La contribution des artistes à un avenir durable
Et si faire de la musique sans électricité était le nouveau défi pour les artistes ? C’est la question que se sont posés les intervenants du Sustain festival qui s’est tenu à Lille. Les transports, les décors, l’électricité, les déchets, ou encore la venue en masse du public participent à la création d’émissions de CO2, et donc au changement climatique. Les artistes s’interrogent sur la place qu’ils ont, ou qu’ils doivent adopter, dans cette transition. Les nouveaux enjeux auxquels ils sont confrontés sont autant écologiques qu’économiques et sociaux.
S’il y avait un rendez-vous à ne pas manquer c’était bien celui-là : le Sustain festival à l’Aéronef de Lille, du vendredi 25 octobre au dimanche 27 octobre 2024. Un festival qui rassemble artistes de tous genres, metteurs en scène, entreprises, associations et bien d’autres encore autour d’un enjeu commun : le changement climatique.
La première conférence était organisée par Benjamin Collier (artiste musicien), accompagné d’Anne Freches et de Capucine Meens (artistes chanteuses acoustiques), qui se penchent aujourd’hui sur le plus gros enjeux actuel : s’adapter au changement climatique. Comment faire et penser la musique en fonction des contraintes énergétiques ? Diminution de l’utilisation de pétrole, ou encore diminution de l’usage de l’électricité, le terme « d’éco-conditionnalité » est au cœur du sujet. Il s’agit de contraintes ayant pour but de respecter les normes environnementales.
“Il est nécessaire de commencer à réfléchir à des alternatives ou à d’autres manières de créer les spectacles”.
Est-ce possible de continuer son art sans qu’il ne porte préjudice à la planète ?
Avec ce questionnement “comment faire l’art sans qu’il n’abîme la planète ?”, nous admettons que celui-ci à un impact négatif sur nos ressources. “Le secteur de l’art n’est plus dans un rôle de préfiguration du monde de demain, d’anticipation, ni d’accompagnement. Le monde de l’art a un retard colossal vis-à-vis de l’écologie.” affirme Alice Audouin, fondatrice d’Art of Change 21, organisation internationale en faveur de l’environnement et du développement durable misant sur la créativité, la pluridisciplinarité et la co-création.
Ce retard est visible en premier lieu au niveau des transports, autant pour les tournées de concerts que pour les déplacements d’œuvres d’un musée à un autre, qui se réalisent en avion ou en camion. La restauration des œuvres est également très polluante car elle utilise des plastiques qui libèrent des composants chimiques dangereux (acides ou plastifiants). Aussi, l’utilisation parfois démesurée de l’électricité pour la réalisation de décors toujours plus impressionnants participe à l’empreinte carbone.
Benjamin, Anne et Capucine se questionnent sur des solutions pour une réduction de l’utilisation de l’énergie, tout en garantissant que les artistes puissent jouer dans de bonnes conditions, sans être frustrés.
“Comme pour toutes choses, il s’agit de trouver le juste milieu”, affirme Benjamin Collier, “C’est une question d’équilibre”.
Anne et Capucine n’ont pas la même approche que lui. Leur rapport à l’électricité reste compliqué du fait de voix étouffées par les guitaristes et batteurs, ou encore une mise en danger lors d’un concert où eau de pluie et électricité se sont rencontrées. Le duo choisit la radicalité et décide de se lancer dans le projet : “faire des concerts sans électricité”. Les musiciens Manu Louis et Sylvain Chauveau adoptent cette même démarche. Le jardin de la Maison Folie Moulins à Lille les a reçus cette année pour jouer leurs sets solo 100 % acoustiques sans micros, sans sono et sans éclairage.
“Il faut repenser notre rapport à l’électricité comme une addiction” affirment Anne et Capucine
L’objectif est de faire en sorte que les voix continuent d’être porteuses sans l’utilisation d’amplis, ou de micros. “On a commencé par entraîner nos voix à reproduire des effets de studio”, ensuite, “la morphologie des salles de concerts est devenu un choix primordial”. Les salles acoustiques, notamment les chapelles, étaient idéales. Le sens du rôle du public change et “est à remettre en question” : “le public est membre du spectacle, et y participe par le chant ou en donnant le rythme avec les mains par exemple”. Il ne serait donc plus spectateur passif mais mobilisé, et donc peut-être plus un acteur à part entière du concert.
