Woman, un chef-d’œuvre féministe poignant
Assises face caméra, sur fond noir, elles nous regardent droit dans les yeux et témoignent. Une musique au piano accompagne les récits les plus bouleversants. Ces 2000 femmes, originaires de 50 pays, ont témoigné pour le film documentaire Woman réalisé par Anastasia Mikova et Yann Arthus-Bertrand. Un regard admiratif sur cette moitié de l’humanité dont les voix s’élèvent dans un monde dominé par les hommes. Anastasia Mikova a répondu à nos questions.
» Trop souvent, ce sont les autres qui parlent pour elles. »
Pour produire ce film, 2000 entretiens de femmes dans 50 pays différents ont été réalisés. « Plutôt que d’aller voir des experts et analystes, nous avons préféré donner la parole aux premières concernées ». L’objectif des réalisateurs était une libération de la parole. « C’est un premier pas très important dans une libération globale des femmes à travers le monde ». En parlant, on peut vaincre la peur et les tabous. « Cette fois, il était essentiel qu’elles puissent raconter leur vécu sans filtre. Trop souvent, ce sont les autres qui parlent pour elles« .
La réalisatrice remarque des différences chez les réactions des téléspectateurs selon s’il s’agit d’une femme ou d’un homme. « Chez les femmes, le film provoque un effet miroir très fort ». En tant que femme, on se dit que l’on fait partie d’une communauté. « Dans plusieurs projections, les femmes se sont levées. Pour dire que le film leur a donné le courage de partager leur propre vécu ». Ce film célèbre les femmes sur un oxymore inexplicable. « Chaque femme est unique, et pourtant nous sommes toutes rassemblées par un sentiment universel d’appartenance. C‘est quelque chose que j’ai ressenti au fond de moi à chaque rencontre de Woman. Les hommes prennent le film comme une claque. » Beaucoup d’entre eux ont confié à la réalisatrice que ce film était la porte d’entrée sur un monde qui leur est bien trop inconnu. Cela leur donnait envie de rentrer poser des questions à leur femme, leur fille. « Pour nous, c’est la meilleure réaction qu’on pouvait espérer. »
Un travail à la hauteur du résultat final
Quatre ans ont été nécessaires à la réalisation du film. « Une année de préparation, deux ans de tournage et un an de montage. » Ce sont les fixeuses, les journalistes locales de chaque pays, qui ont trouvé les interviewées. « Elles leur ont fait comprendre l’importance pour elles de témoigner dans un tel film. » Leur rôle était d’établir une relation de confiance avec ces femmes. Puis, « nous allions sur place pour réaliser les entretiens, nous en faisions une vingtaine dans chaque pays ».
« Pour bien comprendre les enjeux, j’ai passé une année à me nourrir de lectures. De rencontres aussi, avec celles et ceux qui ont travaillé sur la condition des femmes à travers le monde. » Les réalisateurs ont établi un équilibre entre les sujets universels et les sujets plus intimes, voire spécifiques. De la maternité à l’éducation, du mariage à l’acceptation de soi, de la sexualité aux oppressions subies. Les unes parlent de l’amour de leur vie et de leurs enfants. Les autres parlent d’excision, de mariage forcé, d’esclavage ou de viol.
