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“Madres Paralelas”, petites vies de la grande Histoire

“Madres Paralelas”, petites vies de la grande Histoire

Arrivé dans les salles de cinéma françaises en décembre, Madres Paralelas raconte le destin tragique de deux mères espagnoles avec poigne et charme. Pedro Almodovar y entrelace la petite et la grande histoire, et donne à voir leurs liens qui se prolongent sur des générations.

Ouverture de la Mostra de Venise le 1er septembre 2021, où il obtient la Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine, Madres Paralelas est la dernière réalisation du cinéaste phare de la nouvelle vague espagnole, Pedro Almodovar. Le public, avec délice, y retrouve Penelope Cruz, muse du réalisateur depuis maintenant 25 ans, à l’affiche de huit de ses films dont le célèbre Volver.

Une nouvelle fois, le “magicien du mélodrame” donne à voir le portrait de femmes aux vies parallèles puis entrecroisées. L’affiche du film était discrètement apparue dans l’un de ses films précédents, Étreintes Brisées, une mise en bouche qui traduit un sujet l’habitant depuis un certain temps. Les critiques enthousiastes, certaines même élogieuses, ne manquent pas. Pourtant, Madres Paralelas n’a recueilli que deux nominations aux Golden Globes pour les catégories “meilleur film en langue étrangère” et “meilleure musique de film”.

Garder en mémoire son Histoire

Sur toile de fond du franquisme, les conséquences de la guerre civile espagnole sur les générations qui en découlent mènent le réalisateur à une réflexion sur la transmission et l’origine. Il y a la transmission de la vie par le choix, parfois le non-choix, de donner naissance mais aussi la transmission d’une Histoire commune, de ses souffrances, aux enfants. Présente seulement dans les premières et dernières minutes, la réalité dramatique des fosses communes à laquelle se réfère le film peut laisser sur le spectateur sur sa faim, mais la volonté derrière est peut-être aussi de refléter la manière dont a parfois été expédiée cette thématique dans les politiques récentes.

Dans Madres Paraleleas, Pedro Almodovar porte une réflexion sur la transmission et l’origine © El Deseo

Le choix du lieu de tournage n’est pas anodin, car si Pedro Almodovar quitte cette fois son attachement à Barcelone ou à l’Andalousie, c’est pour nous placer au cœur de l’ex-siège du pouvoir franquiste. La question de la maternité y résonne d’autant plus. Les deux héroïnes choisissent de mener leur grossesse, mais le spectateur ne peut manquer l’allusion au lien entre maternité et franquisme. C’est à Madrid que défilaient 1 million de manifestants en octobre 2009 contre la légalisation de l’avortement. Bien que la loi espagnole autorise désormais l’IVG depuis 2010, la lutte pour le droit à l’avortement n’est pas gagnée pour autant : un projet de loi l’interdisant fut de nouveau présenté en 2013, non sans rappeler le passé franquiste du pays, non sans évoquer les faibles avancées, voire les reculs, quant à l’état de ce droit dans le monde.

Des vies entrelacées dans le drame

Deux femmes tissent un lien fort dans cette dernière création de l’homme aux “Femmes au bord de la crise nerf”. La découverte de la maternité que font les deux femmes au moment de leur rencontre, la réflexion sur leur rapport à leurs propres origines, impliquée par ce moment de vie, les unissent. Toutes deux seules pour s’approprier la vie de mère, elles n’ont ni l’une ni l’autre grandi avec la leur. Si Janis et Ana sont liées par la vie qui les attend désormais, leur âge, en revanche, les éloigne.

La découverte de la maternité unissent Ana (à droite) et Janis (à gauche) © El Deseo / Iglesias Mas

L’une n’est presque encore qu’une enfant et ne s’était encore jamais projetée dans la maternité, l’autre, adulte, connaît la peur jointe au temps qui passe de ne jamais connaître la maternité. Cette différence d’âge les projette presque dans un double rôle de mère. La plus âgée, Janis, semble dans les premières séquences devenir avec affection conseillère de substitution et soutien d’Ana, la mère de cette dernière étant absente. C’est d’ailleurs sur cette tendresse, conjuguée à la solitude et à la perte d’un être cher que se joue le basculement de leur relation.

Un accueil mitigé

Alors que certains reprochent au film un manque de réalisme, notamment dans la résilience de Janis et la maturité des personnages dans une situation tragique, on peut lui reconnaître une foi utopique dans la force de l’humain à accepter son destin, puis dans sa sagesse et son empathie qui dépassent la douleur provoquée par certains choix. Les péripéties, que l’on voit arriver parfois – très – à l’avance, peuvent laisser dubitatif face à un scénario estimé indigne du grand réalisateur.

Mais un inimitable univers coloré, et une esthétique travaillée faisant s’évader le spectateur tantôt dans les ruelles de Madrid, tantôt dans les patios villageois de la campagne espagnole, ne laissent pas la place au doute ; nous sommes bien dans l’imaginaire de Pedro Almodovar. Quant aux actrices principales, leur force, leur joie, leur sensibilité et leur tendresse, contribuent grandement au moment merveilleux passé devant Madres Paralelas, et la découverte du talentueux jeu de Milena Smit en laisse espérer de nombreux autres.

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  • Excellent article, on sent que l’autrice connaît son sujet, c’est une étoile montante du journalisme vous allez pas tarder à entendre parler d’elle à grande échelle. Je vous aurai prévenu en premier.

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