INTERVIEW – Jason Henry, de la photo de skate au photojournalisme
Jason Henry est un photographe basé à San Francisco, en Californie. Ses photos se démarquent par leur aspect quasi argentique et leur point de vue inhabituel. Attachant beaucoup d’importance à la lumière, il nous étonne avec un objectif qui s’attarde sur les scènes banales pour les sublimer. Il nous accorde quelques instants dans son confinement pour répondre à nos questions.
Pépère News : En quoi consiste ton métier exactement ?
Jason Henry : Je suis photographe en freelance, donc je travaille pour différents journaux et magazines. Il m’arrive aussi de travailler pour des marques.
PN : Tu as travaillé pour The New York Times, Alta Magazine, GQ… Est-ce que tu te vois comme un photojournaliste ?
JH : Oui, évidemment. Je documente les choses depuis mon objectif, c’est comme une preuve historique d’un événement qui a pris place.
PN : Comment es-tu devenu photographe ? As-tu fait des études dans le domaine ?
JH : J’ai découvert la photographie à travers le skateboard. J’ai commencé en photographiant mes amis pour de petits magazines de skate, puis des plus importants. Ensuite, j’ai obtenu des bourses pour aller à l’université. J’ai déménagé à Barcelone en 2005, j’y suis resté un peu puis suis revenu [aux États-Unis] pour mettre les bourses à profit. Je savais déjà que j’adorais la photo, donc j’ai choisi le programme de journalisme et ai commencé à travailler avec des médias.
PN : Est-ce que tu vis de la photographie ?
JH : C’est sûr qu’au début c’est dur de trouver où publier. Une fois que tu as fait quelques projets, les gens voient ce que tu es capable de faire. C’est l’effet boule de neige : de plus en plus de personnes voient ton travail, éventuellement l’apprécient et te contactent pour travailler avec eux. Évidemment, les premières années, c’était assez espacé. Je n’ai pas travaillé pendant un an parce que j’étais en Floride, puis j’ai déménagé à San Francisco, mais les gens pensaient que j’étais encore là-bas donc ils m’appelaient pour des projets alors que je n’y étais pas. Mais, après deux ans à San Francisco, j’ai vraiment pu m’établir en tant que photographe ici.
PN : Est-ce que tu as un conseil à donner aux personnes qui souhaitent devenir photographe ?
JH : Essayez de développer votre propre style. Soyez attentifs au genre de photographie qui vous intéresse et vous attire. C’est important de déterminer ce que vous avez à dire au monde. Concentrez-vous sur le fait de créer votre propre identité en tant que photographe. Au final, les gens vous contacteront pour travailler avec eux parce qu’ils aiment votre manière de voir le monde.
PN : Tes photos se caractérisent par leurs couleurs, leur lumière, comme si tu photographiais à l’argentique. Comment fais-tu pour obtenir cet aspect ?
JH : Avant, je photographiais à l’argentique, mais, avec le temps, c’était une contrainte budgétaire. Je le fais encore de temps en temps. Par exemple, j’ai récemment travaillé pour Butter, une marque de vêtements australienne, et ils demandent toujours de prendre à l’argentique. C’est toujours sympa quand j’en ai l’opportunité mais, pour les médias les plus courants comme le New York Times ou autres, ils n’ont pas le temps ni le budget pour les pellicules et le développement. La plupart de mon travail est fait au numérique.
J’ai un appareil photo Pentax moyen format. J’aime beaucoup cet appareil parce qu’il a un aspect qui ressemble à de l’argentique. Il a une bonne plage dynamique, ce qui veut dire qu’il capture tous les détails dans la lumière comme dans l’ombre. Je n’apporte pas beaucoup d’importance au matériel mais c’est important de comprendre comment un appareil capture la lumière.
PN : D’où te vient ton inspiration ? Tu as des artistes favoris ?
JH : Croyez-le ou non, je dirais la nature. Je passe beaucoup de temps à observer les cycles naturels de la Terre, les différentes espèces, la faune, la flore, la direction du vent, la qualité de la lumière, le soleil, l’atmosphère… Ce n’est pas vraiment une personne, mais je dirais que le monde naturel est ma plus grande inspiration.
PN : Aux États-Unis, comme en France, vous êtes en confinement. C’est sûrement plus difficile de travailler dans ces conditions en tant que photographe. Est-ce que tu travailles toujours ? Sinon, comment fais-tu pour continuer à gagner ta vie ?
JH : Mon travail s’est évidemment beaucoup calmé mais j’ai la chance d’avoir des projets inachevés et d’avoir pu économiser pendant ces dernières années. Je me suis également replongé dans des travaux d’il y a plusieurs années. J’étais si occupé ces derniers temps que je suis passé outre. Maintenant, je ralentis, au sens propre comme au figuré. Je suis isolé, donc j’essaye de prendre des photos depuis chez moi en observant les cycles naturels. Il y a une chanson de Paul Simon, The Obvious Child, dans laquelle il dit : “I’ve been following the light across my room” (“J’ai suivi la lumière à travers ma chambre”), et je pense que c’est quelque chose que j’ai beaucoup fait dernièrement (rires). Avant, quand j’avais régulièrement des projets, je passais mon temps à courir, à être dehors, à aller à des réunions… Maintenant, je n’ai nulle part où aller, alors je suis attentif aux mouvements du soleil. Le mot “photographie” signifie en grec “peindre avec la lumière” et j’ai toujours porté beaucoup d’attention à la lumière mais, maintenant, j’ai tout le temps de le faire.
PN : Qu’est-ce qui te manque le plus avec ce confinement ? Quelle est la première chose que tu vas faire quand tu en sortiras ?
JH : Être avec mes amis est ce qui me manque le plus. Je dirais que la première chose que je ferai après serait de serrer mes amis dans mes bras. Le truc, c’est que la fin du confinement, ce ne sera pas comme un interrupteur que l’on va désactiver, ce sera un relâchement graduel des mesures de distanciation sociale. Les chiffres vont baisser, on va faire plus de tests et le tout sera espacé sur un an ou même plus.
Je crois fortement que l’on ne peut être heureux que par soi-même. Toutes les choses extérieures, les relations, le matériel, ne pourront jamais te rendre heureux parce que le bonheur doit venir de l’intérieur de toi. Donc, à travers cette expérience, j’ai maintenu cette idée, même s’il y a cette tendance à se dire “mes amis me manquent”, on a tout ce dont on a besoin en nous, c’est ce que je crois. Nous sommes des créatures sociales, donc je pense que le contact humain, cette sensation d’étreinte, ce sera la meilleure récompense après tout cela.
Si vous voulez en voir plus sur le travail de Jason Henry, on vous recommande fortement d’aller visiter sa page tumblr ou son compte instagram.