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Une rentrée particulière pour des élèves de primaire masqués

Une rentrée particulière pour des élèves de primaire masqués

Élèves de CP/CE1 de l'école de Bourdalat

Depuis vendredi, la France est confinée. Enfin, presque toute la France. Beaucoup vont au travail, et pour d’autres, il faut reprendre le chemin de l’école. Cette rentrée ne vient pas seule, elle emmène avec elle une nouveauté : dès le CP, les élèves doivent porter un masque. Aujourd’hui, direction Bourdalat, dans les Landes, à la rencontre d’enseignants, d’élèves et de leurs parents.

Ce matin du 4 novembre 2020, le soleil brille sur cette petite commune du Sud-Ouest, à la frontière entre les Landes et le Gers : Bourdalat. Le bus s’arrête déposer les élèves de CP et de CE1, avant de se diriger dans les villages alentours du regroupement pédagogique intercommunal (RPI). À Bourdalat, il n’y a plus qu’une classe, celle de maîtresse Emmanuelle. L’autre a fermé il y a trois ans.

Le carnaval c’est dans longtemps, pourtant tous sont déjà masqués

Aujourd’hui, sur les 17 élèves qui composent normalement la classe, seulement treize sont présents. Certains parents ont peur pour leurs enfants, d’autres sont vulnérables et ne prennent donc le risque de les y emmener. Ces enfants masqués s’amusent dans la cour, et ne semblent pas trop gênés par ce qui leur cache le visage. Pourtant, une fois entrés en classe, quelques réflexions se font entendre. Maîtresse, j’arrive pas bien à voir quand j’écris alors parfois je le baisse” ; “Maîtresse ça fait de la buée sur les lunettes”. Quand on leur demande ce qu’ils pensent de la situation, chacun est prêt à donner son avis. L’école c’est comme avant, mais c’est juste qu’on porte le masque du coup ça fait pas du bien quand on respire” ; “Moi, ça me dérange pas d’avoir le masque, par contre le soir quand je l’enlève j’ai l’impression de l’avoir encore” ; “Des fois, les fils du masque ils font mal aux oreilles” ; “C’est embêtant de le porter en récréation parce qu’on court et parfois on transpire” ; “Moi parfois je saigne du nez, mais si je saigne du nez maintenant je vais saigner du nez dans mon masque”. Pour ces enfants, interdiction de le retirer sauf en cours de sport et pour manger. Les enfants expliquent qu’ils le changent le midi après manger.

Lundi dernier, 12.800 enfants sont également retournés à l’école dans la métropole Lilloise. À 936 kilomètres de Bourdalat, les mêmes inquiétudes se font sentir face à cettre rentrée bouleversée, comme l’explique La Voix du Nord. Seule différence ici, la mairie de Lille a annoncé distribuer gratuitement des masques à tous les élèves de primaire de Hellemmes, Lomme et Lille.

“Maîtresse, j’arrive pas bien à voir quand j’écris alors parfois je le baisse.”

À Bourdalat, l’enseignante explique que la capacité d’adaptation des enfants est incroyable et qu’elle n’en revient pas du sérieux qu’ils ont à appliquer les gestes barrières. Cependant, ce masque semble poser des problèmes à plusieurs niveaux. Déjà d’un point de vue sanitaire : ils le touchent, le font tomber, le ramassent, le remettent, certains l’échangent. Une enseignante d’un village voisin explique qu’il y a une vraie éducation au port du masque à faire que cela soit chez les enfants, ou chez les parents. Il pose également un problème social : Certaines familles n’ont pas les moyens d’acheter suffisamment de masques pour qu’il soit changé tous les jours, ce qui fait qu’on a des masques de bricolage.” Les origines sociales sont affichées sur les visages des enfants, cela crée de grandes disparités. Et enfin un problème pédagogique, surtout dans ces classes de CP où l’on apprend à lire. “Ils ne voient pas ma bouche pour former les sons, ou ils entendent mal, et du coup je n’entends pas s’ils prononcent le bon son ou pas”, ce qui crée des confusions dès qu’il faut passer à l’écrit.

Les parents d’élèves sont eux aussi inquiets sur le fait de faire porter des masques à leurs enfants. Je n’ai pas eu peur de remettre mon fils à l’école parce que le protocole sanitaire est très bien appliqué. Mais j’ai eu peur du fait qu’il porte un masque. Je me demandais s’il aller le supporter, notamment en récréation où il court. C’est déjà difficile pour nous adultes de le porter, alors pour des enfants… Et puis les adultes arrivent à trouver des pauses où ils peuvent l’enlever, mais l’enfant n’en a une que sur le temps du repas.” Une maman d’élève s’interroge sur la santé de ses enfants qui respirent désormais au travers de ces bouts de tissus.

