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Le sportif de haut niveau, un homme comme les autres ?

Le sportif de haut niveau, un homme comme les autres ?

Athlétisme, haies, sportif

Le sport de haut niveau  se constitue comme une fabrique d’idoles avec ses propres codes, valeurs et son lot de déviances. Devant la justice et au sein de la société, quelle est la place du sportif ? Quelles conséquences ont leurs actes lorsque ces héros des temps modernes dérivent ?

L’affaire court depuis plusieurs mois. Le 15 octobre dernier, Janet Scott, athlète spécialiste du triple saut porte plainte pour violences volontaires à l’encontre de son ex-petit ami, Wilfried Happio. L’athlète du Lille Métropole Athlétisme (LMA), spécialiste du 400m haies, en pleine éclosion sur le plan sportif (cinquième meilleur performeur mondial de la saison) se voit propulsé au premier plan de la sphère athlétique pour des faits de violences.

Janet Scott accuse le Lillois de lui avoir porté des coups à plusieurs reprises, dont certains au visage alors qu’elle était au sol. Les faits remontent au 27 août, après qu’une dispute ait éclaté entre le couple, sur le parking du McDonald’s de Talence, près de Bordeaux.

Wilfried Happio est alors entendu à plusieurs reprises par la commission disciplinaire de la Fédération française d’athlétisme (FFA). Il a reconnu des gestes violents, notamment une gifle, mais évoque également des coups portés par Janet Scott et affirme pouvoir prouver ses dires, photos à l’appui.

L’audience finale a rassemblé l’accusé accompagné de son agent, Kevin Hautcoeur, ainsi que l’avocat de la plaignante, Maître Arnaud Guyonnet. Janet Scott était, elle, absente.

La commission a finalement relaxé Wilfried Happio avançant que les faits n’étaient pas “suffisamment établis“, posant la question de la légitime défense. Maître Arnaud Guyonnet conteste cette décision. Kevin Hautcoeur estime lui, dans les colonnes de L’Equipe, que “le mal a été fait” et affirme que le Lillois a perdu gros en termes d’image. L’affaire est désormais entre les mains de la justice, mais elle a pu révéler certains points et questionnements propres au monde sportif. Que représentent ces commissions disciplinaires et pourquoi les fédérations s’en mêlent-elles ? Comment les sportifs sont-ils sanctionnés ? Sous quel statut évoluent-ils ?

Des instances disciplinaires propres aux fédérations sportives

Le code du sport pose les bases juridiques de l’organisation et du fonctionnement du sport en France. Il dote les fédérations d’organes disciplinaires de première et de seconde instance. Le décret publié au Journal officiel le 3 août 2016 élargit les compétences de ces commissions et leur offre un champ d’action large, en termes de public visé et de sanctions. Ainsi les fédérations peuvent réprimer leurs licenciés, les clubs affiliés ou tout organisme lié de près ou de loin à la pratique sportive. Les sanctions sont variées : avertissement, blâme, amende, suspension de terrain, radiation, inéligibilité…

“Un carton rouge avec une faute caractérisée entraîne l’ouverture d’une commission disciplinaire.” – Louis Soris

Ces organes établissent une instruction, un jugement et au cas échéant punissent. Ce processus disciplinaire est interne aux fédérations et n’amène pas de suite au pénal. Une plainte peut néanmoins être déposée, en parallèle du processus disciplinaire, et une procédure disciplinaire peut ensuite être menée.

Louis Soris, avocat mandataire sportif, nous explique que le sportif s’inscrit dans une compétition et donc dans un système dans lequel des règles sont définies. Tout manquement à ces règlements peut entraîner un passage devant ces commissions disciplinaires. En ce sens, celles-ci sont “plus souvent saisies qu’on ne le pense, par exemple, un carton rouge avec une faute caractérisée entraîne l’ouverture d’une commission disciplinaire”.

Tout sportif, qu’il soit amateur, de haut niveau ou professionnel s’inscrit alors dans un système normé, réglementé. Tout manquement à ses devoirs peut entraîner une première sanction disciplinaire au sein de la société sportive. Ainsi Wilfried Happio a été entendu par la commission disciplinaire de la FFA, étant licencié auprès de cette fédération et ayant enfreint les règles de bonne conduite de celle-ci.

