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Joker : Le clown du spectacle

Joker : Le clown du spectacle

Dire que ce film était attendu est un euphémisme. Après l’annonce du projet, les premières bandes-annonces prometteuses et la récompense à la Mostra de Venise, qui pouvait résister à la vague Joker ? Un casting fou, un personnage profond et des intentions louables, tous les ingrédients semblaient réunis pour le chef-d’œuvre… Verdict ?

Arthur Fleck se déguise en clown tous les jours de sa vie. Il tente de se fondre dans la masse, de rentrer dans le moule de cette société qui ne veut pas de lui. Pendant ce temps, les puissants rient à gorge déployée face à la masse populaire. Mais celle-ci gronde et il suffira d’une simple étincelle pour venir tout embraser.

Ça passe ou ça casse

C’était un pari ambitieux que s’était lancé le réalisateur américain Todd Phillips (trilogie Very Bad Trip) connu jusque-là pour ses comédies potaches et populaires. En pleine crise existentielle, ce dernier a avoué en avoir marre de faire des comédies. Alors qui de mieux pour représenter cette transition que le Joker ? Cependant, l’annonce du projet ne fit pas l’unanimité. Comment donner légitimement une histoire à une personne dont le principe est qu’il n’est personne, un homme sans identité ? Todd Phillips balaye le problème du revers de la main. Réalisateur, scénariste et à l’initiative du projet, on pouvait craindre, au vu de sa mauvaise réputation, que l’homme ne soit pas à la hauteur du projet et de ses ambitions. Heureusement, c’est un nouvel auteur talentueux qui se révèle.

Sous son masque de clown, Joaquin Phoenix dépeint un profond désespoir.

Complètement fou

Sa caméra est aussi habitée que son personnage. Aussi discrète que voyeuriste, aussi douce que névrosée, elle accompagne son sujet dans la folie et nous tend la main. Les idées de mises en scène fourmillent pendant deux heures, donnant au long-métrage toute une substance réjouissante pour quiconque prend le temps d’observer.

Après s’être fait tabasser, Arthur, déguisé en clown, reste allongé au milieu de la rue en attendant de reprendre son souffle. Pendant environ trois secondes, du liquide sort de sa fleur en plastique accrochée au veston. Sont-ce les larmes de sa tristesse, le sang de sa souffrance, la raison qui le quitte, ou simplement l’eau de son objet farceur ? En trois secondes, Phillips nous montre l’étendue de ce que sera Joker : une fable métaphorique menant au chaos.

L’ombre scorsesienne

L’action se déroule dans un Gotham City aux allures du New York scorsesien des années 80. Mais dans le climat actuel où s’affrontent peuples et politiques, le propos raisonne redoutablement d’actualité. Transcendant, certes, mais de façon assez binaire. En effet, le combat de lutte des classes représenté ici ne brille pas par sa nuance et on a un peu l’impression qu’il s’agit d’un combat pauvres/riches, sans plus d’aspérité ni de nuance. Au-delà de ce léger point négatif, le film est magistral.

Car a contrario de la plupart de ses pairs, Joker se fiche de dépenser des millions pour des acteurs surpayés et des séquences d’action impressionnantes mais vaines. Il préfère enchaîner les séquences cultes et minimalistes pendant toute une lente descente aux enfers, vers le chaos et la liberté. En ménageant ses effets, il permet une véritable explosion lors de son apothéose. D’abord produit par la société de production de Martin Scorsese, le film en garde les marques : on critique le pouvoir des médias, la société américaine et ses dirigeants. Même la réalisation et le rythme rappellent notre bon vieux Martin des années 90. C’est toujours ironique de voir Hollywood payer pour produire ce genre de film critiquant l’élite. Une auto-critique, un recul sur soi ou un geste irréfléchi ?

Trop violent ?

Malgré les critiques dithyrambiques, tout n’est pas merveilleux pour le Joker. Avant même sa sortie internationale, le film avait déjà suscité la polémique. 7 ans après la tuerie d’Aurora, qui avait fait 12 morts et 70 blessés, pendant la projection de The Dark Knight Rises (suite du Dark Knight qui avait pour méchant… le Joker), on peut comprendre la réaction de certains : la crainte de voir ce sociopathe violent glorifié au cinéma. Des mesures de sécurité hors normes ont d’ailleurs été prises pendant les avant-premières internationales du film qui ne sera pas diffusé dans les cinémas d’Aurora.

Un handicap mental lui provoque des fous rires nerveux

Joaquin Phoenix à propos de la violence dans Joker :

“On a toujours voulu qu’elle paraisse réelle et qu’elle ait un impact, aussi minime soit-il. […] Tout ce qui a trait à la violence dans le film, vous le ressentez au plus profond de vous.”

Joker est sale, glauque, étouffant, éreintant. Il y a de la substance palpable et une violence macabre. Pourtant, il ne glorifie ses actes à aucun moment. Et cette nuance, on la doit surtout à la musique composée par Hildur Guðnadóttir. Lyrique, belle, mais parfois effrayante ; légère mais parfois suffocante. Elle accompagne excellemment bien ce sociopathe vers la démesure de sa folie.

Idole malgré lui

Mais tout ceci n’aurait pu approcher cette perfection sans Joaquin Phoenix. Après le massacre de Suicide Squad, Phoenix fait renaître le Joker de ses cendres pour le rendre plus beau encore. La comparaison avec le regretté Heath Ledger est inévitable mais leurs personnages sont très différents. Alors que le Joker de Ledger était un mercenaire, un agent du chaos, celui de Phoenix est le chaos même, un véritable clown avec le sens du spectacle. En maîtrise constante, le comédien de 44 ans parvient à nuancer chacune des émotions d’Arthur. Des moments de retenue aux explosions infernales, il continue d’étoffer sa palette d’acteur prouvant une fois de plus qu’il est l’un des meilleurs de sa génération. Sa nomination (et victoire ?) aux Oscars ne peut être qu’une évidence. Qui d’autre pourrait rivaliser ?

À une heure où l’on se dit épuisé des adaptations de comics au cinéma, où le spectaculaire n’impressionne plus, à une heure où certains disent qu’Hollywood ne sait plus rien inventer et que les films de super-héros ne sont pas du cinéma, le Joker continue d’agir dans l’ombre. Il évolue en idole malgré lui, un sourire nerveux peint sur la figure.

La bande annonce

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