Et le vent vous emporte, chère Olivia de Havilland
La nuit du samedi au dimanche 26 juillet 2020 aura été cruelle pour le monde cinéphile. C’est avec tristesse que ce monde se réveille sur les mots « Dame Olivia de Havilland est décédée pacifiquement de causes naturelles ». L’agent américaine d’Olivia de Havilland a ainsi annoncée la mort de l’actrice de 104 ans, doublement oscarisée et star éternelle d’Autant en emporte le vent.
Il y a de ces personnes que l’on croyait éternelles. De celles qui nous semblaient immortelles, qui nous avaient vu grandir et nous regarderaient mourir. Du haut de son succès phénoménal, Olivia de Havilland semblait pour toujours avoir un regard bienveillant sur le septième art. Entre ascension lors de l’âge d’or hollywoodien et combats de vie, cette femme aura à jamais marqué le cinéma par ses interprétations et ses engagements.
Famille d’actrices, sœurs de rancœurs
Ce n’est pas la première chose qui nous vient à l’esprit lorsque l’on évoque Miss Olivia de Havilland et c’est pourtant loin d’être anecdotique. L’actrice américaine, née le 1er juillet 1916 à Tokyo, fait partie d’une famille baignant déjà dans l’art scénique. Son père, un avocat britannique, a épousée Lilian Fontaine, actrice de théâtre. Avec sa sœur cadette Joan Fontaine, elle va poursuivre les pas de sa mère en embrassant la vie d’actrice.
Alors que les deux sœurs découvrent la vie hollywoodienne et que les opportunités de tournages se multiplient, l’animosité entre elles grandit en même temps que leurs carrières. Leur rivalité est un sujet qui est forcément abordé quand on en vient à parler d’Olivia de Havilland tellement la presse hollywoodienne l’a exploitée. À la suite de la campagne pour l’Oscar de 1942, la rancœur est totale. Les deux sœurs se retrouvent face à face pour l’Oscar de la meilleure actrice : Olivia pour Par la porte d’or de Mitchell Leinsen, et Joan pour Soupçons d’Alfred Hitchcock.
Cette animosité aura rajouté de la profondeur à la personnalité d’Olivia, dont le sujet lui sera constamment rappelé jusqu’à la mort de sa sœur en 2013. « Je me suis mariée avant Olivia, j’ai remporté l’Oscar avant elle et, si je meurs la première, elle sera sans aucun doute furieuse que je l’ai battue », exprimait Joan. Cette violente relation donnera à l’actrice brune le pathos nécessaire pour un attachement du public définitif, et l’érige en idole de toute une génération.
L’étoile hollywoodienne
L’historique des interprétations de l’actrice est varié, ce qui fait d’elle une icône hollywoodienne riche d’expérience. Le premier rôle de sa vie n’a pas été Mélanie d’Autant en emporte le vent (Sidney Howard, 1939) et pourtant, c’est celui-ci qui la magnifie et l’inscrira à jamais dans le Panthéon de la mémoire collective. Qu’on ait vu ce film ou pas, le nom est à lui seul évocateur du succès qu’a été la sortie de ce classique. Ce n’est pourtant pas pour le plus fameux second rôle du cinéma que l’actrice remporte deux Oscars.
Olivia de Havilland se retrouve dans les valses hollywoodiennes grâce au réalisateur Max Reinhardt qui la remarque lors d’une représentation universitaire par sa troupe de théâtre amateur dans Le Songe d’une nuit d’été. Arrivant pendant l’âge d’or hollywoodien, aux budgets et opportunités idylliques, l’actrice signera un contrat de sept ans avec les studios Warner Bros. À partir de là, elle figurera dans Capitaine Blood (1935) de Michael Curtiz, une référence des films de corsaires, ou encore Les aventures de Robins des bois (1938) du même réalisateur.
