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Des militants d’Extinction Rebellion se mobilisent pour défendre la résilience alimentaire

Des militants d’Extinction Rebellion se mobilisent pour défendre la résilience alimentaire

Entre l’arrêt de l’interdiction des néonicotinoïdes, les suites de la Convention citoyenne sur le climat et le débat toujours persistant autour de la 5G, l’actualité environnementale ne s’arrête pas en temps de coronavirus. Les activistes lillois du mouvement Extinction Rebellion l’ont bien compris en organisant une nouvelle action de désobéissance civile, mercredi, intitulée “Ça va pas supermarcher”.

Aux alentours de 11 heures, le centre commercial V2 de Villeneuve-d’Ascq baigne dans un calme plat, guère perturbé par le froid glacial de cette matinée d’octobre. Les rares passants se promènent de boutique en boutique avant de regagner le parking, les bras chargés de sacs plastique. Ça ressemble à une journée parfaitement normale. Jusqu’à ce qu’une apparition soudaine ne vienne perturber le paysage : des poubelles vertes surgissent à l’entrée du rond-point menant au supermarché Auchan, comme sorties de nulle part. Ces poubelles sont percées de quatre tuyaux métalliques au bout desquels s’attachent quatre bras humains. Sur le couvercle de ces structures étranges, un logo formé par un sablier dans un cercle. Et ce slogan : “Act Now”.

La désobéissance civile comme moteur

C’est la signature d’Extinction Rébellion (XR), mouvement né à Londres en octobre 2018 dans le but d’alerter la population et les pouvoirs publics sur l’urgence climatique. Son principal moyen d’action est la désobéissance civile, concept forgé par le philosophe américain Henry David Thoreau consistant à braver une loi de manière consciente et réfléchie afin de protester contre son incohérence. L’organisation a rapidement pris une portée internationale en se faisant connaître par des actions spectaculaires comme le blocage des cinq principaux ponts londoniens, de la place du Châtelet à Paris ou encore du Parlement québécois à Ottawa. Une antenne lilloise est née en avril 2019 et s’est déjà distinguée par quelques opérations choc.

Dimanche dernier, les activistes d’XR ont déversé du faux sang à la Citadelle pour dénoncer la 6ème extinction de masse. © Quentin Saison / Pépère News

La viralité est au centre du projet d’Extinction Rebellion, qui considère que la lutte contre le réchauffement climatique se joue aussi sur le terrain médiatique (comme le montre l’occupation récente des imprimeries de plusieurs journaux britanniques détenus par la News Corp de Rupert Murdoch). Les “rebelles” doivent alors rivaliser d’imagination pour attirer l’attention du public. “Parfois certaines personnes nous prennent pour des clowns, mais au moins ils se souviennent de nous”, résume une militante.

Une mobilisation ciblée et pacifiste

Autour du bien-nommé “rond-point du XXIème siècle”, le blocage s’organise. Différents rôles sont attribués : il y a d’abord les bloqueurs, chargés de barrer la route aux automobilistes, les médiateurs, qui s’occupent d’expliquer au public les objectifs du mouvement, ou encore les conciliateurs dont la mission est d’échanger avec les forces de l’ordre. La police est en effet présente depuis le début de la confrontation. Ils tentent de déloger les bloqueurs, en vain. Ces derniers sont accrochés à la poubelle par des “armlocks” (bloqueurs de bras) impossibles à démanteler sans leur consentement, tandis que les poubelles sont chargées de béton très difficiles à soulever. Il s’agit alors de faire durer le blocage le plus longtemps possible. Malgré cela, les rapports avec les policiers restent globalement cordiaux, et plusieurs d’entre eux disent comprendre les revendications des rebelles. La désobéissance civile repose sur un principe de non-violence, puisque c’est avant tout par l’action symbolique que ses partisans souhaitent alerter l’opinion publique. Tout cela dans le respect affiché des mesures sanitaires, avec port du masque et groupes de moins de dix personnes.

