Sanofi, ça suffit !
Il y a des scandales qui éclaboussent, comme celui de Monsanto, et d’autres beaucoup moins. Celui de la Dépakine, mettant en cause l’entreprise Sanofi, en est le parfait exemple. Malgré quelques sursauts d’indignation, le géant pharmaceutique surmonte tranquillement les crises, bien aidé par l’indifférence générale. Un an après la révélation de ce scandale, et pour tenter de pallier à une véritable injustice d’information, tentons un état des lieu.
« San »ofi ?
Il faut d’abord bien comprendre ce qu’est la Dékapine, production phare du laboratoire. Ce médicament extrêmement populaire, mis en vente par la Big Pharma Sanofi à partir des années 70, a été le premier anti-épileptique efficace et abordable, permettant notamment à de nombreuses mères de famille de pouvoir vivre avec cette maladie. En apparence, tout va bien. Mais le revers de la médaille est beaucoup moins reluisant.
Depuis plus d’un an, ce médicament est accusé de provoquer, chez les enfants de mères épileptiques se soignant au Dékapine, des malformations diverses ou des cas d’autisme. Des accusations qui pouvaient paraître aventureuses en 2010, lorsque Marine Martin, souffrant d’épilepsie et mère d’un enfant victime de multiples troubles, voulait s’attaquer au laboratoire Sanofi, qui commercialise la Dékapine. Huit ans plus tard, elles le sont nettement moins, au vu de l’évolution effrayante des événements. La très sérieuse ANSM ( Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé ) a en effet récemment dévoilé le nombre de femmes qui y ont été exposées, entre 2007 et 2014 : près de 30 000, parmi lesquelles de nombreuses mères de famille qui courent le risque de voir leur progénitures subir le même sort. Des chiffres plus de dix fois supérieurs à ceux précédemment communiqués. La même étude explique que le risque de développer des troubles neuro-développementaux pour un enfant ayant été exposé à ce médicament avant sa naissance (par la consommation de Dékapine par sa progénitrice) est multiplié par cinq, et par dix pour les doses les plus fortes. Progressivement, le monde pharmaceutique a enfin pris conscience de la menace, et la Dékapine n’est désormais prescrite qu’en dernière intention. Un logo d’alerte est posé sur la boîte du médicament, et l’État s’est engagé à dédommager les victimes. Il était temps.
Mais quelques mois plus tard, rebelote, et nouveau scandale chez Sanofi. Comme le disait Chirac, « les merdes volent en escadrille ». Cette fois, ce sont les rejets toxiques, engendrés par la fabrication de la Dékapine, qui sont pointés du doigt. L’association France Nature Environnement (FNE) est la première à tirer la sonnette d’alarme, suivie de près par l’inévitable Médiapart. Qui révèle que les rejets toxiques sont pas moins de dix-neuf fois supérieurs à la limite autorisée. Si la situation n’était pas aussi préoccupante, cela pourrait prêter à rire. Les spécialistes sont unanimes sur la gravité des risques sur la santé. Sanofi a depuis fermé l’usine en question, mais le mal est fait.
En tout bien tout honneur
Qu’en est-il désormais ? Lorsqu’on constate les effets désastreux de l’activité de l’entreprise Sanofi sur la santé publique, on s’autorise facilement à imaginer les répercussions que cela pourrait avoir sur ce géant pharmaceutique aux niveaux commercial, médiatique, et judiciaire. Et pourtant… Les résultats économiques demeurent excellents : Sanofi a réalisé en 2018 l’un des meilleurs chiffres d’affaires de son histoire. Les incidences médiatiques sont quant à elles quasi inexistantes. Alors que le scandale Monsanto aux Etats-Unis, qui présente de nombreuses similitudes avec celui de Sanofi, mobilise la presse américaine, c’est loin d’être le cas ici. Le manque d’information populaire sur le sujet en est la preuve. Les suites juridiques se font encore attendre. Alors qu’on pouvait s’attendre à ce que Sanofi, coupable indiscutable d’atteinte à la santé des Français, batte en retraite, le géant n’en démord pas. Dans un communiqué publié début 2019, il a sobrement rejeté les demandes d’indemnisation des victimes, regroupés au sein de l’Apesac, l’association en aide aux victimes de la Dékapine, au motif qu’il aurait « informé les autorités en toute transparence ». En d’autres termes, le laboratoire rejette la faute sur l’État. Facile. Et cela ne plaît pas à tout le monde. On se demande bien pourquoi.
La suite des événements va être décisive dans la lutte que mènent certains contre les grands groupes jusque là souvent impunis. Tout comme les victimes, l’État français est bien décidé à faire payer Sanofi, quitte à ce que l’affaire aille en justice. Les relations étroites qui nouent le président de la République Emmanuel Macron à Serge Weinberg, l’homme fort de Sanofi, inquiètent pourtant ceux qui veulent que justice soit faite.
L’aboutissement futur de cette affaire permettra, probablement, d’apporter un éclaircissement à une question de taille. Le sort de Sanofi sera assez révélateur d’un état de fait : dans une démocratie comme la France, à qui appartient le pouvoir ? Aux français, victimes des agissements sans scrupules de grands groupes s’enrichissant à leurs dépens, avec la condamnation de Sanofi, ou aux puissances d’argent, avec son acquittement ? Réponse dans le prochain épisode. A suivre…