La psychiatrie à l’heure du Covid-19
Les difficultés que vit le système soignant à l’heure de la crise du coronavirus se font sentir dans tous les domaines, et notamment en matière de psychiatrie. Dans un entretien avec le Pépère News, le Dr Charles-Edouard Notredame, psychiatre de l’enfant et de l’adolescent au CHU de Lille, nous laisse entrevoir le retentissement de l’épidémie sur son activité.
Pépère News : Bonjour, quels ont été les effets de la crise du coronavirus et du confinement sur la pratique de votre métier ?
Charles-Edouard Notredame : Le confinement en psychiatrie a donné lieu, et peut-être pouvons-nous le regretter, à une diminution importante de l’activité, qu’elle soit ambulatoire ou programmée, du simple fait que les gens sont moins venus consulter. Cela s’est fait au profit d’une réorganisation des soins pour assurer une continuité la plus complète possible des prises en charge pour les patients en cours d’accompagnement. De nombreuses ressources ont également été développées et déployées afin de pouvoir répondre aux conséquences psycho-sociales de l’épidémie. Il y a par exemple, au CHU de Lille, un grand dispositif nommé PsyCov réunissant différentes innovations comme une ligne d’écoute pour les soignants, l’organisation de maraudes pour le soutien de ces derniers, une ligne d’écoute pour les accompagnants ou proches des personnes touchées par le Covid-19, une ligne de report des appels issus du Samu et à volet plutôt psychiatrique ou encore un dispositif d’accompagnement des endeuillés du Covid-19.
Qu’est-ce qui a changé dans votre rapport aux patients ?
Je pense que, comme tous les soignants, on a dû “réinventer” notre métier, notamment dans l’accompagnement. En ce qui nous concerne, on fait un fort usage de l’outil téléphonique concernant nos files actives [total des patients vus au moins une fois dans l’année, soit en hospitalisation, soit en consultation, soit en visite à domicile, ndlr] en accentuant surtout sur les personnes les plus vulnérables et les plus souffrantes en ce moment. La vidéo-communication et la télé-consultation ont également été mises en place pour certains cas de figures et on ne s’interdit pas, dans les situations difficiles, de recevoir les patients sur site, au centre médico-psychologique notamment.
Quelles ont été les directives de l’Agence Régionale de Santé (ARS) à votre égard ?
Je ne suis pas au premier plan en ce qui concerne les directives de l’ARS. Mais ce que je sais que tout ce qui est mis en place durant cette période se fait en articulation étroite avec l’ARS.
Vous a-t-il été demandé de libérer des lits ou du personnel afin de pallier à certains manques dans d’autres services ?
Notre service n’a pas été annexé par un autre service de soins plus généralistes. En revanche, une unité a été aménagée pour pouvoir accueillir des patients ayant le coronavirus mais ne pouvant être hospitalisé ailleurs car souffrant d’un trouble psychiatrique. Par ailleurs, certains professionnels ont, du fait de la diminution de l’activité régulière en psychiatrie, pu être mobilisé et venir en soutien dans les services de réanimation ou autres pour lesquels ils avaient les compétences.
En ce qui concerne les enfants, quels sont les effets de la crise actuelle ?
Pour les enfants, ça change beaucoup de choses. Mais au-delà de l’organisation des soins, c’est avant tout leur vie qui est bouleversée. Le fait d’être à domicile, en permanence avec les parents, et non plus à l’école, change complètement la configuration de leur environnement. Dans tous les cas, cela agit sur leur santé mentale, en fonction des différents cas de figure. Un enfant ou un adolescent présentant un refus scolaire anxieux sera par exemple rassuré d’être à distance du milieu scolaire. De la même manière, si la situation familiale est rassurante pour l’enfant, cela peut l’aider à aller mieux. Au contraire, si les relations sont déjà conflictuelles, l’angoisse de ne pas pouvoir partir quand on veut peut augmenter la fragilité psychique ou le risque des pathologies. En ce qui concerne les soins, c’est bien plus compliqué de faire une consultation par téléphone avec de jeunes enfants. Nous n’avons plus accès aux jeux ou autres objets de médiation tels que les dessins, ce qui rend les choses moins évidentes. Il faut, encore une fois, faire preuve d’inventivité. C’est donc ce que nous faisons grâce à la vidéo-communication ou la possibilité de les recevoir.
Depuis quelques années, le promotion de la télé-consultation est vue par certains comme un moyen de faire des économies. La crise actuelle vous oblige à cette pratique, qu’en déduisez-vous ?
Si la télé-consultation permet d’aborder certaines situations pour lesquelles il y a une limitation de l’accès aux soins, c’est très intéressant. Mais il faut savoir que cette question est, d’une part, essentielle dans notre métier et, d’autre part, antérieure à la crise du coronavirus. Les interventions à distance et la télé-consultation sont des choses dont nous avons une grande culture ici à Lille. Le dispositif VigilanS, qui consiste en un re-contact des personnes ayant fait une tentative de suicide, est par exemple né à Lille avant d’être généralisé sur le territoire. Nous avons une grande expérience en ce qui concerne la reprise de contact par téléphone, permettant ainsi d’accélérer la prise en charge de ces personnes si elle étaient à nouveau en difficulté. De la même manière, nous développons un dispositif qui permettra aux jeunes et aux étudiants présentant des idées suicidaires d’accéder à des soins en prenant contact avec nos équipes via les réseaux sociaux. Le but étant, encore une fois, d’augmenter et de faciliter l’accessibilité aux soins, sans diminuer le nombre de consultations “réelles”. On augmente donc les potentialités de notre travail en réfléchissant à des choses compliquées comme la prévention des tentatives de suicide. L’utilisation de l’intervention à distance ou la télé-consultation ne doivent pas être vues comme une fin en soi mais bien comme des moyens.
Enfin, quelle est votre vision du “virage inclusif” demandé aux services de santé depuis quelques années ?
Pour moi, cela consiste en un déploiement de l’ensemble des ressources et une mobilisation de l’ensemble des moyens pour faciliter l’inclusion de personnes en souffrance psychique, voire en handicap psychique. Tout ceci dans un rôle social plein, satisfaisant à la fois pour eux et leurs proches. Cette idée est inhérente à la psychiatrie. Nous travaillons tous les jours afin d’intégrer le plus possible ces personnes à la société et diminuer au maximum leur stigmatisation et les discriminations auxquelles ils font face.