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Elections italiennes 2022 : l’extrême-droite de retour au pouvoir

Elections italiennes 2022 : l’extrême-droite de retour au pouvoir

L'extrême-droite n'est plus taboue : ici, Giorgia Meloni, probable dirigeante de l'Italie, lors de la CPAC, la conférence du Parti républicain américain.

L’Italie vient d’élire ses gouvernants et sans surprise, la coalition menée par la candidate post-fasciste Giorgia Meloni arrive en tête du scrutin avec 44% des voix. G. Meloni devrait devenir la première femme à diriger le pays. Le Pépère a suivi quatre jeunes transalpines pour savoir comment elles ont vécu ces élections.

Le 25 septembre, les Italiens se sont rendus aux urnes pour choisir qui les gouvernerait. Malgré l’aversion qu’elle inspire à une grande partie de la population, notamment les jeunes, la coalition menée par la post-fasciste Giorgia Meloni (photo ci-dessus) a triomphé avec 44% des voix (tous les chiffres viennent du ministère de l’Intérieur italien). Elle arrive loin devant le centre-gauche (26% des voix), le Mouvement Cinq Etoiles (16%) et l’alliance centriste (7%). Avec ses alliés, l’ancien Président du Conseil Silvio Berlusconi et le nationaliste Matteo Salvini, Giorgia Meloni contrôle désormais le Parlement. Les pas de la Botte se tournent dangereusement vers l’extrême-droite, une menace pour les droits des LGBT+, des femmes, et des minorités ethniques. Quatre jeunes Italiennes éparpillées entre Lille, Salamanque et Trente ont confié au Pépère ce que cette victoire du post-fascisme leur inspirait.

Un cerbère ultra-conservateur

Pour comprendre ce qui s’est passé en Italie, il faut avant tout se pencher sur son labyrinthique système électoral. Chaque électeur a deux voix, l’une pour la Chambre des députés (400 sièges), l’autre pour le Sénat (200 sièges). ⅜ des parlementaires sont élus au suffrage majoritaire à un tour dans leurs circonscriptions respectives. Pour simplifier, le candidat qui a le plus de voix au premier tour est élu. Le reste est choisi à la proportionnelle : si un parti obtient 25% des voix, 25% des sièges lui sont attribués, avec un seuil minimal de 3% (10% pour une coalition). “C’est vrai que c’est compliqué” reconnaît avec humour Elisa Gaggioli, étudiante en Master de science politique à Trente, dans le Nord-Est. Son amie Ida, qui suit le même cursus qu’elle, a expliqué au Pépère les calculs savants que cela implique, peu avant le scrutin : “[il faut que je]  considère à la fois le soutien national pour chaque coalition et ce qui pourrait compter pour ma région, la Vénétie”. 

Le système italien tend à favoriser les coalitions, qui permettent de capter une part plus large de l’électorat. Les partis de droite  ont été assez intelligents pour s’allier, alors qu’à gauche il y a un seul grand parti, le PD [Partito Democratico, Parti Démocrate, un parti de centre-gauche, NDLR], et il n’a pas réussi à former d’alliance digne de ce nom” déplore Elisa Cuccagna, étudiante en ingénierie à l’ICAM (Lille). Résultat, trois partis conservateurs vont entrer au gouvernement. Le premier dans les urnes avec 26% des voix , Fratelli d’Italia, revendique plus ou moins ouvertement l’héritage fasciste de Mussolini. Son leader, Giorgia Meloni, devrait devenir la prochaine Présidente du Conseil, la première femme à atteindre ce poste. La deuxième tête de ce cerbère s’appelle La Lega. Alors qu’il y a quelques années, cette formation nationaliste dominait la droite de l’échiquier politique, elle doit se contenter de 8% des voix aujourd’hui. Enfin, Forza Italia, le parti de droite du sulfureux ancien Premier ministre Silvio Berlusconi complète cette triade, captant lui aussi environ 8% des  voix.

Giuseppe Conte, le leader du parti anti-système le Mouvement Cinq Etoiles, le 27 mai 2018 ©Presidenza della Repubblica (Wikimedia Commons)
Giuseppe Conte, le leader du parti anti-système le Mouvement Cinq Etoiles ©Presidenza della Repubblica (Wikimedia Commons)

Des jeunes Italiens déboussolés

Face à la montée inexorable de l’extrême-droite, les réactions de beaucoup de jeunes transalpins oscillent entre sentiment d’impuissance, amertume et colère. Pourtant, la nouvelle loi électorale a permis aux citoyens de voter dès 18 ans – il fallait attendre d’en avoir 25 pour voter pour le Sénat avant . Mais les 4,1 millions de nouveaux électeurs,  plus hostiles au nationalisme que le reste de la population, n’ont pas pu empêcher sa victoire. Tous les vieux qui voteront le 25 septembre pour Giorgia Meloni et Fratelli d’Italia, ils ne seront pas là quand on aura les séquelles de son régime politique” estimait Ginevra Vulterini, quelques jours avant les élections. Étudiante à l’ESJ Lille partie en Erasmus à Salamanque, en Espagne, elle a suivi les élections de près. Elle n’a pas de mots assez durs pour celle qui va probablement diriger le prochain gouvernement : Pour moi, Giorgia Meloni, à côté d’Olaf Scholz [le chancelier allemand, NDLR] et Macron, elle n’a qu’à se cacher !” 