Au delà de ses premières interprétations, qui s’avèrent être des succès sur grands écrans, Olivia de Havilland découvre la vie fantasque des acteurs hollywoodiens et la presse people en devenant un des couples en vogue avec Erroll Flynn, dont elle a l’habitude de partager l’affiche. Loin d’être réel, ce couple se révèle seulement dans les scénarios et Miss de Havilland repousse les avances de son collègue. Cette histoire aura pourtant enflammé les journaux à scandales, et aura elle aussi participé à faire de l’actrice une des étoiles éternelles des studios hollywoodiens.
« De Havilland Law », la jurisprudence du cinéma
Mais tout n’est pas tout rose à Hollywood, et Olivia de Havilland le comprend vite dans sa carrière. Alors qu’elle est sollicitée pour jouer dans Autant en emporte le vent, la Warner Bros (studio dont elle est sous contrat) ne l’accepte qu’à condition de la « prêter » à son concurrent, la MGM, en échange de deux comédiens. Symbole d’une mise au pas et d’un droit de regard pervers de la part de son studio, cette décision n’est qu’énonciatrice de la suite de sa carrière.
Assoiffée d’expérience et curieuse, Olivia de Havilland souhaite aller au-delà de l’interprétation stéréotypée de l’ingénue afin d’embrasser des rôles plus complexes. Mais face à ses refus multiples de scénarios, la Warner Bros la met au pas. Prenant son mal en patience, la jeune femme attend lucide la fin de son contrat en 1943 pour enfin être libre de choisir ses films, producteurs, rôles et scénarios. Mais le studio ajoute alors les périodes de suspension à la durée initiale du contrat, contraignant l’actrice de 27 ans à prolonger ses obligations envers la Warner Bros. Elle les suit alors en procès.
C’est le début de ses combats, qui se solderont par une victoire louangée de « lucidité et de force d’esprit » par ses semblables. Après une attente, durant laquelle l’actrice va effectuer une tournée dans les bases militaires américaines du Pacifique, le juge en charge de l’affaire assimile la pratique du studio à du « sevrage ». En plus de gagner son procès, l’actrice donne naissance à une jurisprudence dans la défense du droit des acteurs : la « De Havilland Law« .
Merci pour tout, le cinéma.
Incarnant l’image d’une nouvelle actrice assoiffée d’indépendance et de liberté, Olivia de Havilland a permis aux actrices d’apprendre à ne plus se cantonner aux rôles des femmes potiches. En plus d’encourager une libéralisation des interprétations des actrices, son combat face à la Warner Bros a permis aux générations suivantes de s’émanciper des politiques de studios irrespectueuses et contraignantes pour les artistes. Et s’il ne fallait citer qu’une seule de ses autres marches gravies au nom du respect et de l’intégrité, ça serait son interprétation dans La fosse aux serpents (1948) avec son rôle d’internée dans un hôpital psychiatrique. Avec ce portrait réaliste de la schizophrénie, un des premiers que connaît le grand écran, les louanges de tous les milieux fusent pour saluer une prestation juste et nécessaire.
Pour ses engagements et ses interprétations mythiques, elle devint en 1965 la première femme à être présidente du jury du Festival de Cannes. Ultime prestige qui s’ajoute à son palmarès de double oscarisée de meilleure actrice pour À chacun son destin (1946) et l’Héritière (1949). Présidente de Cannes, présidente du septième art, l’actrice se verra recevoir la Légion d’honneur par Nicolas Sarkozy en septembre 2010. « La France est le seul pays où je me sente vraiment moi » confia t-elle un jour. Mais peut on seulement assigner une personne ayant tant apporté au monde du cinéma à une seule nation, à une seule époque ?
Non. Car elle aura marqué toute une génération et aura été la doyenne raisonnée de tant d’autres. Acteurs, réalisateurs, spectateurs et mémoires, tous auront été marqués par une force de volonté et un art plus que maîtrisé. Depuis l’annonce de sa mort les hommages se multiplient, mais la peine est toujours là. Il faut alors se raisonner, se dire que cette géante faisant partie d’une autre époque, d’un temps emporté par le vent. Et puisque les adieux sont toujours durs à prononcer, il vaut mieux alors remercier : au nom du cinéma, merci, chère Olivia de Havilland.