L’ancien espion russe Sergueï Jirnov en conférence à l’Université de Lille

Sergueï Jirnov ©Sarah Coudert

Le mercredi 23 mars, le monde tortueux de l’espionnage fait irruption à l’Université de Lille. Sergueï Jirnov, un ancien agent des services secrets de l’URSS donne une conférence devant un amphithéâtre bondé. L’occasion d’évoquer sa carrière, sa rencontre avec Vladimir Poutine, et son avis sur la guerre en Ukraine.

L’Université de Lille accueille Sergueï Jirnov, l’ancien agent secret russe devenu personnalité médiatique. Dans la salle bondée, ses récits d’espionnage à la soviétique fascinent. Il faut dire que Sergueï Jirnov est devenu un maître dans l’art de raconter, au gré de ses apparitions dans les médias. En 2h30, l’espion devenu personnalité publique n’a le temps que d’esquisser son histoire dont l’intrigue se déroule entre Moscou et Paris, avec Vladimir Poutine dans un rôle secondaire.

Le bourreau des légendes

Né en 1961 à Moscou, Sergueï Jirnov est repéré très tôt par le Parti Communiste. Dès 14 ans, il est bombardé responsable des jeunesses communistes dans son école. Puis, Jirnov intègre le MGIMO, une école prestigieuse qui sert de “pépinière” aux services secrets soviétiques. Ces derniers s’intéressent au jeune homme, qui est envoyé à l’Institut du drapeau rouge où sont formés les “officiers de renseignements”. On ne dit pas espion en URSS, c’est réservé à l’ennemi occidental. À l’Institut, le Moscovite découvre une organisation tentaculaire : un ministère entier chargé du renseignement, le KGB,  avec plus de 420.000 officiers de carrière.  Et il rencontre aussi un certain Vladimir Poutine, qui ne l’impressionne guère.

Le récit de Jirnov s’attarde tout particulièrement sur son ancien camarade de promotion, l’actuel président russe. Il n’hésite pas à s’improviser psychologue, affirmant que le chef d’Etat aurait été déclaré “inapte” par les recruteurs du KGB, car “incapable de comprendre les conséquences de ses actes”. Des paroles qui rencontrent un écho particulier, un mois après le début de l’invasion russe en Ukraine. Poutine aurait été obligé de s’appuyer sur ses relations pour obtenir un poste subalterne à Dresde, en Allemagne de l’Est, où “toute la ville” aurait su qu’il travaillait pour les services secrets. Jirnov affectionne visiblement le rôle de pourfendeur d’icônes. Il s’attaque méthodiquement à la “légende” du tyran de Moscou. Ce terme, en jargon des services secrets, désigne la fausse identité créée par les officiers pour leurs missions. Poutine, lui, n’aurait jamais cessé de réécrire la sienne, aujourd’hui celle d’un ancien super-espion virtuose de la géopolitique. Évidemment, entre le portrait peint à grands traits par Jirnov et le mythe créé par le dictateur, il y a un univers. Mais la conférence aura le mérite de nous faire réfléchir.

Les mensonges de la Russie

Après Poutine, l’ancien agent soviétique élargit sa cible. Il évoque sa Russie natale, ce “colosse aux pieds d’argile”. Jirnov cherche à déconstruire l’aura de puissance de Moscou en soulignant plusieurs faiblesses, comme le PIB russe, “à peine supérieur à celui de l’Espagne”, malgré un territoire et une démographie bien plus importants. Il évoque aussi la fragilité du rouble, la monnaie de la Russie, qui s’est effondrée sous le poids des sanctions économiques occidentales. L’ancien agent secret ne mentionne pas toutes les matières premières exportées par Moscou, comme le gaz, le blé ou le pétrole, mais son récit n’en est que plus révélateur de la corruption ambiante. Si une clique d’individus proches du pouvoir, Poutine le premier, n’en accaparait pas les ressources, son pays natal pourrait être tellement plus prospère. On sent l’émotion sourdre dans les mots de Jirnov, il parle de “chez [lui]”, et du conflit ukrainien où s’est enlisée la Russie. Quand nous lui demandons ce qu’il ressent devant l’invasion, il exprime “de la honte, de la colère”. Dans une tirade poignante, l’ancien agent secret clame : “le régime de Poutine n’est pas le mien, moi j’ai choisi la liberté”.

 Cette guerre est inutile, injuste, et ne peut pas être gagnée.Sergueï Jirnov

Jirnov rappelle qu’il reste en contact avec des Ukrainiens et des Russes. “On est tellement interconnectés que c’est difficile de faire la part des choses” dans cet affrontement fratricide, explique-t-il. Ce qui ne l’empêche pas de prendre position : cette guerre est “inutile, injuste, et ne peut pas être gagnée”. Jirnov s’attache à déconstruire la propagande de Moscou. “La guerre est là depuis huit ans” rappelle-t-il, évoquant l’annexion  de la Crimée en 2014 et les troubles au Donbass. On est loin de la “courte opération spéciale” revendiquée par la Russie. Selon lui, Poutine la préparait déjà “dix ans avant 2014”.

Jirnov remet en question chaque prétexte avancé par le gouvernement russe. Les dirigeants ukrainiens “néo-nazis”, la persécution des russophones, l’ingérence de l’OTAN dans le pays : pour lui, “tout est faux”. Les séparatistes ukrainiens à l’Est du pays seraient en réalité, en grande partie, des soldats et mercenaires de Moscou. C’est ce qu’on appelle en langage militaire une “opération sous fausse bannière”. Il cite comme preuve ce tribunal de Rostov-sur-le-Don qui, lors d’une affaire de corruption, a signalé les vivres envoyés aux soldats russes déployés dans le Donbass.

L’ancien espion ne retient pas non plus ses mots vis-à-vis de certains candidats à l’élection présidentielle. Marine Le Pen, Eric Zemmour, Jean-Luc Mélenchon, tous seraient “pro-Poutine”, ou du moins l’auraient été. Jirnov campe résolument son personnage : briseur d’icônes, bourreau des légendes. Quitte à écrire la sienne au passage.

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