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ENQUÊTE. Où sont passées les bourses de mobilité étudiante ?

ENQUÊTE. Où sont passées les bourses de mobilité étudiante ?

AMI, Erasmus... où sont les bourses ?

Alors que l’Union européenne et l’Etat français sont supposés allouer des aides économiques spécifiques aux étudiants en mobilité internationale, les boursiers ne voient toujours pas l’ombre des sommes promises, plus de deux mois après le début de certaines rentrées universitaires. Un retard à l’échelle française, mal-géré par l’État, aux conséquences lourdes pour les étudiants les plus précaires.

“Et toi, t’as reçu tes bourses ?” Depuis plusieurs semaines, la question taraude les étudiants français en mobilité internationale. Tant du côté des Erasmus, qui n’ont pas encore perçu d’argent de l’Union européenne, que chez les boursiers sur critères sociaux : dans le Nord ces derniers n’ont pas encore vu la couleur des bourses AMI (voir encadré). Le retard commence à se faire sentir, tandis que plusieurs centaines d’euros par mois sont en jeu.

Plusieurs dispositifs d’aides financières sont proposés aux étudiants en mobilité internationale, financés par les collectivités territoriales, l’Etat ou l’Union européenne.

  • L’Aide à la Mobilité Internationale (AMI) d’abord, est une bourse d’Etat accessible sur critères sociaux qui vient compléter la bourse versée mensuellement par le Crous.
  • L’Union européenne propose également la bourse Erasmus Plus, distribuée dans tous les établissements d’enseignement supérieur participant au programme Erasmus+. Si elle est généralement moins sélective que les autres, libre à chaque établissement d’en définir les critères d’attribution. A l’Université de Lille, par exemple, ça se fait selon la destination, le quotient familial et le mérite.
  • Enfin, les étudiants en mobilité internationale peuvent prétendre à d’autres bourses proposées par les collectivités territoriales (départements et régions notamment, mais aussi communes comme à Liévin). Dans les Hauts-de-France, c’est la bourse Mermoz, non-cumulable avec l’AMI.
Ce système de bourses représente une facette essentielle du financement des mobilités internationales étudiantes, puisqu’il peut représenter des sommes considérables. A titre d’exemple, l’AMI représente 400€/mois pour l’année scolaire 2021-2022.

L’argent traîne, à qui la faute ?

Si les aides tardent à arriver, c’est en fait parce que les fonds européens sont bloqués. En effet, pour pouvoir verser les bourses aux étudiants, les écoles et les universités doivent d’abord recevoir une notification de subvention établissant le montant exact qui leur sera alloué par l’agence Erasmus+. Cette année, cette notification est tombée le 11 octobre 2021, explique la Direction des mobilités internationales de l’Université de Lille. L’agence Erasmus elle, justifie ce retard par l’achèvement du programme Erasmus+ 2014-2020 et par l’arrivée de la programmation 2021-2027, nécessitant le vote d’une nouvelle enveloppe budgétaire.

En 2021, année de transition d’un programme à l’autre, les appels à projets ont démarré plus tardivement que d’habitude – Agence Erasmus+ France

C’est ce retard qui a de lourdes conséquences pour les universités, et semble expliquer que peu d’étudiants aient pour l’heure perçu leurs aides. À l’Université de Lille, les commissions de bourses chargées de répartir ces dernières s’étaient déroulées au mois de juin, anticipant des fonds stables par rapport aux années précédentes. Mais le budget de l’établissement a en réalité subi une baisse considérable. “Dans notre demande de subvention, nous avions demandé 2 111 690 €, or nous n’avons obtenu que 1 221 840€. Information que nous n’avons obtenue que le 11 octobre dernier”, se désole la Direction des mobilités internationales de l’université. Une baisse d’environ 42% donc, qui oblige l’établissement à réunir une nouvelle commission de bourses “qui sera chargée de revoir les attributions en fonction des contingents effectivement alloués”. Cette dernière se réunit ce vendredi 22 octobre.