La police est rapidement intervenue sur les lieux du blocage. © Quentin Saison / Pépère News

“Changer de système”

Pourquoi bloquer l’entrée d’un supermarché Auchan ? L’action du jour dénonce la faillite programmée du système agroalimentaire dominant, encore très dépendant de l’étranger et des énergies fossiles. “À l’heure actuelle, les lieux où l’on se sert en nourriture sont dépendants à 90 % du pétrole entre la production, le transport et l’emballage, explique Jacqueline, psychologue dans le civil. On veut pouvoir dire aux gens que le jour où on n’aura plus accès au pétrole, ce sera un véritable problème pour nourrir la population.”

Les militants pointent aussi du doigt les conditions de rémunération dérisoires des producteurs français, obligés de niveler les prix par le bas, alors que deux agriculteurs se suicident chaque jour d’après les derniers chiffres fournis par la Mutualité sociale agricole (MSA). Par opposition au modèle ultra-mondialisé, qui a “montré ses failles” pendant la pandémie de coronavirus, les rebelles prônent les circuits courts, la consommation locale et le commerce de proximité. L’objectif étant d’arriver à la résilience alimentaire, c’est-à-dire une structure de production capable de se réorganiser tout en conservant les mêmes fonctions. “Il est encore temps de changer de système”, poursuit Jacqueline.

Les militants n’hésitent pas à donner de la voix pour faire entendre la cause écologiste. © Quentin Saison / Pépère News

Parmi les activistes lillois, on retrouve des retraités, des jeunes actifs et quelques étudiants. Certains sont là depuis le début du mouvement, d’autres vivent leur première action de désobéissance civile. Ce blocage de rond-point n’est pas sans rappeler le mouvement des gilets jaunes, auquel plusieurs rebelles nous confient avoir participé. Autre similitude : Extinction Rebellion revendique un fonctionnement horizontal, sans chef de file ni carte d’adhésion, dont n’importe quel citoyen peut se réclamer à tout moment. Sans toutefois porter de projet politique, comme l’explique un militant : “On est juste des citoyens, ce n’est pas à nous de prendre les décisions, on en a juste marre des politiques qui sont au courant mais ne font rien.” La désobéissance civile apparaît dès lors comme un moyen privilégié pour faire pression sur les pouvoirs publics. En Angleterre, par exemple, les militants d’XR ont obtenu le vote par le Parlement britannique d’un texte proclamant l’urgence écologique et climatique. Ici, les militants poussent pour que les propositions de la Convention climat soient véritablement reprises par Emmanuel Macron (la création d’une assemblée citoyenne pour accompagner la transition écologique est d’ailleurs l’une des quatre revendications d’Extinction Rébellion).

Fin de parcours

Grâce aux renforts débarqués sur place, la police parvient finalement à rétablir la circulation autour du rond-point, non sans soulever quelques protestations du côté des militants. Ceux-ci reprochent notamment aux agents d’avoir utilisé un pied-de-biche pour tenter de briser un armlock ou encore d’avoir traîné au sol un jeune activiste sur plusieurs mètres, pratique interdite par la loi. Un seul militant a été arrêté et mis en garde à vue, les autres s’en tirent avec un simple contrôle d’identité. Le blocage aura duré moins de deux heures, mais les militants préfèrent retenir le positif. “Un monsieur m’a abordé en commençant par dire qu’on était que des sales bobos, puis à la fin il est venu s’excuser”, s’amuse une médiatrice. Cette action, la troisième de la semaine dans les Hauts-de-France, s’inscrit dans le mouvement de la rébellion internationale d’octobre, destinée à fédérer les points d’ancrage d’Extinction Rebellion dans le monde entier.

Extinction Rebellion
Les forces de l’ordre ont dû déplacer les bloqueurs sur le trottoir. © Quentin Saison / Pépère News

Autour du centre commercial, tout semble redevenu comme avant. La petite foule de curieux s’est rapidement dispersée, et les banderoles en lettres majuscule ont laissé place aux panneaux publicitaires habituels. Seuls les observateurs les plus avisés s’interrogeront sur la présence incongrue d’une botte de foin à l’entrée du parking d’Auchan. Un gros coup de vent, sans doute.

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