Des statuts pluriels

Soumis à un contrat de travail avec les clubs qui les embauchent, les sportifs professionnels sont des salariés comme les autres, nous explique Louis Soris. En effet, ce contrat relève du principe général du code du travail, lui-même rattaché au code du sport. La particularité de leur statut réside dans le fait que ces salariés sont, pour certains d’entre eux, considérés comme des superstars et qu’ils sont contraints de renouveler leur CDD en permanence.

“Il y a des obligations générales qui sont celles de tout salarié et d’autres, comme le dopage, relatives au sportif de haut niveau.” – Louis Soris

Identifiés comme professionnels, ils doivent s’engager à respecter un certain nombre de règles inhérentes aux ligues professionnelles, aux clubs et aux fédérations auxquelles ils sont liés. Se présenter aux entraînements, réaliser des compétitions avec le club, ne pas se doper, être loyal, ne pas avoir une attitude qui remettrait en cause la réputation du club, sont autant d’obligations régies par ce contrat qu’ils doivent respecter. “Il y a des obligations générales qui sont celles de tout salarié et d’autres, comme le dopage, relatives au sportif de haut niveau“, confie l’avocat. Quant à son image, elle est gérée, parallèlement à son contrat de travail, par une société commerciale.

D’autre part, il existe des athlètes qui pratiquent leur sport au niveau le plus élevé, qui y consacrent énormément de temps mais qui font face à plus de difficultés économiques, juridiques et sociales que les sportifs professionnels, en raison de la précarité de leur statut. Mais depuis 2015 et la promulgation de la loivisant à protéger les sportifs de haut niveau et professionnels et à sécuriser leur situation juridique et sociale“, le sportif de haut niveau est doté d’un statut juridique lui octroyant davantage de stabilité.

L’homme et le sportif

Aux yeux de la justice, un homme est un homme, l’athlète y compris. Ses actions et sa personne sont liées, qu’il soit ou non sur les terrains. Le sportif est néanmoins un personnage public, les débats moraux à son égard en sont d’autant plus virulents et les conséquences plus destructrices.

Dans nos sociétés, le sport constitue une fabrique de héros. Footballeurs, basketteurs, boxeurs sont considérés comme des hommes aux capacités physiques et morales particulières, érigés en icône et suscitant l’identification notamment des jeunes, en quête de repères. Une forme d’éducation de la jeunesse. Le sportif est-il contraint à l’exemplarité par son statut ? La société sépare-t-elle l’homme du sportif, contrairement à la justice ?

“Involontairement, on va vouloir lui ressembler.” – Eugénie Lorain

Eugénie Lorain, jeune athlète de haut niveau, se remémore ses premières années. Comme beaucoup de jeunes sportifs, elle rêvait de marcher sur les pas de son idole. “Celui-ci a joué un grand rôle dans mon enfance et dans mon développement personnel. Il m’a rappelé que tout était possible. Une chose que l’on recherche tous à l’adolescence, cette période particulière dans laquelle on se cherche soi-même”, confie-t-elle. Elle conclut : “Involontairement, on va vouloir lui ressembler.”

Les scandales impactent leur réputation et par-là s’effondre sans doute l’idée d’un mythe. Mais avec quelles conséquences sur la société et sur leurs carrières ? Et si ce sportif s’était dopé ou mal comporté ? “J’aurais été vraiment très déçue. Cela m’aurait beaucoup touchée. Je ne l’aurais pas défendu puisqu’aucune excuse n’est valable pour de tels actes. J’aurais certainement tout remis en question,” répond Eugénie.

Cette forme d’éducation par le sport semble donc limitée. Le sport est une société à lui seul, un univers unique, avec ses propres codes, sa propre réalité. Les valeurs défendues dans le monde du sport sont-elles réellement transposables dans le monde “normal” et doivent-elles l’être ? Rapport au corps, à la médicalisation, à la violence, aux autres, le sport n’est pas blanc ou noir, il est pluriel et apporte son lot de déviances.

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