Des étudiants tentent de bloquer l’Université de Lille pour protester contre la réforme des retraites
Une cinquantaine d’étudiants opposés à la réforme des retraites ont tenté de bloquer le campus Moulins ce mardi 7 février, en pleine journée de mobilisation nationale. Ils ont été rapidement délogés par les forces de l’ordre, assistées par certains membres de l’UNI.
Dès les premières heures de la matinée, ils ont bravé l’hiver lillois pour se poster devant la fac. Poubelles, colliers Colson, tout est bon pour obstruer les entrées. Sur une affiche, on lit « si tu nous mets 64, on te re-mai 68″. Pendant un peu moins de deux heures, le campus Moulins est transformé en place fortifiée sur le champ de bataille de la réforme des retraites. Mais c’est sans compter l’intervention musclée des forces de l’ordre, qui ont mis fin au blocus. Elles ont pu compter sur l’aide d’une poignée de militants de l’UNI, un syndicat représentant « toutes les droites ».
Quand l’UNI débloque
Le blocage de Moulins n’aura été que très éphémère. Vers 7 heures 45, cinq minutes avant le début des cours, la police s’avance dans la nuit. Les protestataires tentent de faire front, mais ils sont repoussés, parfois violemment. Des militants de l’UNI, une association étudiante dont les membres vont de la droite à l’extrême-droite, sont venus collaborer avec les forces de l’ordre. Assistés par quelques autres étudiants, ils ont enlevé les poubelles obstruant l’entrée. « Nous n’y sommes pas allés pour prendre position pour ou contre la réforme des retraites, mais plutôt car on est opposé aux blocages des facultés » explique un militant de l’UNI. Si l’association n’a pas de position sur la réforme des retraites, sa responsable lilloise, Hélène, déclare s’intéresser plutôt aux « problématiques qui nous concernent vraiment : l’écriture inclusive, la prière à la fac ou les tickets restaurants étudiants ».
Les forces de l’ordre mettent fin au blocage. © Louise Bihan
Une fois que le blocus est détruit, trois groupes se font face. D’un côté du parvis, la douzaine de militants de droite dure, scandant « gauchistes, gauchistes, hors de nos facs ». De l’autre, les manifestants, qui entonnent un « siamo tutti antifascisti [nous sommes tous antifascistes, NDLR] ». En face, la masse d’étudiants attendant d’aller en cours. Ceux que le Pépère News a interrogé sont mitigés sur le blocage. Beaucoup soutiennent la cause, mais certains trouvent que bloquer est « contre productif ». « On veut juste aller travailler » peste l’un d’eux. Finalement, on les fait passer par une entrée secondaire. Certains militants partent vers Science Po, où la police est déjà intervenue pour prévenir tout blocage. Des militants du groupe IEP Mobilisé, opposés à la réforme des retraites, distribuent des pâtisseries pour financer les caisses de grève. « Nous aussi on a eu des fachos (sic) qui sont venus essayer de perturber le tractage, apparemment ils n’avaient pas faim » plaisante une militante sciencepiste.
Le face-à-face entre l’UNI et les manifestants © Louise Bihan
Bloquer la réforme
« On s’oppose à une réforme très brutale, à la fois dans son contenu et dans sa mise en œuvre » explique Tomas Kebbati, responsable des Jeunes Insoumis à Lille. Il fait référence à l’usage par le gouvernement de l’article 47.1 de la Constitution. Celui-ci lui permet de raccourcir considérablement les débats parlementaires. Si ceux-ci durent plus de cinquante jours, l’exécutif pourra émettre ce que l’on appelle des ordonnances, c’est-à-dire des textes de lois qu’il rédige lui-même sans débat du Parlement. Ces ordonnances doivent ensuite être validées par une majorité de parlementaires. « Il ne nous reste qu’un mois et demi avant que le gouvernement n’ait les moyens légaux de passer cette réforme » ajoute-t-il. Lui milite pour « la retraite à 60 ans. Avec ça, on partage mieux le temps de travail, de manière à ce qu’il y ait de l’emploi pour tous ». Pour lui, il est légitime de bloquer l’établissement, pour « forcer les gens à se positionner ». « Là, on est dans une grosse mobilisation étudiante, avec des assemblées générales qui mobilisent des centaines d’étudiants chaque semaine. Il y a une montée en puissance, et on pense qu’elle peut augmenter grâce au blocage, qui permet de faire la convergence des luttes avec les travailleurs ».
Yanis Di Bartolomeo, président de l’UNEF Lille, estime que la réforme est « injuste et injustifiée, parce que le déficit [du système des retraites, NDLR] dont nous parle le gouvernement pourrait être comblé de plein de manières différentes. On pourrait augmenter les cotisations sociales, payer les femmes au même niveau que les hommes, ça permettrait de combler le déficit ». Il défend « l’idée qu’il y a un troisième âge de la vie qui est en dehors du marché du travail. Ce qui est utile à la société, c’est pas forcément ce qui rapporte de l’argent ». De manière plus prosaïque, le leader local de l’UNEF craint que prolonger la durée passée à travailler ne nuise à l’emploi des jeunes : « Le premier emploi stable aujourd’hui c’est 27 ans, ça veut dire qu’on doit travailler jusqu’à 70 ans ? […] Si les gens travaillent plus longtemps, le taux de chômage des jeunes va augmenter. On a un taux de chômage des jeunes à 18%, c’est 10 points de plus que le reste de la population ». Même si les économistes considèrent plutôt que c’est l’emploi des seniors qui sera affecté.
Une intervention légitime ?
Subsiste encore une interrogation. Les forces de l’ordre avaient-elles le droit d’agir dans le périmètre, devant les portes de la fac ? L’article 712-2 du code de l’éducation indique que « [le président de l’Université] est responsable du maintien de l’ordre et peut faire appel à la force publique dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ». S’il ne fait pas appel à la police, elle ne peut théoriquement pas agir dans les locaux de l’Université, sauf exception. Pourtant, la présidence affirme au Pépère News qu’elle n’a pas demandé d’intervention policière. L’avocat Alexis Deroudille, spécialisé en droit universitaire, explique que le droit administratif « n’est pas très spécifique sur ces questions, il faut se baser sur la jurisprudence ». Mais la zone placée juste devant les portes fait-elle partie des locaux de l’Université, ou de l’espace public, où la police peut intervenir sans l’aval du président ? Après avoir consulté des photos des événements du 7 février, Me Deroudille pense que l’action policière s’est déroulée au sein de l’établissement. « Les policiers interviennent dans le but de débloquer les locaux, je pense donc qu’on peut considérer cela comme une action dans l’Université » estime-t-il. Mais il explique qu’en France, « l’État intervient d’abord, et se pose la question de la légalité ensuite. C’est ce qu’on appelle le privilège du préalable ».lo
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