Comment expliquer une telle baisse ? Paradoxalement, l’agence Erasmus nous affirme que le budget a “augmenté de 80% par rapport à la période 2014-2020 […], un budget de transition qui prend en compte les effets de la crise sanitaire (financements non-utilisés en 2020) et sa poursuite sur le premier semestre 2021″. Mais selon les informations de la Direction des mobilités internationales de l’Université de Lille, même s’il y a eu “une hausse globale du budget du programme Erasmus+ pour la nouvelle programmation 2021-27 à l’échelle de l’Europe […], le budget pour cette année a en fait baissé d’environ 26% au niveau national”.

Des questions restent sans réponse. Pourquoi d’autres écoles et universités en Europe ont-elles pu verser dès la fin de l’été des bourses Erasmus+ à leurs étudiants ? On sait de source étudiante que certaines écoles, dont Sciences Po Lille, ont été contraints d’utiliser leurs propres fonds pour verser des premières sommes à leurs étudiants. Mais pourquoi la France n’a-t-elle pas su anticiper la transition vers la nouvelle programmation Erasmus+ qui a entraîné le retard de versement des bourses ? Contacté, le ministère de l’Enseignement supérieur ne nous a, à l’heure actuelle, pas apporté de réponse.

Nous mettons tout en œuvre pour que les étudiants soient le moins impactés possible par cette baisse de budget et pour que nous puissions verser les bourses dans les meilleurs délais – Direction des mobilités internationales de l’Université de Lille

Y a-t-il un risque que les montants des bourses des étudiants français, pourtant confirmés cet été, soient finalement plus bas que prévus ? L’Université de Lille se veut rassurante : “Nous mettons tout en œuvre pour que les étudiants soient le moins impactés possible par cette baisse de budget et pour que nous puissions verser les bourses dans les meilleurs délais”. Mais les fonds n’étant pas là, les conséquences risquent d’être lourdes, pour les étudiants et pour l’Université.

Les étudiants précaires, premières victimes de cette mauvaise organisation

Car derrière ces frasques administratives se cache une réalité bien plus dure : pour de nombreux étudiants, la situation est difficile à assumer. Et ce sont les plus précaires qui comme souvent, sont les principales victimes de ces imprévus économiques. À l’image de Mellissa, 19 ans, étudiante en République tchèque. Issue d’une famille modeste, boursière échelon 5, elle compte essentiellement sur les aides de l’Etat pour pouvoir mener à bien son année d’études à l’étranger. Autant dire que le retard pris dans la distribution des bourses a un impact très concret sur sa vie. Si les aides qu’elle attend n’arrivent pas d’ici novembre, elle sera à court de solutions. Je m’estime pas encore dans la merde, même si ça va être juste ce mois-ci. En revanche quand on va arriver fin octobre et que rien ne sera arrivé, ça sera un vrai problème.”

Mellissa, étudiante en République Tchèque, compte sur les bourses pour vivre. "Ca va être ric-rac ce mois ci, mais quand on va arriver fin octobre et que rien ne sera arrivé ça sera un vrai problème." Photo Quentin Saison
Mellissa, étudiante en République Tchèque, a du contracter un prêt étudiant de 1 000€ pour payer son dépôt de garantie. © Quentin Saison / Pépère News

Une situation également difficile pour Théo, lui aussi étudiant en science politique à l’Université de Lille, venu poser son sac dans les amphis canadiens. “Ici, c’est plus cher que la France. Heureusement j’ai travaillé, c’est comme ça que je tiens. J’utilise les sous que j’ai mis de côté pour vivre. Mais si je n’ai pas de bourses, je ne pourrai pas rester deux semestres.” 

Tu te retrouves à devoir faire tes courses sur l’épargne mise de côté pour passer des concours ou t’acheter une voiture – Maïlys, étudiante en échange en Slovaquie

Théo n’est évidemment pas le seul à devoir “taper dans ses économies”. À vrai dire, tous les étudiants que nous avons rencontré sont dans une situation similaire. À l’image de Maïlys, étudiante en droit partie à Bratislava (Slovaquie). “Tu te retrouves à devoir faire tes courses sur l’argent de ton anniversaire, sur de l’épargne mise de côté pour pouvoir passer des concours, t’acheter une voiture plus tard…” Une situation peu enthousiasmante pour la jeune étudiante en dernière année de licence, qui voit déjà venir les onéreux concours d’entrée en école de journalisme qu’elle souhaite passer.

