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La course à la Maison Blanche #7 : le sprint final éclairé par des spécialistes

La course à la Maison Blanche #7 : le sprint final éclairé par des spécialistes

Donald Trup et Joe Biden ©ExpressVPN

L’année 2020 a vu sa juste part d’événements inhabituels, de la pandémie de coronavirus aux récessions économiques. La prochaine élection présidentielle américaine ne fait pas “exception” au manque de normalité de cette année, selon Karim Haggag, professeur de pratique de la politique publique et de l’administration et directeur du Middle East Studies Center de l’American university in Cairo (AUC). Des spécialistes de tous horizons nous éclairent sur les enjeux de l’élection.

Alors que les Américains se rendent aux urnes pour choisir entre garder le président républicain en fonction Donald Trump pour un autre mandat, ou faire venir à la Maison Blanche le candidat démocrate et ex-vice-président Joe Biden, leurs décisions sont prises à un moment critique et auront des conséquences majeures sur l’avenir des deux partis, du pays et du reste du monde.

Une polarisation sans précédent

“L’Amérique est un pays endommagé”, affirme Scott Lucas, professeur d’études américaines à l’Université de Birmingham au Royaume-Uni. “Je ne dis pas cela pour être méchant ou péjoratif. Mais il y a cette polarisation, ce qui signifie que lorsque vous devez aborder des problèmes graves comme une pandémie, le ralentissement économique ou les problèmes sociaux et raciaux autour de Black Lives Matter, vous n’obtenez pas d’engagement”, regrette-t-il. Pour Marie-Christine Bonzom, politologue, journaliste et spécialiste des États-Unis – qui est l’une des rares analystes à avoir entrevu les défaites d’Hillary Clinton face à Barack Obama en 2008 et face à Donald Trump en 2016 –, l’un des enjeux majeurs des États-Unis est de se questionner sur le rôle de l’État fédéral, qui n’intervient jusqu’à présent qu’en temps de crise.

L’Amérique est un pays endommagé.” – Scott Lucas, professeur d’études américaines à l’Université de Birmingham au Royaume-Uni.

À l’heure où la première puissance mondiale est divisée entre l’inquiétude à droite d’une victoire démocrate qui plongerait, selon eux, la nation dans un socialisme catastrophique, et la peur à gauche d’une victoire de Trump qui prolongerait de quatre années le cauchemar des électeurs démocrates, l’élection américaine est devenue “un moment périlleux”, détaille Peter Stearns, historien à l’Université George Mason. “Les deux partis se considèrent non comme des opposants, mais comme profondément pervers, et cela se produit lorsque la confiance dans les institutions s’est effondrée et que chaque groupe choisit de ne pas vivre à proximité les uns des autres. Il semble qu’il n’y ait pas de terrain d’entente”, poursuit-il. Le rejet de l’autre côté est si profond que 31% des partisans de Joe Biden en Virginie disent qu’ils n’accepteraient pas une victoire de Donald Trump comme légitime, et 26% des partisans du candidat républicain ne sont pas disposés à accepter une victoire de son rival démocrate, selon un nouveau sondage du Washington Post – Schar School.

Au Texas, les Américains assistent à un véritable défilé des partisans de Donald Trump le 1er novembre. © Margaux Bossanne

Des rumeurs de guerre civile aux menaces d’intimidation des électeurs, les inquiétudes des Américains au sujet de l’élection et de ses conséquences sont apparues très vite. Les Américains sont particulièrement sensibles à une vision sombre et pessimiste du pays en ce moment, car plusieurs forces puissantes sapent des institutions auxquelles la population fait confiance depuis des siècles, expliquent des universitaires américains qui ont étudié le changement d’attitude populaire. Nicoles Bacharan, historienne et politologue spécialisée dans la société américaine et les relations franco-américaines, confirme : “Depuis qu’il est entré à la Maison Blanche, Donald Trump piétine les institutions démocratiques, à tel point qu’on s’est rendu compte qu’il ne s’agissait pas seulement d’avoir une constitution et des lois pour qu’une démocratie fonctionne.”

A quelques heures des présidentielles, Washington se barricade, redoutant des violences ©Dana Morgane
À quelques heures des présidentielles, Washington se barricade, redoutant des violences. © Dana Morgane

Un président populiste avec une prédilection de showman pour le langage apocalyptique, et la peur de déchaîner les migrants. Une révolution technologique et médiatique qui a considérablement modifié la façon dont les Américains consomment les informations et se politisent. Ajoutez une pandémie effrayante, une explosion de protestations contre les inégalités raciales et un effondrement économique. Résultat : une méfiance omniprésente, un sentiment que la nation la plus puissante du monde ne peut plus s’unir pour une cause commune.

Une incertitude électorale

Si Donald Trump a exhorté ses partisans à “se rendre dans les urnes et à regarder très attentivement”, faisant craindre une intimidation des électeurs, l’issue du vote est entre les mains des minorités. La fin de la course à la Maison Blanche approche alors que les Noirs américains font face au poids d’une crise nationale sans précédent. Le sprint final de Joe Biden vers la Maison Blanche pourrait dépendre de la capacité des minorités à devenir le bloc le plus fidèle des démocrates. Bien qu’ils aient maintenu un avantage considérable parmi les Afro-Américains sur leurs homologues républicains pendant des décennies, le soutien de ce groupe aux démocrates a lentement diminué depuis les dernières années de la présidence de Barack Obama.

