Le voguing, une culture en plein essor
Fondée en 2018, l’association Vogue in Lille promeut la culture voguing, un style de danse issu de la communauté LGBTQ+ noire et latine, née à New York dans les années 1980. Alliant performance, mode et expression de soi, le voguing mêle poses inspirées du mannequinat et mouvements chorégraphiques. L’association organise des ateliers et événements pour faire découvrir cette culture inclusive et artistique au public lillois.
L’histoire du voguing : quand la danse devient politique
Bien plus qu’un style de danse, c’est un véritable phénomène culturel. La particularité du voguing est « la pose mannequin », connue dans le célèbre magazine Vogue. Les danseurs se regroupent en équipes appelées houses et disposent d’un-e chef-fe d’équipe appelé-e mother ou father. Ces équipes s’affrontent en dansant, lors d’événements. À l’origine, les balls étaient des espaces de liberté où les personnes marginalisées pouvaient s’exprimer, se célébrer et se défaire des normes sociétales.
Chrystal Labeija, afro-américaine, transgenre et drag queen est souvent citée comme la pionnière de la culture ballroom. Travailleuse dans le milieu drag de Manhattan, elle a participé à de nombreuses compétitions, bien souvent dans un climat raciste, où il était courant que les drags queens racisées se maquillent de façon à paraître plus « blanches » pour avoir une chance de remporter les compétitions. Lassée de ce système discriminant, Chrystal a décidé de s’allier avec une autre drag queen pour organiser un ball exclusivement réservé aux Queens noires. Ce mouvement s’est rapidement transformé en un symbole de résilience et d’affirmation de soi. Dans un contexte où le racisme, l’homophobie et la transphobie étaient omniprésents, les voguers trouvaient dans ces compétitions une forme de refuge artistique et politique.
Des stars aux JO 2024
Le voguing, longtemps considéré comme underground, a peu à peu trouvé son chemin vers le grand public grâce à des stars. Si Madonna a ouvert la voie dans les années 1990 avec son titre Vogue, des artistes comme Beyoncé ont aussi rendu hommage à cette culture. En 2022, avec son album Renaissance, l’artiste américaine y fait référence, à travers des morceaux à succès tels que Pure/Honey et des visuels inspirés des balls new-yorkais. Le voguing a également été mis à l’honneur lors des Jeux Olympiques de 2024, qui ont accueilli une compétition pour cette discipline au Parc des Champions, au pied de la tour Eiffel.
« J’avais la dalle »
L’aventure à débuté il y a cinq ans. Maylisse Lopèze a découvert le voguing à Paris, où cette culture est déjà bien implantée. La jeune femme voulait ramener à Lille la même ambiance que dans la capitale. « Je voulais un groupe avec qui parler voguing et ballroom, et retrouver la même ambiance, ici à Lille. Je suis un pur produit du Nord », dit-elle. Non sans difficulté, puisqu’elle a monté son association toute seule et fait face à de nombreuses mauvaises rencontres. « Je savais que ça allait être compliqué du fait que je sois seule, mais je n’ai pas lâché. Si tu savais… ». Son frère, qui travaillait à l’époque dans un bar gay de la métropole, lui a confié que son patron voulait faire une soirée avec des Drag Queens. « Je lui ai dit écoute, je ne connais pas de drag queen mais je peux te proposer une soirée voguing. » Cette soirée a été le tout premier événement de l’association. S’en est suivie une rencontre avec Wawa L’Asso, une structure culturelle spécialisée dans la diffusion d’événements inspirés des cultures afro, à Lille. C’est ainsi que Vogue In Lille a vu le jour.
Créer une safe place pour tous
Depuis sa création, Vogue In Lille se revendique comme un espace inclusif et sécurisé, où chacun peut venir s’exprimer, quelles que soient ses origines ou ses compétences en danse. Maylisse veille à ce que cet espace soit libre de toute forme de jugement : « Tu n’es là que pour toi-même, peu importe ton niveau. Le voguing, c’est avant tout une question de libération et de plaisir personnel. Faire les choses pour soi aide à se démarquer, à trouver son identité de danse. »L’association, qui ne demande aucune cotisation, compte aujourd’hui vingt deux membres. Vogue in Lille propose des trainings deux fois par mois, les mardis (au Flow). Pendant les périodes scolaires, des cours sont également dispensés à l’Université de Lille (sur le campus de Pont-de-Bois), les lundis. Ces trainings sont ouverts à tous : « Tu peux venir pour danser, faire de la photo, regarder les gens danser, écouter de la musique… Il faut qu’en ressortant tu te dises que tu aies passé un bon moment ». En plus des trainings, une fois par mois à lieu une masterclass, où des legends (personnes influentes de la ballroom) viennent dispenser leurs cours. La politique de Vogue in Lille, c’est qu’il n’y ait pas de mother ou de father comme dans les houses classiques. « Je tiens vraiment à créer une coalition dans mon association, qu’il y ait du partage. Je veux que ça soit un groupe, une famille, et non tout le monde derrière une seule et même personne. »
« J’y mets un point d’honneur »
Maylisse tient vraiment à emmener tous ces adhérent-es, y compris ceux de l’Université de Lille, dans un ball, à Paris. La structure sera donc au rendez-vous le 2 novembre, au « Halloween Ball », se tenant à la Gaité Lyrique. Le prochain ball de Vogue In Lille, intitulé « Multicolor Ball Part III – The End », se tiendra au Flow, dans le cadre du prochain festival des danses Hip-hop. Pour la présidente, l’objectif de l’association est clair : « Si Vogue In Lille peut apporter une sphère d’acceptation à une personne ou deux, que ce soit des gens en transition; en plein questionnement, ou qui n’ont pas eu la chance de se trouver, alors, ma mission est réussie ». Bien que Maylisse porte l’association à bout de bras, entre communication, location de salles et gestion des événements, elle le fait avec fierté, incarnant l’esprit résilient du voguing. « I’m that bitch », plaisante-t-elle en souriant.
