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Rattrapages : Annie Ernaux, son roman La place fête ses 40 ans

Rattrapages : Annie Ernaux, son roman La place fête ses 40 ans

L’autrice française Annie Ernaux, lauréate du prix Nobel de littérature 2022, a publié il y a 40 ans, en 1983, un roman mêlant fiction et analyse sociologique sur fond autobiographique : La place

Née en 1940, Annie Ernaux grandit à Yvetot en Normandie, dans une famille issue d’un milieu modeste. Bonne élève, elle fait des études et devient professeure, ce qui lui permet d’accéder à la petite bourgeoisie, classe qui, à l’origine, est socialement supérieure à la sienne. Ce transfuge de classe est tout le propos de son ouvrage. Le roman oscille entre récit de vie et de mémoire, laissant une grande place aux parents et particulièrement à son père.

Raconter son père pour analyser la société 

Cet ouvrage d’une centaine de pages raconte son enfance et la vie de son père. L’autrice explique l’avoir écrit après la mort de celui-ci en 1967.  Le roman lui rend hommage d’une certaine manière.

“Je voulais dire, écrire au sujet de mon père, sa vie, et cette distance, (…) une distance de classe, mais particulière, qui n’a pas de nom. Comme de l’amour séparé.”, Annie Ernaux, La place

C’est une œuvre de fiction, mais il n’en reste pas moins un fond autobiographique important qui caractérise d’ailleurs les livres de l’autrice, comme son ouvrage L’évenement paru en 2000, un roman auto-socio-biographique à propos de l’avortement. D’une écriture froide, Annie Ernaux revient sur ses souvenirs de jeunesse, de manière fragmentée. Cette vie de famille provençale est contée sans surprises ou rebondissements romanesques, l’autrice revendique par ailleurs ce ton plat éloigné de l’art, comme un outil de description plus proche de la réalité et des faits.

La lecture laisse découvrir le parcours du père, un personnage dépeint sans artifices, avec des soucis d’hygiène et un vocabulaire plutôt pauvre, d’abord paysan, puis ouvrier d’usine et enfin tenancier d’un café-épicerie. Cette dernière profession rythme le récit et constitue l’ascension sociale de son paternel. L’écrivaine revient en parallèle sur sa propre ascension sociale, qui s’illustre dans le livre, par l’obtention de son diplôme notamment.  

Une critique intemporelle  

Le ton autobiographique permet de soulever des thèmes sociétaux encore très actuels. Des phénomènes purement sociologiques sont mis en lumière dans ce roman, qualifié en outre d’œuvre littéraire auto-socio-biographique.

Le contexte du roman dresse le portrait des conditions de travail de ses parents, et de la précarité qui en découle, notamment à travers les différentes professions de son père et de son environnement familial. La Place retrace aussi l’ascension sociale, représentée d’abord par le père puis par leur fille cadette, Annie, qui est poussée à continuer ses études. Ce dernier point est développé dans le récit par la réception de ce changement de statut social de l’enfant vis-à-vis des parents. Elle s’élève socialement et découvre un nouveau monde loin de celui de son enfance, de son père.

L’écrivaine raconte la honte de ne pas parler comme les autres élèves, et le tabou de cette parole qui était à consonance patoise à la maison. L’autrice se décrit comme une enfant déchirée entre deux mondes, celui de son père, un milieu ouvrier, et la petite bourgeoisie qu’elle approche au fur et à mesure de sa vie. Le titre du livre fait d’ailleurs référence à la place matérielle où était le petit commerce de ses parents, et la place que symboliquement chacun et chacune occupe dans la société. 

L'autrice Annie Ernaux à la remise de son prix Nobel de littérature en 2022.
L’autrice Annie Ernaux à la remise de son prix Nobel de littérature en 2022. © Frankie Fouganthin (Wikimedia Commons)

L’impact de l’ouvrage 40 ans plus tard

Annie Ernaux distingue sa manière d’écrire en favorisant le portrait social et le récit de mémoire comme source d’écriture. Elle écrira dans son roman même en guise d’explication prématurée : “Depuis peu je sais que le roman est impossible, pour rendre compte d’une vie soumise à la nécessité je n’ai pas le droit de prendre d’abord le parti de l’art et de chercher à faire quelque chose de passionnant ou d’émouvant.” Ce choix qui peut choquer par sa froideur, notamment à l’évocation de la mort du père, mais sert à construire un récit documentaire qui, en établissant des faits sans artifices, nourrit les sciences humaines.

Remarqué pour ce style d’écriture neutre et plat, l’ouvrage remporte le prix Renaudot en 1884. Il est remis sur le devant de la scène à l’occasion du prix Nobel de littérature de l’autrice l’année dernière. C’est “l’effet Nobel” qui a permis à la maison d’édition Gallimard de relancer des exemplaires, notamment de ses anciens ouvrages. D’autre part, son discours, à Stockholm, à l’occasion de la remise de ce prix Nobel, revient sur cette envie de dépasser l’injustice sociale de la naissance, et comme un écho à son ouvrage La place, l’autrice évoque son envie de devenir écrivaine au bout de la lignée de paysans, de gens méprisés pour leur accent et leur inculture.

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