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Une lutte des classes cinématographique

Une lutte des classes cinématographique

Le cinéma est la représentation subjective de notre monde, selon un individu et à une époque précise. Ainsi, l’ensemble des thèmes utilisés sont un parfait miroir d’enjeux sociétaux. La conquête de l’Ouest, ayant inspiré les westerns des années 70, en est un parfait exemple. Après deux guerres mondiales et pendant une guerre froide, il est normal pour l’impérialisme de Big Brother de se requestionner. Montrer d’où l’on vient permet aux artistes de distribuer des cartes d’émancipation.

Dans cette décennie et de façon croissante, la lutte des classes est au cœur de nos débats et de nos vies. Normal, donc, de voir le cinéma s’emparer de ce thème alors que des révolutions sociales éclatent et deviennent de plus en plus violentes. Parmi les plus gros succès de l’année passée nous retrouvons Joker, Les Misérables et Parasite. Trois films venant d’horizons différents avec ce sujet commun. Alors, comment un film s’approprie-t-il ce sujet ? Quel angle nous apporte-t-il mais, surtout, quel est son objectif ?

Joker, la personnification manichéenne

Présenté comme un mélange entre un Taxi Driver et un film de super héros, cette production scorsesienne est le carton de l’année. Sa qualité d’interprétation, ses prises de risque, son atmosphère glaçante et sa violence viscérale ont fait de lui un immense succès critique et commercial.

Le Joker se fondant dans les flammes, personnifiant le chaos à l’extrême. © Indiatimes

C’est sans doute le film le plus métaphorique de notre sélection. Le Joker n’est rien d’autre que l’allégorie du chaos, de l’étincelle embrasant les rues. Pendant tout le film nous sentons une tension extrêmement forte entre les classes, une tension qui ne demande qu’à exploser.

Si tout le récit se concentre autour du personnage d’Arthur Fleck, c’est plus généralement un état des lieux, un état des rues. Pleines de violences et désireuses de modèle à suivre. SPOILER : étonnant d’ailleurs de voir une foule acclamer et idolâtrer Arthur juste après s’être émancipée d’une autre autorité.

Cependant, il est dommage de tomber dans la facilité d’une vision très manichéenne. Ici, le méchant riche stigmatise le gentil pauvre qui cherche donc à se venger. Une vision loin d’être complètement fausse mais qu’il aurait été intéressant de nuancer à l’aide, par exemple, des classes moyennes ici occultées. Si le développement du récit peut l’expliquer, cela amoindrit tout de même le message du film.

Un passage du film dépeint tout à fait cette représentation du chaos : une scène de poursuite débouchant dans une rame de train. Arthur n’a pas à lever le petit doigt pour que tout dégénère. Il est là en simple spectateur, en simple étincelle laissant la violence embraser la scène à cause d’une bavure policière.

Ce Joker c’est la voix qui emprunte les lumières rutilantes des États-Unis (avec l’intrigue du plateau de télévision) pour ensuite les prêter aux masses populaires dans une fin en apothéose. C’est désacraliser la figure du rêve américain pour en montrer les faiblesses, et peindre le portrait d’une société malade.

Les Misérables, des violences et une haine mutuelle

Le style documentaire du film nous immerge totalement dans les rues et dans les personnages d’une manière toujours sobre et efficace. On ne fait rien dépasser du cadre, déviant habilement les clichés et les attentes du spectateur. De notre sélection, c’est de loin le plus plausible et réaliste.

Cette fois, le conflit se situe entre une autorité répressive et une banlieue en perte de repères. Le film de Ladj Ly présente le conflit comme une aberration, débouché de bêtise profonde. Les fautes sont partagées, toujours, et on assiste, impuissant, au déroulement d’événements dramatiques qui auraient pu être évités avec plus de dialogue. La lassitude, la volonté de pouvoir, l’orgueil, la jalousie, la mauvaise foi… Tout cela incite à la haine mutuelle.

Les joies éphémères prennent le pas sur des conflits perpétuels / Image extraite de la Bande-Annonce

Prendre du recul sur le film, c’est le regarder dans son ensemble. Du début à la fin, nous passons par tous les stades d’ambiance. De la joie euphorique d’une victoire à la Coupe du monde à une violence et une haine inouïe après des erreurs et des incompréhensions. Si l’entente est possible, elle est de courte durée.

Regarder Les Misérables, c’est certes désespérer devant une situation dramatique insoluble. Mais c’est aussi et surtout retrouver de l’espoir devant la réussite du film et de son auteur-réalisateur, un ancien banlieusard.

Parasite, une fable coréenne

Parasite s’intéresse au conflit entre classes sociales, mais l’aborde plus avec la notion de la richesse matérielle qu’avec un combat direct et généralisé. Le point de vue non-occidental est aussi très intéressant car on se trouve dans un respect et un traitement des personnages différent. Loin des clichés habituels, ou les évitant avec brio.

Avec Parasite nous arrivons dans une fiction pure. Plus proche du Joker car très métaphorique, le film s’en détache comme une fable incongrue, aussi viscérale, mais reposant plus sur une bonne histoire cinématographique. L’apport d’éléments métaphoriques est là pour rythmer le film et l’efficacité du récit est privilégiée.

Parasite dit, littéralement, que les deux mondes ne peuvent pas cohabiter. On nous parle de la jalousie compréhensible des plus démunis mais également de la naïveté des plus riches. Bong Joon-ho se revendique et imprègne l’ensemble de son œuvre d’une philosophie profondément marxiste.

Dans ses décors-mêmes, Parasite questionne la fine frontière entre réalité et fiction. © Polygon.com

Le seul réel reproche que l’on pourrait formuler à l’égard du chef d’œuvre coréen, c’est qu’il tombe parfois dans une légère caricature. C’est une démarche certes totalement voulue par son réalisateur mais qui pourrait rebuter. Le monde riche est conservateur, déconnecté des réalités, dur envers les domestiques, etc. Mais il faut garder en tête que les clichés ne viennent pas de nulle part. La caricature force toujours le trait de la réalité. Si ce film peut alors servir de prise de conscience pour quelques-uns, c’est déjà une réussite.

De plus, et c’est en quelque sorte une première dans la carrière du réalisateur, le monde riche n’est pas mis à charge, ou peu. Il apporte une réelle compassion envers l’incompréhension des différentes classes. La plume coréenne ne leur confère pas une haine du prolétaire, simplement une naïveté très révélatrice. Joon-ho est arrivé à un moment de sa carrière où le besoin d’évolution se fait fortement ressentir. Cette subtilité et cette compassion à l’égard du sujet traité est bien loin de la lourdeur manichéenne du Joker.

Trois traitements différents, une conclusion similaire

Ainsi, nos trois films, s’ils sont bien différents, entretiennent tout de même de grandes similitudes. Au sein d’une métaphore psychologique, filmée comme un documentaire puis comme une fable divertissante, la lutte des classes prend bien des formes. Lutte pour le pouvoir, pour la richesse ou juste par simple haine, les hommes se battent, inévitablement. Un combat résultant du mépris entretenu par une séparation des classes toujours plus profonde. Un mot revient souvent : l’incompréhension.

Trois films mais une conclusion bien pessimiste : la situation semble insoluble, ne pouvant se terminer que dans l’explosion d’une triste violence. Pour une fois, j’espère que tout ceci n’est que du cinéma.

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