Si elle a su profiter de l’érosion des partis plus classiques comme le Parti démocrate,  la femme politique a moins convaincu les 18-34 ans. D’après la chaîne italienne Rai News 24 , 20% d’entre eux ont choisi le Mouvement Cinq Étoiles (un parti anti-système qui a semblé virer vers la gauche récemment) et 16% ont plébiscité le Parti démocrate. Fratelli d’Italia, le parti post-fasciste, n’arrive qu’en troisième position avec 15% des suffrages J’aurais aimé que le PD s’allie avec le Mouvement Cinq Étoiles” confie Elisa Cuccagna. Mais PD veut continuer à soutenir l’Ukraine militairement et économiquement [contrairement au Mouvement Cinq Étoiles, NDLR], et beaucoup de gens ne veulent pas ça.” Elle avoue avoir peur de Poutine” et considère qu’on ne peut pas mettre fin à une guerre en envoyant des armes.” Ce genre de dissensions entre les partis de gauche a empoisonné la campagne. Honnêtement, c’était un cirque, plus ou moins tous les candidats ont passé plus de temps à s’insulter qu’à nouer des alliances et parler de leur programme” regrette Elisa Gaggioli, l’étudiante en sciences politiques à Trente. Son amie Ida aurait aimé que la place des jeunes dans la campagne soit plus grande : nous sommes généralement négligés par les partis majeurs” estime-t-elle. 

D’autres problèmes ont nourri l’abstention record, notamment chez les jeunes. Ceux-ci ont aussi souffert de problèmes d’organisation. Les étudiantes qui ont parlé au Pépère sont toutes des fuori sede, un mot italien qui désigne les personnes qui ne vivent pas dans leur ville d’origine, là où elles sont inscrites sur leurs listes électorales. J’ai reçu l’enveloppe avec les documents nécessaires pour voter le 20 septembre, alors que selon la loi tout devait arriver pour le 5 septembre, et les élections pour les étrangers se terminaient le 22. Le consulat devait recevoir mon enveloppe le 22 à 16h, alors que je l’ai envoyée le 21. La Poste ne l’a pas fait arriver à temps, et je n’ai pas pu voter,” témoigne Ginevra Vulterini. Sans parler des obstacles rencontrés par les personnes transgenres, qui n’ont souvent pas de documents conformes à leur identité, alors que les listes électorales italiennes sont divisées par genre. Ajoutez à cela la très grande complexité du système, une forte pauvreté (plus on est pauvre, moins on vote) et une campagne qui s’est surtout déroulée en été, et vous avez une recette parfaite pour favoriser l’abstention.

Enrico Letta, leader du PD (centre-gauche), le 14 septembre 2017 © UK in Italia (Wikimedia Commons)
Enrico Letta, leader du PD (centre-gauche) © UK in Italia (Wikimedia Commons)

Quel avenir pour l’Italie ?

Si sa victoire ne fait aucun doute, la nationaliste Giorgia Meloni n’est pas officiellement Présidente du Conseil dès aujourd’hui. Il faut pour cela qu’elle soit nommée par le Président de la République (un rôle globalement honorifique), qui doit choisir la personne capable de former la plus grande coalition. Elle doit ensuite être adoubée par le Parlement lors d’un vote de confiance. Mais l’inquiétude règne déjà face à son programme réactionnaire. Cela me rend à la fois triste et en colère de voir que le parti le plus soutenu d’Italie soit un parti historiquement lié au fascisme, et que les gens ne s’en rendent pas compte, s’en fichent, ou soutiennent quand même ses idées” se lamente Ida. 

Si vous avez le moindre doute sur l’idéologie de Fratelli d’Italia, voici un florilège. Sa devise pour commencer, Dieu, famille, patrie” qui fleure bon les années 1940. Ou alors la flamme de son emblème, la même qu’on retrouve sur la tombe du dictateur fasciste Benito Mussolini et sur le logo du Rassemblement National. Les positions idéologiques de G. Meloni sont à l’image de ce symbolisme réactionnaire savamment cultivé : croyance en la théorie raciste du Grand Remplacement des Italiens de souche” par des immigrés non-blancs, opposition aux droits des femmes ou à ceux des LGBT+, la liste est longue et peu réjouissante. A des années-lumières des préoccupations des nouvelles générations, comme l’environnement, la qualité des écoles et des universités ou les droits des minorités. Pour tout ce qui concerne les droits sociaux, la victoire de Giorgia Meloni est très inquiétante” s’alarme Elisa Cuccagna.  

Si le complexe système de répartition des sièges ne permet pas pour l’instant de savoir à quoi ressemblera le Parlement, l’institut de sondage YouTrend projette une majorité relative pour Fratelli d’Italia, qui peut atteindre la majorité absolue grâce à son alliance avec Forza Italia et La Lega. Toutefois, la coalition ne devrait pas atteindre le seuil des 2/3 de sièges contrôlés, nécessaire pour réformer la Constitution.Ce que je peux toujours espérer, c’est une opposition importante, pas seulement numériquement mais aussi moralement” se projette Ida.  “Le meilleur scénario possible dans cet enfer, ça serait que les partis qui vont se retrouver dans l’opposition ne se plient pas sans réfléchir à la volonté de l’extrême-droite”. Pour la jeunesse italienne, l’avenir s’annonce morose.

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