“L’énergie du public pourrait-elle pallier à l’absence d’électricité ?” s’interroge Benjamin.
Repenser le futur des musiciens
De nombreuses questions se posent pour les artistes : une mise en place de quotas d’énergie pour les tournées, concerts accessibles seulement en train, nombre de places du public limité, etc. Comment faire avec ces potentielles nouvelles normes ?
“Dans une telle précarité économique, on ne peut pas se permettre d’être parfait en écologie. Par exemple, on ne peut pas refuser une date de concert.” nous confient les conférenciers
Et pourtant, la contrainte est moteur de création. Afin d’accompagner au mieux les artistes et pour créer une unité solidaire autour d’une même cause, des chartes, festivals, et événements voient le jour. Un changement non seulement de la forme (nouvelles salles, rôle du public, choix du transport, etc.) mais surtout du fond. C’est une manière différente de voir, de produire ou de vivre la musique.
Benjamin Collier, avec Avant-Post, est à l’initiative de la charte DOGM23. Celle-ci a pour ambition de “revisiter la pratique des musiciens, en suivant un certain nombre de consignes éco-responsables. L’enjeu est également d’imaginer des alternatives aux modèles traditionnels d’organisation de concerts”. Cette charte fut lancée lors du Festival Zéro carbone qui permet, grâce à des animations, défilés, échanges, jeux ou encore des concours, de s’informer de manière ludique sur les “bons gestes du quotidien pour réduire notre empreinte carbone et préserver notre planète”.
Il existe aussi le projet “Start making sense” possible grâce au soutien de la Ville de Lille, du dispositif Labo Inspirants de la Drac HdF et de l’Aéronef. “À terme, l’idée est d’établir une charte vertueuse qui pourrait devenir une source d’inspiration pour les artistes des musiques amplifiées afin de concevoir des créations qui prennent en compte les enjeux contemporains d’éco-sobriété” rappelle l’équipe d’Avant-Post. Concernant, le problème de la pollution liée au transport des œuvres, au Palais des Beaux-Arts de Lille, un système de déplacement groupé est mis en place depuis un certain moment afin d’éviter les aller-retour inutiles.
Enfin, il existe des ingénieurs spécialisés pour dresser un bilan carbone des expositions, foires ou ventes aux enchères. De nombreuses institutions se contentent d’organiser des conférences et des interventions sur le sujet du climat mais gardent le silence vis-à-vis de leur consommation.
Ces initiatives sont à disposition des artistes et proposent de les accompagner vers une transition plus verte, ne tenant qu’à eux de s’y référer.
“Jusqu’où accepter la dissonance cognitive”?
Changer la façon d’exercer son art n’a pas seulement des répercussions sur la forme ou l’impact environnemental, c’est aussi un choix économique. En effet, organiser un festival qui attire beaucoup de monde, c’est la possibilité pour les locaux de faire vivre leur économie. L’exemple est clair avec le festival d’Avignon organisé chaque année, présenté par Samuel Valensi lors de sa conférence “Changer de rêve, la véritable urgence écologique”, lors du Sustain festival. Le festival d’Avignon représente, pour les restaurateurs de la ville 70% de leur revenu annuels et représente une grande source d’emplois. Repenser la façon de concevoir l’art implique donc plusieurs enjeux, qu’ils soient écologiques, économiques ou sociaux.
“La décarbonatation est possible, mais c’est notre image de l’art que nous avons dû mal à changer” nous affirme Samuel Valensi, auteur et metteur en scène.
Montrer un certain type d’art a un impact sur nos représentations et donc notre imaginaire. Cette nouvelle façon de faire peut changer notre façon d’appréhender l’art, et notre manière de vivre en général. “Je pense qu’il est important que les artistes intègrent dans les films ou leur production en général, des façons d’être écologiques.” (S. Valensi). Cela changerait donc, indirectement et inconsciemment, les imaginaires à propos de la manière d’exercer l’art.
« Finalement, l’objectif à atteindre dans la transition écologique et sociale est de changer de mix énergétique ou de changer de rêve ? » (Samuel Valensi)