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INTERVIEW. Être artiste en 2020, tête à tête avec un élévateur d’âmes

INTERVIEW. Être artiste en 2020, tête à tête avec un élévateur d’âmes

Camille Faucherre artiste

Une fois n’est pas coutume, le temps n’est pas clément avec les artistes. Ce n’est plus une bruine qui déferle sur les géniteurs de nos heures langoureusement cultivées, mais quelque chose de plus violent, qui les embourbe et les restreint. Le Pépère News a rencontré Camille Faucherre, créateur de spectacle de rue, que le confinement n’esquive pas. 

Camille Faucherre est membre du collectif La Générale d’Imaginaire, structure hybride basée dans les Hauts-de-France. Tous auteurs des textes qu’ils mettent en scène, ses membres sont beatboxers, rappeurs, auteurs, poètes. Un point collige l’ensemble de leurs productions : elles manient chacune des questions de sociétés contemporaines, de ce qui fait commun à ce qui nous différencie.

Décaler le regard des gens en déplaçant celui des artistes. Là est la démarche de l’échange que prône le collectif. “Chacun est porteur de projets et s’occupe de gérer et recruter des équipes en fonction de la magnitude de ce qu’il va produire” précise Camille. L’éducation populaire est le fil d’Ariane de la compagnie.

“L’idée est que l’art peut être fait par tous, pour tous, via tous et surtout que c’est un moyen d’autonomisation des individus, d’émancipation. L’art est un outil au service de l’élévation des âmes.” – Camille Faucherre, membre du collectif La Générale d’Imaginaire

La Générale d’Imaginaire répand ainsi la culture là où on l’accueille, là où elle s’invite : ateliers d’écriture, de théâtre d’espace public, de cartographie, dans les écoles, les ephad, les centres pour jeunes mineurs délinquants, la rue, les MJC, les postes de radio…

Camille Faucherre a étudié la politique en Belgique, arpente l’Europe de temps en temps et s’échoie toujours dans son nord originel. C’est un tout terrain à l’imagination fascinante, la réflexion curieuse et généreuse, au plus proche des réalités. Il nous a ouvert sa porte en bois pour nous raconter sa vie d’artiste confiné. 

Pépère News : Quel impact a eu le confinement sur tes activités ? 

Camille Faucherre : Tout s’est très rapidement mis à l’arrêt à l’annonce du premier confinement : annulation sur annulation. Puis à partir de juin il fallait d’un seul coup refaire tout son calendrier pour l’été et dire oui à tout ce qui arrivait. On est donc passés de “tout annuler” à “tout refaire” pour que ça s’annule à nouveau en automne, parfois sur des prétextes assez fragiles. Alors avec une collègue on en a profité pour écrire un texte qui s’appelle Nouvelles du front. C’est le monologue d’un soignant au temps du Covid, qui a donné lieu à un spectacle qu’on a pu jouer 4-6 fois derrière. Ça m’a permis de sortir un peu mon venin.

Comment s’en est sortie La Générale d’Imaginaire ?

Pour la compagnie, on a eu recours à l’activité partielle. Mais il faut être bien conscient que ça coûte quand même de l’argent à la structure qui le fait.

La ville de Lille a décidé de soutenir les compagnies en les programmant en dernière minute pour qu’elles aient au moins quelques dates cet été. Ça a été une super réaction de leur part. Elle a utilisé l’argent qui était mis de côté pour Lille Plage – projet qui a dû être annulé en raison de la crise –, pour programmer de la culture dans les quartiers. Et pour ce deuxième confinement, on ne sait pas encore si on aura le chômage partiel, mais ce qui est sûr c’est que la programmation ne va pas reprendre de sitôt. 

Quelles leçons as-tu tirées du confinement ? 

J’en ai retenu qu’en un confinement et une grande psychose sur cette maladie, on détruit le travail de 20-30 ans de politique culturelle. Même si certains théâtres ont ré-ouvert après le premier confinement, les gens n’osaient plus y mettre les pieds. 

En espace public, notamment moi en rue, les conseillers ont été extrêmement contradictoires. Je comprends que le gouvernement ne sache pas et je ne lui demande pas de savoir quelque chose qu’il ne sait pas, mais toutes les contradictions ont été dites avec beaucoup de véhémence et toujours dans la posture de “on sait mieux que vous”, ça a été très dur à entendre. 

