Rattrapages. 8 Mile, un biopic poignant sur fond de misère sociale
Entre misère sociale et persévérance, 8 Mile retrace les préquels de vie de celui qui deviendra plus tard l’un des piliers du rap.
Au commencement se trouvaient de jeunes garçons prêts à tout pour sortir de la pauvreté et des bas quartiers de Detroit. Au milieu d’un squat poussiéreux, sur fond d’odeur d’essence, un regroupement de jeunes accueille l’évènement majeur du secteur : les battles. Sur cette scène ne montent que les braves. Ceux qui sont prêts à prouver au monde, à travers leur prose, les injustices qui peuplent notre société.
Sorti en salle fin 2002, le film américain 8 Mile de Curtis Hanson est un biopic particulièrement réussi retraçant les débuts du célèbre rappeur Eminem. Au casting, on retrouve le rappeur dans son propre rôle, Mekhi Phifer, Brittany Murphy, et même King Gordy. Eminem reçoit à cette occasion l’Oscar de la meilleure chanson originale pour son titre Lose Yourself.
Un film sauvage et déconcertant
8 Mile n’est pas un film hollywoodien plein de strass et de paillettes. C’est un film de caractère, représentant la réalité du monde, triste et pauvre, où il est nécessaire de se battre pour gagner son pain.
Le film commence dans une salle de concert. On y découvre le jeune Rabbit, tétanisé par le trac, se faisant humilier en public par un concurrent lors d’une battle. Jeune blanc fauché, B-Rabbit est obligé de retourner habiter chez sa mère alcoolique, dans une roulotte, le temps de trouver du travail et de mettre de l’argent de côté. Son objectif est de se faire remarquer par l’industrie musicale afin de quitter son quartier, mais la réalité va vite le rattraper.
La désillusion de B-Rabbit face à la dureté du monde marque sa vie. Cela crée chez le jeune rappeur un vrai tiraillement entre ses rêves et la nécessité de subvenir aux besoins de sa famille. 8 Mile, c’est l’histoire d’un jeune homme totalement désabusé par son milieu qui essaye de s’en sortir. Entre chef-d’œuvre musical et drame moderne, le film reprend l’ADN de la misère sociale illustrée par Ken Loach dans ses propres films.
Un regard sur la société
Curtis Hanson livre dans son film une vision bien sombre du Détroit des années 90. Un Détroit en pleine crise économique où l’ascenseur social est en panne. Plusieurs quartiers sont à l’abandon, les immeubles sont détruits ou délaissés et la mairie n’est visiblement pas décidée à améliorer les choses. Le décor peu reluisant est à l’image de la réalité du quotidien d’une grande partie de la population. La ségrégation sociale, très présente dans la ville, est mise en avant dans le film. Elle agît tel un personnage de fond qui conditionne tous les rapports entre individus.
Le décor de 8 Mile est marqué par un afro-centrisme découlant de l’obligation de la communauté noire à se protéger. Le jeune rappeur blanc apparaît comme une tâche dans ce décor. Le rap étant à cette époque un instrument des communautés afro-américaines pour libérer la parole et dénoncer le système, beaucoup ne considèrent pas Rabbit parce qu’il n’est pas noir. Le défi est d’autant plus grand pour le jeune rappeur. Les battles de rap apparaissent dans ces quartiers de Detroit comme seul exutoire à la dureté de la vie.
La bande-son
De nombreux classiques fondateurs du rap ponctuent le film. De Mobb Deep à Notorious BIG en passant par le Wu-Tang, les influences sont nombreuses. Les chansons ne sont pas choisies au hasard et viennent appuyer les scènes pour leur donner une plus grande profondeur. Ce sont les paroles et les volontés exprimées dans les textes qui donnent du corps au film. La cohérence dans le choix musical et le respect des musiques de 1995, voire des années précédentes, donnent au spectateur un sentiment réaliste face au scénario. Ce film parle de rap et connaît ses classiques. On est ici sur un rap conscient et un gangsta rap qui, à cette époque, agissaient comme une parole divine : une voie à suivre pour tous les enfants de la rue. Les albums 8 Mile Sountrack et More Music From 8 Mile sont disponibles sur les plateformes, pour le plus grand bonheur des passionnés.
Au-delà des paroles, le Boom Bap de fond n’est pas sans intérêt. Sa présence vient rythmer le récit tel un long morceau de musique avec son début, son développement et sa fin. Le spectateur est entraîné au cours du film dans une balade sociale invitant à se poser de nombreuses questions existentielles. 8 Mile illustre le fait que tout le monde n’est pas né sous la même étoile. De quoi faire réfléchir sur l’inégalité des chances, la ségrégation et la misère sociale.
8 Mile est un film de caractère, sans fioriture qui saura ravir du plus grand fan de rap au parfait néophyte. Que vous le regardiez en famille ou seul, la trame de l’histoire amène à considérer le style clivant qu’est le rap sous un nouveau jour. Un horizon plus social et moins stéréotypé que ce que l’on pourrait croire en apparence. 8 Mile est un film qui réveille vos idéaux sociaux, et peut-être même votre prose.