Le documentaire « Personne n’y comprend rien » signé Mediapart est introuvable à Lille

Mediapart a sorti, le 8 janvier, son film sur l’affaire des financements libyens de la campagne présidentielle de 2007, nommé « Personne n’y comprend rien ». Diffusé dans une cinquantaine de cinémas indépendants, il n’est cependant pas disponible à Lille.

Personne ne s’y attendait. Avec une moyenne de 86 entrées par séance et un total de 5.800 entrées pour la seule journée du samedi 11 janvier, le documentaire « Personne n’y comprend rien » enregistre des scores impressionnants. Les journalistes présents lors des projections-débats ont été stupéfaits de voir des séances afficher complet, se réjouit Etienne Ollagnier, président de Jour2Fête, organisme qui distribue le film.

Réalisé par Yannick Kergoat, notamment connu pour le documentaire critique Les Nouveaux Chiens de garde, le film ambitionne de vulgariser le lourd dossier du financement libyen de la campagne de Nicolas Sarkozy, dont le procès s’est ouvert le 6 janvier. Inspiré par la déclaration de l’ancien président : « Les Français sont bien en peine de résumer ce qu’on me reproche. Personne n’y comprend rien« , le journaliste de Mediapart Michael Hajdenberg répond sur Twitch vouloir faire « un film pour que les gens comprennent quelque chose. »

Aucune diffusion à Lille

Bien que le succès soit au rendez-vous, aucun.e Lillois.e n’a pu visionner le film de Mediapart dans la capitale des Flandres. La raison est simple : depuis le rachat du Majestic et du Métropole par UGC, Lille ne dispose plus de cinéma indépendant. Or, le documentaire est principalement diffusé dans des cinémas indépendants et des cinémas d’art et d’essai. Le chef-lieu des Hauts-de-France est d’ailleurs la seule ville de plus de 200.000 habitants à ne pas en disposer. Une situation d’autant plus scandaleuse que la production du documentaire a été financée par une campagne participative, qui a récolté 500.000 euros, grâce à 10.000 donateurs, dont des Lillois. Pour les plus courageux, des séances auront lieu du 22 janvier au 27 janvier à Villeneuve-d’Ascq, au cinéma Le Méliès.

Le film étant sorti en parallèle de l’affaire judiciaire en cours, cette absence suscite une vive frustration chez de nombreu.x.ses Lillois.es. C’est le cas de Justine Clastre, étudiante à Lille : « J’ai hâte de le voir car je n’ai jamais réussi à comprendre cette affaire, et je souhaite soutenir le travail de Mediapart qui ne me déçoit quasiment jamais. En plus de ça, j’aime beaucoup le cinéma et je trouve que c’est très intéressant d’utiliser ce vecteur à des fins journalistiques. » Pour rappel, Nicolas Sarkozy est accusé de « pacte de corruption » : il aurait reçu 50 millions d’euros de la part de l’ancien dictateur libyen Mouammar Kadhafi. Il encourt dix ans d’emprisonnement et 375.000€ d’amendes.

Vincent Brunet, étudiant à l’ESJ Lille, est pour sa part surpris de ne pas voir cette œuvre à l’affiche : « Au début, je pensais que c’était un bug sur le site, mais au final non. J’avoue que je suis bien dégoûté. » C’est également le cas d’Etienne Diallo, étudiant lillois : « Je suis déçu qu’il ne soit ni projeté au Majestic, ni au Métropole, surtout que j’ai un abonnement UGC illimité que j’aurais pu utiliser à des fins utiles. »

Pourquoi n’y a-t-il pas de cinéma indépendant à Lille ?

Cette histoire remonte à 2019 : UGC trouve alors un accord avec le propriétaire du Métropole et du Majestic, Michel Vermoesen. Ces cinémas d’art et d’essai qui n’appartenaient pas à un grand groupe sont devenus la propriété d’UGC, avec la promesse de Michel Vermoesen que ces cinémas conservent « leur identité, leur dénomination et leur ligne éditoriale ». Si le label est resté, leur programmation est désormais contrôlée par UGC, qui a choisi de ne pas inclure « Personne n’y comprend rien » à son agenda. Ce rachat avait été effectué pour anticiper l’arrivée de Pathé à Lille Sud, et « maintenir économiquement une programmation favorisant la diversité et la diffusion de cinématographies rares », selon le propriétaire. Finalement, le multiplexe Pathé-Gaumont n’a jamais vu le jour, à la suite de son abandon définitif en 2024.

Ce monopole a suscité depuis quelques années l’action d’acteurs du monde culturel, comme l’association Cinéphile. Elle dénonce la non-diffusion du documentaire de Mediapart, et a lancé une pétition pour réclamer le retour d’un cinéma indépendant d’art et d’essai. Reste à savoir si la situation peut concrètement évoluer.