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Prix Goncourt et Renaudot 2024 : quand la littérature s’impose comme gardienne de mémoire

Prix Goncourt et Renaudot 2024 : quand la littérature s’impose comme gardienne de mémoire

Goncourt

Le 4 novembre 2024, le Prix Goncourt a été décerné à Kamel Daoud pour Houris, paru aux éditions Gallimard, tandis que le prix Renaudot a récompensé Gaël Faye pour Jacaranda aux éditions Grasset. Ces distinctions représentent une victoire symbolique pour le continent africain et son histoire passée sous silence pendant de nombreuses années. Avec Houris et Jacaranda, les auteurs lèvent le voile sur la décennie noire de l’Algérie et le génocide rwandais. Récit d’une reconnaissance arrivée « plus tard que jamais ».

Les jurys des prix Goncourt et Renaudot récompensent cette année, non pas un, mais bien deux romans qui explorent les drames et secrets du continent africain, une première depuis la création du prix Goncourt en 1903.  Bien que des romans comme La nuit sacrée de Tahar Ben Jelloun (prix Goncourt 1987), interrogeant la condition féminine au Maroc, ou encore Mémoire de porc-épic de Alain Mabanckou (prix Renaudot 2006), témoignage des légendes populaires congolaises, ont été récompensées, il est plutôt rare que l’Afrique soit mise à l’honneur comme c’est le cas en cette année 2024.

Plusieurs questions se posent alors : notre société évolue-t-elle vers une plus grande reconnaissance de l’Histoire africaine ? Les auteurs ont-ils un meilleur recul qu’auparavant pour analyser ce passé douloureux ? Prenons-nous plus amplement conscience que la mémoire s’entretient, qu’elle représente les fondements d’un avenir meilleur et moins violent ? Si ces interrogations restent entières, les jurys semblent nous inviter à y réfléchir en s’orientant vers Houris de Kamel Daoud et Jacaranda, de Gaël Faye.

La décennie noire en Algérie : le romanesque au service de l’histoire 

Dans Houris, nous rencontrons Aube, une jeune femme de 26 ans, née à Oran, en Algérie. Elle est la survivante d’un égorgement, par un milicien, au cours de la nuit tragique du 1er janvier 2000. Cette agression lui laissera une cicatrice au cou et la privera de sa voix. Et justement, tout le propos est là : sa voix. À travers ce roman, le journaliste et écrivain franco-algérien entend donner une voix à tous les algériens qui se souviennent de la guerre civile qui a ébranlé leur pays dans les années 1990.

Aussi appelé « décennie noire », ce conflit opposait le gouvernement algérien à divers milices islamistes. On estime que 200 000 personnes furent exécutées, notamment par ces groupes. Kamel Daoud était présent à l’époque et couvrait le conflit en tant que journaliste. Houris s’inscrit dans la continuité de sa critique de l’islamisme politique, qu’il formulait déjà dans Meursault, contre-enquête, récompensé par le prix Goncourt du premier roman en 2015. Au-delà de rétablir la mémoire d’un évènement qui ne trouve actuellement pas sa place dans les livres d’Histoire algériens, Houris dénonce donc la gestion du conflit par le gouvernement algérien avec l’intensité du témoignage et la fragilité du tabou. 

« Ce roman montre combien la littérature, dans sa haute liberté d’auscultation du réel, sa densité émotionnelle, trace aux côtés du récit historique d’un peuple, un autre chemin mémoire » – Philippe Claudel (président de l’Académie Goncourt)

Le génocide rwandais : la poésie pour panser les plaies

Été 1994. Le génocide des Tutsis plonge le Rwanda dans le chaos d’une violence indicible. Milan n’est alors qu’un petit garçon qui vit en France, aux côtés de Venancia, sa mère d’origine rwandaise exilée en 1973. C’est par la télévision, qui diffuse les images effroyables du génocide en cours, que Milan rencontre le Rwanda pour la première fois. Sa mère ne dit pas un mot, elle n’évoque pas son pays d’origine, ni le drame qui le traverse. Au fil du roman, le jeune Milan rencontre des témoins du massacre, et découvre, pas à pas, l’ampleur de l’horreur. Il démêle les secrets, apprend et comprend.

À travers Jacaranda, le musicien et écrivain franco-rwandais Gaël Faye se replonge dans son patrimoine familial. Après avoir remporté le prix Goncourt des lycéens en 2016, pour son premier roman partiellement autobiographique, Petit Pays, il s’intéresse avec Jacaranda, au monde de l’après, tout en rappelant les implications occidentales dans le génocide. Très sensible à la cause rwandaise, il rétablit la mémoire et brise le silence. Silence qui imprègne son histoire personnelle et qu’il cherche à confronter par l’écriture.

« On cherche à protéger par le silence et on finit par insécuriser » – Gaël Faye

Un pas vers une mémoire qui lutte encore contre le tabou

La rentrée littéraire est donc marquée par un rappel au devoir de mémoire. Kamel Daoud et Gaël Faye mettent en lumière les traumatismes qu’on évite d’évoquer, avec respect et pudeur. Les lecteurs appréhendent le tragique des évènements sur un ton poétique, presque pédagogique. Cependant, le tabou reste ancré. Houris est censuré en Algérie et non-traduit en arabe, tandis que Gaël Faye confie que le génocide rwandais reste un sujet peu abordé dans sa famille. 

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