Là où il [Joe Biden] risque d’avoir des problèmes dans le cadre du scrutin, c’est auprès des jeunes Noirs de moins de 35 ans qui sont de plus en plus progressistes.” – Marie-Christine Bonzom, politologue et journaliste spécialisée des États-Unis

En effet, Joe Bien renferme des antécédents qui pourraient lui coûter l’électorat noir. Le vice-président de Barack Obama a enchaîné “les blagues à caractère raciste” durant sa campagne, il a également entretenu pendant toute sa carrière de sénateur “des relations très étroites avec des sénateurs ségrégationnistes”, et a en grande partie rédigé des lois des années 1990 qui ont “renforcé considérablement la lutte contre la criminalité [qui visait notamment la population noire, ndlr]“, précise Marie-Christine Bonzom. Elle continue : la communauté noire “connaît bien Joe Biden”, elle connaît ses antécédents, qui ont fait “des dégâts considérables parmi les hommes noirs américains” et elle a le sentiment assez répandu que le parti démocrate “ne s’intéresse à eux que le jour des élections”. “Vont-ils se mobiliser pour voter Joe Biden ou s’abstenir ? On aura le résultat aux urnes”, poursuit la politologue.

Les jeunes du Wisconsin descendent dans les rues après que la police a tiré sur Jacob Blake, un Afro-Américain en Août 2020 ©Brandon Bell
Les jeunes du Wisconsin descendent dans les rues après que la police a tiré sur Jacob Blake, un Afro-Américain, en août 2020 © Brandon Bell

Plus que les jeunes Noirs, c’est vers les jeunes en général que les yeux sont tournés. La génération Z, comme on l’appelle, pourrait bien avoir un impact sans précédent sur l’issue du scrutin. À la manière dont Marian Belk, étudiant vivant en Caroline du Nord, décrit les dernières élections, on comprend que les gens de son âge dormaient il y a quatre ans. Barack Obama venait de terminer son deuxième mandat et il semblait qu’Hillary Clinton allait le remplacer. Beaucoup d’entre eux sont restés à la maison et ne sont pas allés voter. “Nous étions complaisants”, déclare le natif âgé de 26 ans. “Je pense que cette année est totalement différente. Je pense que la génération Z comprend que le moment est venu de mettre le cap sur notre pays.” Il n’est pas le seul : la Caroline du Nord a vu “un nombre record de jeunes électeurs voter au début de cette année”, détaille Maxime Chevraux, professeur agrégé à l’Institut français de géopolitique et politologue spécialiste des systèmes politiques comparés aux États-Unis. “Quelque 462.000 personnes âgées de 18 à 29 ans – une alliance de la génération Z et de la génération Y – ont déjà voté. Cela a plus que doublé leur part de l’électorat depuis les dernières élections.”

Je pense que cette année est totalement différente, je suppose que nous nous sommes tous réveillés en même temps. Pas seulement à cause de ce que nous avons vécu ces quatre dernières années avec Donald Trump, mais cette année en particulier.” – Marian Belk, étudiant américain

Enfin, les “électeurs indépendants”, la plus grande “minorité”, sont une cible précoce et critique des campagnes des deux partis dans les États. Ainsi, les électeurs se déclarant indépendants d’un grand parti politique ont “augmenté à l’échelle nationale de 6 points de pourcentage, à 28% de l’électorat américain, entre 2000 et le concours de mi-mandat du Congrès de l’année dernière dans les États inscrits au parti”, décrit l’analyste Rhodes Cook dans le bulletin politique de Sabato Crystal Ball à l’Université du Virginia Center for Politics. De même, 19% des Américains s’identifiant comme indépendants n’ont vraiment “aucun penchant pour un parti”, selon le Pew Research Center. Ellen Kirschner, Américaine vivant en Floride, explique que ses opinions transcendent souvent les divisions partisanes. Elle veut “plus de contrôle des armes”, mais pas une interdiction totale. Elle convient avec Donald Trump que l’immigration illégale est “un problème”, mais n’est pas d’accord avec son administration sur la séparation des enfants et des parents à la frontière américano-mexicaine. Elle avait voté pour Donald Trump et a l’intention de le faire à nouveau dans quelques heures. Autrefois partisane de l’ancien président démocrate Barack Obama, elle se méfie de l’actuelle fente vers la gauche du parti.

L’importance du vote par correspondance

Le résultat des élections aux États-Unis est généralement connu la nuit du jour du scrutin. Cette année cependant, en raison de l’augmentation du vote par correspondance déclenchée par la pandémie de la Covid-19, les résultats dans de nombreux États devraient être retardés car le comptage des votes par correspondance peut prendre plus de temps. Selon le New York Times, même après le décompte des bulletins de vote anticipés et en personne, un nombre important de votes pourrait encore être en suspens. Seuls huit États s’attendent à ce qu’au moins 98% des résultats non-officiels soient communiqués avant midi le lendemain des élections. Le rapport de la BBC, quant à lui, souligne le fait qu’un candidat qui prend rapidement les devants peut finir par être dépassé à mesure que les votes par correspondance sont comptés.

Partie du bulletin de vote au Wisconsin consacrée au choix du binôme présidentiel en 2016. Selon les Etats, le bulletin diffère et peut parfois être très long. Les Américains ne votent pas seulement pour le Président mais également pour le Congrès, les maires et certains juges. ©Corey Taratuta
Partie du bulletin de vote au Wisconsin consacrée au choix du binôme présidentiel en 2016. Selon les Etats, le bulletin diffère et peut parfois être très long. Les Américains ne votent pas seulement pour le Président mais également pour le Congrès, les maires et certains juges. © Corey Taratuta

Nos deux finalistes approchent de la ligne d’arrivée. Mais qui de Donald Trump ou de Joe Biden remportera cette course à la Maison Blanche ? Réponse dans quelques heures…

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