son usine de Haubourdin. Mais c’est le plan de licenciement mené par l’entreprise Bridgestone qui s’avère le plus carnassier, puisque 863 emplois sont menacés.
La Covid, seule responsable ?
Si la crise sanitaire n’a fait de bien à aucune entreprise, on peut douter que la Covid soit la seule responsable des fermetures d’usines et des licenciements. En fait, le modèle industriel lui-même y est pour beaucoup : il est parfois vieillissant, moins en phase avec la demande. La production de l’usine de Pont-à-Marcq, pour ne citer qu’elle, aurait ainsi largement baissée. À la direction de se justifier : “Ce marché a vu, au cours des dernières années, une chute importante et durable des volumes de plaques d’impression et une érosion substantielle des prix.”
Pour autant, les syndicats des usines concernées par les licenciements voient le problème ailleurs : la compétitivité vis-à-vis des marchés asiatiques n’est plus tenable. Bridgestone l’assume d’ailleurs : l’usine de Béthune n’est plus capable de concurrencer les manufactures chinoises, indiennes ou indonésiennes. C’est notamment ce qui pousse certains employés à s’interroger, comme ceux d’Agfa : la Covid ne sert-elle pas de prétexte pour pouvoir délocaliser ? Pour Patrick Deletombe, délégué CGT interrogé par des journalistes de 20 Minutes, le bien-fondé de ce licenciement économique reste à prouver. “Pour nous il s’agit d’une fermeture plus stratégique qu’économique.”
La parole des ouvriers
Lors d’une réunion avec la préfecture le 11 septembre, nous avons interrogé trois ouvriers syndiqués des usines de Cargill et de Haubourdin. Cliquez sur leur portrait pour accéder à leurs témoignages.