Séance de sport à l'école de Bourdalat
Séance de sport à l’école de Bourdalat. Les enfants ne sont pas masqués, les distances de sécurité sont respectées. Et chaque enfant a un ballon individuel. © Margot Sanhes / Pépère News

Une reprise en présentiel dans les écoles

Les écoles primaires, ainsi que les collèges et lycées, ont été maintenus ouverts. En primaire, qu’ils soient enseignants, parents, ou enfants : tous semblent soulagés. Au fond de la classe, ce petit bonhomme à lunettes se lance : Moi je préfère l’école parce que maman elle explique mal, je comprenais pas.” Une autre au premier rang enchaîne : “Moi je suis contente d’être à l’école parce que y a les copains.” Là, presque toutes les voix s’élèvent et on entend en cœur “Moi aussi ! Moi aussi !”.

Pour les parents la question de la sociabilisation est bien sûr importante, mais le distanciel soulève d’autres enjeux. C’est difficile d’être et parent et prof. Nous ne sommes pas enseignants, et seulement eux sont aptes à leur apprendre ce que l’école doit leur apporter. J’espère qu’il n’y aura pas un deuxième confinement à l’école parce que la concentration et leur envie d’apprendre est plus développée quand ils y sont.”

Même si les règles sanitaires, comme le masque, sont contraignantes, d’après l’enseignante de Bourdalat, rien n’aurait été pire que de reprendre les cours en distanciel pour les élèves de primaire. Elle constate de nombreuses pertes sur les apprentissages. Un nouveau confinement total aurait été catastrophique. En plus de cela, les rituels de classes ne sont pas encore bien en place à la période de la Toussaint. Alors qu’en mars ils l’étaient. Ce qui fait que l’enseignant, à la Toussaint, ne connaît pas encore bien les besoins spécifiques de ses élèves, et les élèves ne connaissent pas encore bien leur professeur. Ce qui aurait entraîné des difficultés dans le suivi des élèves.

Trois élèves de CE1 de l'école de Bourdalat faisant leur dictée
Trois élèves de CE1 de l’école de Bourdalat faisant leur dictée. © Margot Sanhes / Pépère News

Un “flou” qui provoque un épuisement physique et moral des enseignants

Sans s’être concertées, ces deux enseignantes nous parlent de la difficulté de leur travail en ce moment. Je me sens stressée, fatiguée, pas entendue par nos hiérarchies. Heureusement les parents et les enfants sont sympas.” Un épuisement physique que l’une d’elles explique notamment par le fait qu’elles avancent à tâtons, en montant des projets, et imaginant qu’ils vont fédérer, donner du sens à l’apprentissage. Mais qu’en même temps, ils les créent en sachant qu’ils vont finir par dire aux élèves que cela ne se fera pas. C’est comme si l’on se mentait à nous-mêmes. Parfois on se demande quand même : à quoi bon ?”. Mais l’épuisement est aussi moral, surtout depuis l’assassinat de Samuel Paty. Les mots me manquent. Plus que jamais j’apprendrai à mes élèves à devenir des citoyens libres : libres de penser, libres de s’exprimer. J’ai du mal à en parler sans pleurer”, nous dit l’une des enseignantes avant de s’effondrer en larmes. Des paroles qui entrent dans la continuité de celles de milliers d’autres enseignants, notamment de ceux qui écrivaient lundi 2 novembre dans une tribune pour Libération : Nous travaillons au quotidien contre toute forme d’obscurantisme et de haine, contre la violence et les amalgames.”.

Mais pourtant, il semble rester des moments d’espoir, de solidarité. Dans l’école voisine, les enfants et leur institutrice montent depuis un an un projet de jardinage avec un intervenant, des bénévoles du village et des parents d’élèves. Bénévoles et parents d’élèves ne peuvent malheureusement plus venir pour éviter les brassages, mais pourtant l’enseignante nous décrit un beau moment de solidarité il y a quelques jours. Moment où les bénévoles avaient préparé tout le matériel nécessaire pour planter un arbre, et avaient sollicité un caméraman du village à la retraite pour venir filmer le moment afin de montrer l’évolution du projet aux parents, “ce sont des petits miracles qui reboostent”.

“J’espère que le virus il va aller au soleil comme ça il va brûler et y aura plus jamais de virus”

Zoé, 8 ans, espère que plus tard le monde sera bien, en paix, sans trop de maladies. Que le coronavirus il sera plus là, que le confinement il existera plus, et que les masques non plus”. Pour Gaël, entré en CP cette année, si une chose lui tarde, c’est bien qu’il n’y ait plus le virus pour pouvoir refaire des soirées pyjamas et revoir son papi et sa mamie.

Dans la classe de Bourdalat, plusieurs espérances pour le futur : J’espère que quand on sera grand, il y aura plus ce méchant Coronavirus”, “moi aussi c’est ce que j’allais dire !”, “J’espère que le virus il va aller au soleil comme ça, il va bruler et y aura plus jamais de virus”, “Quand je serai grand j’espère qu’on pourra voir le virus pour le combattre comme ça après y aura plus de virus”.

Dans ces cours d’écoles, de Lille à Bourdalat, tout a changé en moins d’un an, sauf ces rires d’enfants qui continuent à résonner derrière les masques.

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