La stratégie du Rassemblement National durablement ancrée dans les Hauts-De-France
Alors que l’on pensait Sébastien Chenu et Xavier Bertrand au coude à coude pour le premier tour de ces élections régionales dans les Hauts-De-France, les deux candidats se retrouvent avec quasiment vingt points d’écart. Le parti de Marine Le Pen, qui avait remporté plus de 40 % des suffrages au second tour lors des précédentes régionales, est-il toujours en mesure de l’emporter ? Éléments de réponse.
Parce que c’est la région française où le taux de chômage est le plus élevé qu’à partir des années 1950, avec le déclin industriel, c’est une part importante de la population qui est tombée dans la précarité. Parce que les perspectives d’avenir demeurent floues et que les incertitudes se multiplient. Pour toutes ces raisons, indubitablement, le Front National a su s’implanter dans le Nord-Pas-de-Calais.
Aujourd’hui, le nom de la région a changé, celui du parti également. Son programme a évolué même si l’on observe bon nombre de constantes au fil des ans. Un pari qui semblait gagnant puisqu’à quelques jours du premier tour des élections régionales, les sondages annonçaient le parti au coude à coude avec Xavier Bertrand, le président sortant et candidat à sa réélection avec sa liste « Se battre pour vous ». Pourtant, c’est la douche froide dimanche dernier, malgré un programme qui entend mettre au cœur de son action la protection de l’identité, de la culture, ainsi que la sécurité.
Ne pas reproduire les échecs de Denain et de la présidentielle
Ce n’est pas la première déception du Rassemblement National (RN), y compris dans la région. L’an dernier, lors des élections municipales, les observateurs donnaient Sébastien Chenu (porte-parole du Rassemblement National) favori à Denain (Nord). Ville située en plein cœur de l’ancien bassin minier où le taux de chômage atteint presque 35 %, et où le taux de pauvreté avoisine les 45 %.
Pourtant, coup de théâtre. Au soir du premier tour, le candidat du RN est battu par son adversaire de gauche, la maire sortante Anne-Lise Dufour, élue à 57,10 % des suffrages contre seulement 30,69 % pour Sébastien Chenu. Des chiffres qui font écho au score de la présidentielle, trois ans auparavant, où Marine Le Pen s’inclinait face à Emmanuel Macron. Un épisode à la suite duquel le parti avait amorcé sa refondation, avec un nouveau nom, le Rassemblement National, comme « cri de ralliement ». L’histoire semble aujourd’hui se répéter.
« Je veux chasser le Rassemblement National de cette terre. » – Eric Dupont-Moretti, candidat sur la liste de La République en Marche aux régionales
Désormais, Sébastien Chenu se retrouve en deuxième place dans la région, bien loin derrière Xavier Bertrand, puisqu’il n’a récolté que 24 % des suffrages exprimés, contre 41 % pour le président sortant. Même si le RN n’est en tête que dans la région PACA, il ne faut pas négliger la faiblesse des nombreux « barrages républicains ». Par cette stratégie d’unions, de plus en plus critiquée, les partis de l’opposition se montrent plus fragiles et enclins à renoncer à certains de leurs idéaux. La fragilité qui en ressort risque de montrer que seul le parti de Marine Le Pen ne tremble pas et reste fidèle à son programme.
Et si La République En Marche s’affiche en opposition au RN, cette entreprise est un échec, tant ce barrage ne semble pas constituer un programme tangible pour de nombreux déçus de la politique. Résultat, avec moins de 10% de suffrages exprimés malgré les cinq ministres inscrits sur la liste, le parti présidentiel est éliminé de la course pour ce second tour. Lorsque le ministre de la Justice et candidat de la liste LREM Eric Dupont-Moretti déclarait « Je veux chasser le Rassemblement National de cette terre », ne renforçait-t-il pas les convictions des nombreux votants de ce parti, en se montrant plus préoccupé par le parti d’extrême droite que par son propre programme ?
De la contestation à la conviction
Longtemps le FN a été le parti de la contestation. Mais la tendance s’inverse, et les votes par conviction augmentent depuis quelques années. Pour cause, le programme cible correctement les demandes des actifs, le tout avec une image plus lisse que jamais. Si une grande attention est portée à la jeunesse, notamment pour LREM ou le président sortant Xavier Bertrand, le premier choix des jeunes de 25 à 34 ans semble désormais être aux couleurs bleu marine. La nouvelle génération semble avoir oublié l’histoire du parti, qui désormais met en avant des jeunes aux commandes, à l’image de Jordan Bardella sur le plan national. Ce dernier candidate en Ile-De-France, où la faible influence du parti n’a donné que 13% des suffrages exprimés. Assez cependant pour arriver en seconde position.
Le mantra de cette campagne demeure la sécurité, malgré les faibles compétences allouées à la région sur ce domaine. Sécuriser les lycées, accompagner les femmes battues, rénover les commissariats, la liste menée par Sébastien Chenu incarne avant tout la protection. La répression et la surveillance sont également évoquées avec l’élargissement de la vidéosurveillance ou de « l’équipement des forces de l’ordre ». Si l’insécurité est stable en France, le sujet demeure sur le premier plan des préoccupations politiques. Un sujet cependant se démarque : seul le RN donne une place de choix à la lutte contre l’immigration et l’islamisme, sujets plutôt nationaux. « Nous récupérerons tout l’argent versé aux islamistes par Xavier Bertrand et les socialistes », signale le programme pour ces régionales. De même, ils déclarent refuser « toute subvention aux associations complices de l’immigration clandestine », sans évoquer d’élément plus concret. En ligne de mire notamment, des associations de soutien scolaire comme AIR (Ambitions et Initiatives pour la Réussite) à Roubaix. Accusée de prosélytisme, cette association controversée donne des cours aux collégiens et lycéens de la ville, dont des cours de langue arabe.
Autre élément important de ce programme, l’attention portée aux secteurs ruraux. La région des Hauts-De-France est très inégale, et la majorité des votants ne se situe pas dans la métropole lilloise. Pour toucher cette population, la résolution est de cesser de « tout concentrer à Lille ». La protection des « modes de vie ruraux » est placée comme cinquième priorité de ce programme régional.
Les derniers sondages ne donnent cependant pas le parti d’extrême droite gagnant, et ce malgré l’absence d’un barrage républicain. Dans le cas où la liste LREM menée par Pietrazewski passait le second tour, le président sortant aurait été en danger. Mais désormais, les voix du parti présidentiel sont invitées à voter pour Xavier Bertrand, laissant peu de chances à la liste de Sébastien Chenu. Ironie du sort, c’est finalement en perdant que le parti présidentiel réussirait à faire barrage au Rassemblement National.