Eiffel, le biopic qui donne le vertige
Sorti en octobre dernier, Eiffel se veut être un biopic romançant la vie de l’ingénieur qui a donné à la France son monument le plus emblématique, la tour Eiffel. Si le film de Martin Bourboulon est centré sur une histoire d’amour fictive entre le protagoniste et un amour de jeunesse retrouvé, ce n’est pas tant l’éloignement de la réalité qui dérange. C’est davantage le personnage d’Adrienne, incarnant le premier amour de Gustave, dont la construction aussi bien que le casting fait réagir.
« Librement inspiré de faits réels », tels sont les mots qui s’affichent sur l’écran au début du film. Effectivement, le long métrage s’avère être une adaptation très romancée de la vie de Gustave Eiffel – interprété par Romain Duris. Plus que de retracer le parcours du célèbre ingénieur auquel on doit la Dame de fer, Eiffel se focalise sur l’histoire d’amour impossible entre Gustave et Adrienne. Seulement, voilà. Adrienne, censée frôler la cinquantaine d’années, est interprétée par Emma Mackey qui en a 26. Si le jeu de l’actrice n’est pas remis en cause, on ne peut s’empêcher de se questionner. Une femme de 40 ans est-elle trop vieille pour interpréter le rôle d’un personnage de son âge au grand écran?
Un romance qui prend trop de place
A l’occasion de l’exposition universelle de 1889 à Paris, le gouvernement de l’époque commande à Gustave Eiffel, propulsé par le succès de la Statue de la liberté, un monument digne de représenter la France. L’ingénieur, obnubilé par l’élaboration d’un métro parisien, ne s’intéresse initialement que très peu à ce projet, jusqu’à ce que son chemin croise celui d’Adrienne, son premier amour perdu 20 ans plus tôt. Elle est donc celle qui aurait tout bouleversé, influençant la construction de la tour jusqu’à sa forme. Le film se clôture effectivement sur un croquis de l’ingénieur, laissant penser que la forme en A du monument ferait référence au prénom de la jeune femme. Aussi, tout le film se concentre sur cette figure féminine, et plus particulièrement sur ses émois amoureux avec l’ingénieur centralien.
Si une petite touche de romance ne fait jamais de mal, l’équilibre est complètement absent du film. La construction de la tour passe au second plan, laissant la vedette à la liaison entre les deux protagonistes. Mais donner une si grande importance à la romance entre Gustave et Adrienne, c’est occulter tout le génie d’Eiffel, l’aspect architectural, la dimension historique, la partie technique de la construction aussi bien que son budget pharamineux, ou encore les vagues de révoltes qu’elle a occasionné. Au final, le contexte de la construction de la tour ne sert que de toile de fond à une histoire d’amour peu recherchée.
Un casting à faire monter dans les tours
La différence d’âge entre les deux protagonistes interroge. En effet, le rôle d’Adrienne, une femme d’une quarantaine d’années, est interprété par Emma Mackey qui en a 26. Aux côtés de Romain Duris qui fête cette année ses 48 printemps, l’écart d’âge ne passe pas inaperçu, et son manque de pertinence dans le film le rend d’autant plus intrigant. Pourquoi avoir préféré une jeune actrice à une femme de l’âge du personnage pour ce rôle ?
Les costumes travaillés aussi bien que les scènes époustouflantes de la Dame de Fer sortant de terre ne suffisent pas à faire oublier ce couac qui ne passe plus en 2022. Quelques années après le mouvement #MeToo, on penserait ne plus avoir à pointer du doigt la misogynie qui réside dans de tels choix de casting. A l’occasion de ces manifestations, bon nombre d’actrices de 40 ans et plus s’étaient mobilisées pour signifier leur frustration face au manque d’opportunités dont elles bénéficient au fil du temps.
Plus encore que le casting, le personnage entier d’Adrienne sonne faux. Mystérieuse, indomptable, espiègle, voire même insaisissable, Adrienne est présentée comme une femme telles qu’elles sont pensées dans les romans écrits par des auteurs masculins. Le personnage n’est pas très développé, ses seuls traits de caractère dans le film étant sa classe bourgeoise, sa rébellion contre sa famille et sa curiosité. En outre, elle n’a d’autre vocation que son amour passionnel et douloureux avec Gustave. C’est étonnant, venant d’un personnage qui se veut moderne et indépendant, d’autant plus que le scénario a été réalisé par une femme, Caroline Bongrand. Le personnage de Claire, la fille de l’ingénieur très effacée dans le film, aurait à l’inverse mérité d’être plus développé. D’autant plus qu’elle occupait une place prépondérante dans la vie de Gustave Eiffel, en tant qu’associée.
Ce sont donc les tourments amoureux de l’ingénieur qui portent le film, plus que la construction de l’œuvre de sa vie. Un ensemble vertigineux, qui rend le tout pauvre au vu du potentiel qu’avait une telle histoire.