« Le fond neutre était une idée de Yann. Il souhaitait un cadre épuré où rien ne détournerait notre regard de celui de la femme interviewée. » Cette atmosphère a permis une véritable introspection. « Petit à petit, les femmes oubliaient la caméra et se concentraient sur leur vécu. Elles ne parlaient plus à nous, mais à elles-mêmes. » Les entretiens duraient deux à trois heures, une longueur indispensable pour cultiver l’intimité. La première version durait huit heures. Dix mois de montage supplémentaires ont alors été nécessaires pour parvenir à la version finale d’à peine deux heures. « Il était important pour nous que tous les sujets essentiels soient abordés. Même s’il n’y avait plus qu’une femme pour parler de telle problématique, elle le faisait pour toutes les autres qui avaient raconté des histoires similaires. »
« Certaines femmes nous ont confié des choses qu’elles n’avaient jamais confiées à personne. »
« Nous souhaitions que ce film soit une célébration des femmes et qu’elles se sentent fières d’en faire partie . » Un film plein d’espoir, de fierté et de courage. Dans une société où le sexe détermine le nombre d’obstacles qui entraveront le chemin de la vie, le courage des femmes est stupéfiant. Elles ont parfois vécu l’horreur et se sont relevées. « Certaines femmes nous ont confié des choses qu’elles n’avaient jamais confiées à personne. » Pour les histoires les plus difficiles, les journalistes sont revenues vers ces femmes pour s’assurer qu’elles n’avaient pas changé d’avis. Anastasia a alors constaté que la plupart des femmes étaient prêtes à être entendues.
Ce sont cinq femmes qui ont réalisé les entretiens. « Dans un grand nombre de sociétés, on n’aurait pas laissé une femme en tête à tête avec un homme. » L’intimité était un critère crucial pour permettre aux femmes de se libérer. « Culturellement, il est aussi plus simple pour des femmes de se confier sur des choses intimes à une autre femme. » Le sujet central reste le corps. « Le corps de la petite fille qui se transforme en femme. Celui qui découvre le plaisir de la sexualité. Le corps qui devient un danger dans la rue, le corps violenté. Celui transformé par la vieillesse ou la maternité. Le corps que la société veut contrôler en lui interdisant l’avortement. Ou au contraire en voulant l’imposer de façon forcée aux femmes. » L’une des grandes questions du film est : Pourquoi, partout dans le monde, existe-t-il un tel besoin de contrôler le corps des femmes ?
Certaines histoires sont bouleversantes, des femmes s’écroulaient. « J’ai parfois culpabilisé en me disant que j’étais allée trop loin. Très souvent, elles m’ont affirmé que oui, ce fut difficile et douloureux. Mais « c’était nécessaire et c’était mon choix ». »
Des projets qui marquent
« Avec Human, c’était déjà une expérience transformatrice. Mais avec Woman, ce fut une prise de conscience de ma chance. » Anastasia Mikova est journaliste d’investigation. Elle a travaillé sur des réalités délicates, telles que le trafic d’organes ou les réseaux de prostitution. Elle ne se pensait alors pas candide. « Pour autant, au travers des témoignages, j’ai réalisé à quel point mon cas personnel était une exception. » La réalisatrice a toujours été soutenue par ses parents. Plus encore, son mari s’occupe des tâches domestiques en raison de son engagement professionnel intense. Et Yann, son collègue, la respecte et la met en avant.
« Travailler sur ce film m’a prouvé à quel point les injustices étaient toujours nombreuses. Et combien il était crucial qu’hommes et femmes cassent les stéréotypes des deux côtés. » Elle livre un message d’espoir. « Je crois que c’est possible ». Certains viennent lui confier que ce film est « la meilleure thérapie de couple« . Au milieu des clivages que suscite le sujet, « nous créons un peu d’unité ». Les bénéfices du film seront reversés à l’association Woman(s). Créée par Yann Arthus-Bertrand et Anastasia Mikova, elle vise à aider les femmes du monde entier à travailler dans les médias. « Afin qu’elles puissent à leur tour porter la voix des femmes dans leur pays. »
Si on a un conseil à vous donner, c’est de courir voir ce film (après le confinement bien sûr). Plus fortes, plus belles, plus courageuses les unes que les autres, les femmes s’imposent pour augurer un changement. Au travers des témoignages, on pleure et on rit avec elles, on se reconnaît en elles. Les mêmes joies, les mêmes peurs, les mêmes colères. Le chemin à parcourir reste long, mais ce film ouvre la voie vers le courage. Briser les stéréotypes est le combat de tous. Terminons par cette phrase d’Anastasia Mikova : « L’ambition de notre projet est de montrer l’aspect universel de ces histoires. Faire ressentir qu’au-delà de toutes nos différences, il y a quelque chose qui nous unit ».