Résiste, une envolée poétique avec Les Filles du Renard Pâle
Spectacle écrit et performé par Anaelle Jonkers et Johanne Humblet de la Compagnie Les Filles du Renard Pâle, Résiste se jouait les 3 et 4 septembre dans le parc de l’ancienne gare Saint-Sauveur, à Lille. Avant de voir ou de re-voir ce spectacle du 11 au 21 avril 2022, retour sur sa mise en scène minimaliste qui, rythmée par des jeux de sons et lumières, prend l’aspect d’une performance circassienne.
Elles sont deux, enfin non, ils sont trois. Elles, perchées sur leurs talons et sur un fil. Lui en arrière-plan, surgissant de temps à autre des maracasses en main, maniant le reste du temps projecteurs et enceintes pour offrir aux spectateurs qui s’accumulent peu à peu sur le tapis rouge du Parc Saint So, un jeu d’ombres, de lumières, un moment délicieux où les corps se libèrent. Assis, ébahis face à la magie du spectacle, les habitués de la gare Saint-Sauveur, les amis des artistes, ou encore de simples Lillois, venus pour la première fois, retrouvent avec joie la vie culturelle et les représentations de rue.
Prendre de la hauteur
Pour couper cet instant de poésie de nos vies faussement surchargées, plombées par un désir d’être affichées à autrui, une voix sortie des entrailles de la terre interdit toute utilisation de numérique pour photographier le spectacle. Et soudain, elle s’élance, se tord sur cette lance artistique qui lui permettra de voltiger, feint une maladresse corporelle, les lumières s’éteignent lentement, et sa partenaire sort d’une caravane dans la fumée. Comme marquant le début d’un nouveau monde, ou la fin du dernier, elles évoluent dans ce brouillard où l’on aperçoit la poussière voler dans les faisceaux lumineux. Peu à peu, leurs forces pour habiter ce nouveau monde se révèlent, et s’accompagnent magnifiquement. Une voix douce s’élève ; la funambule commence à déambuler dans les hauteurs, se fait plus ferme et forte quand le corps perché s’affirme et retrouve ses repères d’une vie à quelques mètres au-dessus de nous.
Un envol poétique libérateur
Sublime. Un souffle de liberté se répand dès les premières notes de “Résiste”, et se poursuit tout au long de la pièce rythmée par des choix musicaux aux références – entre autre – féministes libératrices. Elle s’avance sur sa ligne telle Sisyphe, poussant sa lance, portant le monde entre ses mains, alors qu’elle vacille déjà en équilibre. Parvenue à l’une des extrémités, la voilà de nouveau en bas, responsable de ce monde à ramener à l’extrémité opposée. Aussitôt, la lance se transforme et devient, chargée d’un poids, un balancier. Celui de l’horloge, l’horloge de nos vies, l’horloge de ce monde qui vacille, comme celle qui le portait quelques instants plus tôt. Son corps s’y accroche et le suit, le balancier s’emballe, ralentit, incontrôlable, et à la force parfois des bras, parfois des jambes, le corps de la fildefériste suit, docile, puis tente d’imposer son rythme quelques secondes au poids. Le fonds sonore de crépitement, l’envoi de paillettes dans les rayons lumineux, et le fond vaporeux fait de fumée et d’un ventilateur nous laissent imaginer les débuts de ce nouveau monde où surgissent ces deux femmes à la manière du mythique Phoenix grec renaissant de ses cendres.
Exaltation de deux puissances féminines
Une magnifique création, alliant la beauté d’un décor construit avec simplicité, la performance artistique et physique exprimée talentueusement et quelques touches d’humour qui font rire l’assemblée. Peut-être cette dernière pense à la scène des débuts catastrophiques du cinéma parlant dans Chantons sous la pluie, quand la voix transformée de la musicienne s’élève dans le micro, tantôt masculine et rauque, tantôt féminine ou diabolique et grave, rappelant les voix inversées de Gene Kelly et Debbie Reynolds. Les temporaires occupants du jardin Saint So ressortent émerveillés par les prouesses des Filles du Renard Pâle et leurs ombres qui se dessinent sur le bâtiment voisin, enthousiasmés par la force qui émane de la terrienne Annelles Jonkers lorsqu’elle se met à chanter et par celle qui émane de l’aérienne Johanne Humblet dont le corps vole et se détache en dansant du fond bleu nuit de la tombée du soir.