Maïlys, étudiante en mobilité à Bratislava, attend toujours ses bourses. "Si on nous avait dit le début que ça arriverait plus tard, on aurait pu anticiper et s’adapter. Là c’est le fait de ne pas savoir qui est chiant."
Maïlys, étudiante en mobilité à Bratislava, attend toujours ses bourses. “Si on nous avait dit le début que ça arriverait plus tard, on aurait pu anticiper et s’adapter. Là c’est le fait de ne pas savoir qui est chiant.” © Quentin Saison / Pépère News

Léa-Line, 19 ans, en échange à Pilsen (République tchèque), a elle aussi tapé dans ses économies. J’ai déjà du attaquer mon salaire de cet été, je ne pensais pas que ça viendrait aussi vite. J’ai du déplacer 200€ fin septembre, et là il ne me reste que 150€ pour finir le mois [ndlr: interview réalisée le 13 octobre]. À ce rythme là, je vais cramer toutes mes économies.” Pourtant, Léa-Line reste combative. “Je suis quand même reconnaissante d’avoir autant de bourses, et je suis conscience que ça va arriver donc je ne me plains pas vraiment. Mais je considère que ce retard est le reflet de l’administration française, je suis pas étonnée que ça se passe comme ça.”

Je considère que ce retard est le reflet de l’administration française, je suis pas étonnée que ça se passe comme ça – Léa-Line, étudiante en échange à Pilsen (République tchèque)

Tous ne prennent pourtant pas les choses avec une telle placidité. En temps normal, Elaia étudie à Sciences Po Bordeaux ; cette année, c’est à Prague qu’elle a posé ses valises. “En fait ce qui me bloque, c’est que je ne sais même pas combien j’aurai. J’ai pas de perspective donc j’économise au maximum.” Elle conclue : “Par période, ça me stresse beaucoup. T’es dans l’incertitude constante, ça rajoute un poids.”

Elaia étudiante erasmus prague
Elaia est étudiante en Erasmus à Prague. Pour cette mobilité, elle comptait sur les bourses pour être autonome financièrement et soulager sa mère. Mais le retard et la probable baisse de la bourse Erasmus+ a chamboulé ses plans. © Damian Cornette / Pépère News

Ce poids, c’est aussi celui de la perte d’indépendance. “Je pioche dans mes économies. Ca fait peur, parce que je vois mon livret A se vider, et plutôt vite. J’ai donc dû demander à ma mère de me faire un virement… C’est frustrant de ne pas être autonome financièrement, parce que je l’étais l’année dernière. Tout repose sur ma mère, et c’est déjà compliqué pour elle. Quand ma soeur et moi étions à sa charge, elle ne sortait pas, n’allait pas au restaurant, au cinéma. Là en septembre, elle sortait plus, faisait des trucs qu’elle n’avait pas l’habitude de faire, donc ça m’énerve de devoir lui demander de l’argent. C’est décevant.”

Si on avait su dès le début que ça arriverait plus tard, on aurait pu anticiper et s’adapter. Là c’est le fait de ne pas savoir qui est chiant – Maïlys, étudiante en échange en Slovaquie

Une vision que partage Maïlys, l’étudiante en droit. Elle qui partait initialement car cela ne devait rien coûter à ses parents. Elle qui a une petite soeur qui à son tour va entamer des études supérieures et représenter une charge financière supplémentaire pour ses parents. Maïlys a envoyé beaucoup de mails à l’Université de Lille, dans l’espoir de débloquer la situation, ou du moins de la comprendre. En vain, puisque l’établissement explique ne rien pouvoir faire pour le moment. Ce que Maïlys regrette, c’est ce défaut de communication, alors “qu’on nous avait dit que les bourses étaient sensées arriver au début de l’année. Si on avait su dès le début que ça arriverait plus tard, on aurait pu anticiper et s’adapter. Là c’est le fait de ne pas savoir qui est chiant.”

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