J’en ai donc tiré une leçon d’humilité. Parfois on fait de l’art en croyant changer vraiment le monde mais on se rend compte que le spectacle vivant n’est pas si important pour les gens. Certes on leur a manqué, mais ils avaient Facebook, les réseaux sociaux, la télé, les films, les muséums en ligne… Mais il faut aussi retenir qu’il y a eu tout un mouvement culturel assez fort. On voit maintenant une vraie appétence : les gens ont vraiment besoin d’art. Puis j’en ai retenu que je me dois d’essayer de cultiver ma joie, de ne pas me laisser bouffer par le pessimisme et la dépression ambiante, pour continuer à être un artiste lucide qui amène des choses au public.

Penses-tu revoir tes spectateurs “comme avant” lorsque cette deuxième vague sera passée ? 

Je ne suis pas très optimiste sur le retour des spectateurs. Tant qu’il y aura des mesures plus dures pour les théâtres et l’espace public que les protocoles sanitaires des supermarchés ou ce genre de structures, ça va être très dur de faire revenir les gens. 

Il y a un énorme travail à re-fournir sur la médiation, sur comment susciter l’envie chez les gens de venir. Parce qu’à part ceux qui soutiennent et qui ont continué à venir, qui ne sont pas assez pour faire nombre, ceux qui allaient occasionnellement au théâtre n’y sont pour beaucoup pas retournés. C’est sorti de leur mode de vie, parce qu’à l’heure actuelle on n’a plus le droit que de travailler : on a le droit de prendre les transports bondés pour aller à son job mais pas d’aller au théâtre le soir ou de voir un spectacle en espace public le week-end. En fait, on n’a plus le droit aux loisirs. Et pour nous, artistes, c’est très dur, ça nous plonge directement dans des univers très pessimistes.

As-tu ressenti une différence de traitement entre les “artistes de rue” et les “artistes de salle” ?

Nous, on dit qu’on fait des arts de la ruse plutôt que des arts de la rue. Les artistes de rue savent s’adapter très vite, tout le temps, en permanence. La Covid-19 circulant moins vite en espace ouvert qu’en espace fermé, on a très vite pu mettre en place les protocoles sanitaires. Dans Nouvelles du front par exemple, le spectateur est convié à une manifestation de soutien à nos soignants les héros. Donc, un manifestant l’accueille à l’entrée, lui distribue un masque, du gel, etc. On a rendu dramaturgique tous les gestes protecteurs et la distanciation physique. On a fait entrer ça dans la narration, et on est pas les seuls à s’être approprié dans nos spectacles les nouvelles règles de conduite. 

Et puis cet été on a vu (un peu) les gens du théâtre de salle venir dans la rue assister à des spectacles qui eux étaient maintenus, ça nous faisait vraiment plaisir. Pour beaucoup, les créateurs ont fait leurs représentations dans la rue en réitérant les erreurs que l’on faisait, nous artistes de rue, il y a 30 ans. Alors on continue à être considérés comme des bouffons et non comme une discipline artistique à part entière. Pourtant, là où l’expérience artistique la plus aboutie se passe c’est dans l’espace public. L’idée est que l’art peut être fait par tous, pour tous, via tous et surtout que c’est un moyen d’autonomisation des individus, d’émancipation. L’art est un outil au service de l’élévation des âmes.

Va-t-il être plus compliqué de faire des représentations dans la rue au lendemain de cette crise ? 

Ça a été compliqué de s’adapter, on a été sidérés par les annulations puis en colère contre les nouvelles contraintes. Il commence à y avoir un vrai mouvement, on est furax et découragés. Après on avait encore le droit de répéter, faire des résidences et des ateliers, donc le droit de tout faire sauf de jouer. 

C’est une situation économique qui commence à être très compliquée pour tout le monde, on va voir ce qui en sera mais je pense qu’il y aura beaucoup de dépôts de bilan. Les petites compagnies où il n’y a pas forcément de salariés, qui dépendent du statut d’intermittent, vont morfler alors que c’est elles qui font l’action culturelle en milieu rural ou dans les lointaines banlieues. Toute la pratique amatrice est aussi ralentie, les gens ont peur. C’est donc très flou et c’est difficile de faire avec ce flou. 

Ce qui me semble important c’est de penser à celles et ceux qui sont encore plus dans la merde que nous : les artistes et notamment les musiciens de musique actuelle, musique debout, qui eux, ont encore moins pu jouer et pour qui ça va durer encore un très grand moment.

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