Meeting international communiste pour la paix à Hellemmes
Ce samedi 27 janvier, plusieurs organisations de gauche se sont réunies à Hellemmes lors d’un ”meeting international pour la paix” organisé par les Jeunes Communistes du Nord. Au programme, pacifisme, lutte des classes, et altermondialisme.
En entrant au 6B rue Roger Salengro, on sait tout de suite qu’on est sur le point d’assister à un meeting marxiste. Dans une grande salle rectangulaire prêtée par le Parti communiste, quelques centaines de personnes sont attendues. On trouve des antifas de la Jeune Garde, l’association Survie qui s’oppose aux interventions françaises en Afrique, un collectif de solidarité avec la Palestine, ou encore des militants pour un rapprochement avec Cuba. D’ailleurs, le dictateur cubain Fidel Castro lui-même observe la scène, depuis un poster élogieux placé près du bar. Si toutes ces organisations ne soutiennent pas le message politique du meeting, elles partagent un même engagement pacifiste. Mais l’événement sera entaché par un festival de relativisme et de propagande russe mal déguisée.
Entre pacifisme et propagande
Après une brève introduction, le dissident communiste russe Elmar Rustamov prend la parole. Il est membre de ”la Russie travailleuse”, une organisation marxiste elle-même intégrée à la coalition des Socialistes contre la guerre, et a dû s’exiler pour fuir la persécution politique. Heureux d’être face à des ”héritiers de la Commune de Paris”, il convoque l’esprit de Jean Jaurès, grande figure de la gauche française qui a tout fait pour empêcher la Première Guerre mondiale. Rustamov exhorte les militants à ne pas se laisser berner par la propagande russe : ”Poutine est un prédateur, nous ne pouvons pas le laisser envahir l’Ukraine”. Il est le seul intervenant du meeting à soutenir l’envoi d’armes à Kiev, et refuse clairement de mettre Vladimir Poutine et Volodymyr Zelensky à égalité.
C’est ensuite Laurent Brun, leader de la CGT-Cheminots, qui intervient. Il insiste sur les conséquences de la guerre en Ukraine sur la classe travailleuse, notamment la “suspension du droit du travail”. En effet, Kiev a autorisé les entreprises à suspendre les salaires, une mesure symptomatique de la politique de casse sociale accélérée par le conflit. ”Dans cette guerre il n’y a pas de bon camp, il n’y a pas d’impérialisme heureux”, affirme-t-il. Puis, ne s’embarrassant plus de contraintes inconfortables comme la vérification des faits, il évoque la “présence de néo-nazis dans le gouvernement [ukrainien] […] et l’interdiction de la langue russe”. Sauf que ces deux affirmations sont en réalité fausses, et elles sont propagées par le Kremlin pour justifier son attaque. S’il y a une présence inquiétante de l’extrême droite en Ukraine, celle-ci n’a obtenu que 2% des suffrages aux dernières élections. Quant à la langue russe, elle n’a jamais été bannie par l’Ukraine.
À plus de huit mille kilomètres de chez eux, deux représentants du Movimento dos Sem Terra (MST, mouvement sans terre en portugais) brésilien prennent la suite du meeting. Grâce au jeune interprète qui avait déjà traduit le discours d’Elmar Rustamov, ils évoquent leur combat pour défendre les intérêts des travailleurs. Au Brésil, 57% des terres cultivées sont détenues par des grands propriétaires terriens, alors que des millions de familles n’ont pas les moyens d’en posséder. Le MST s’engage pour garantir ”l’accès à une éducation de qualité, au logement, aux routes pour transporter la production”. Interrogée par Pépère News, Jeisse Carvalho, du MST, ne prend pas position sur la guerre en Ukraine, à part pour demander la ”paix”. ”La seule guerre que le MST défend, c’est la guerre contre la faim”, affirme-t-elle.
Une solution diplomatique ?
Après les militants du MST, c’est Jouwe Vanhoutteghem, élu suppléant du Parti du travail belge, qui prend la parole. Pour lui, l’ombre des États-Unis plane sur le conflit. ”On voit clairement les intérêts du complexe militaro-industriel [américain,] des grands barons du gaz, et de Wall Street”, affirme-t-il. À croire que Poutine lui-même a fait exprès d’envahir l’Ukraine pour servir les Américains. ”La guerre en Ukraine est une guerre entre l’establishment américain et l’establishment russe, qui se mènera jusqu’à la dernière goutte du sang ukrainien”, assène le parlementaire flamand. Comme souvent, la gauche européenne nie totalement le libre-arbitre du peuple ukrainien, qui serait coincé entre Moscou et Washington. Comme presque tous les autres intervenants, Vanhoutteghem appelle à ”une solution diplomatique” et à la suspension des ventes d’armes à l’Ukraine. Qu’importe, au fond, si sans armes occidentales l’Ukraine serait déjà potentiellement à court de stocks pour faire face à l’envahisseur.
Avant-dernier intervenant, Pierre Marshall est l’international officer (chargé des relations internationales) de la Young Communist League britannique. Il appelle à une ”sortie immédiate du Royaume-Uni de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord (OTAN), un retrait de tous les militaires britanniques des territoires étrangers, et au démantèlement de l’arsenal nucléaire du pays”. Pour lui, ”l’OTAN et les États-Unis sont les agresseurs dans ce conflit”. Rappelons que (pour une fois) les États-Unis n’ont annexé personne, contrairement à la Russie. Il demande aussi la libération des frères Kononovitch, deux dirigeants de la jeunesse communiste ukrainienne, qui seraient actuellement emprisonnés. En juillet, ils ont subi un procès pour ”actions visant à renverser l’ordre constitutionnel par la force”, où ils ont notamment été accusés de coopérer avec les Russes, ce qu’ils nient farouchement. En Ukraine, onze partis ont été suspendus depuis le début du conflit pour des liens plus ou moins avérés le Kremlin.
Une vision originale de la démocratie
Le meeting se conclut sur une intervention de Pierre Verquin, leader des Jeunes Communistes du Nord. Il dit défendre ‘’la paix entre les peuples, et la guerre entre les classes”. Et raille Zelensky, qui ”serait selon ses alliés de l’OTAN un homme profondément démocrate”. ”Quand on se dit partisan du droit à l’auto-détermination des peuples, on admet leur droit à l’indépendance”, affirme Pierre Verquin, visant notamment les États-Unis et leurs nombreuses invasions.
Et que fait-il du droit à l’indépendance des Ukrainiens ? ”Que ça soit Poutine qui récupère le gaz de schiste [présent en grande quantité en Ukraine, NDLR] ou que ce soit l’Ukraine, dans les deux cas, c’est la classe travailleuse qui paie”, répond-il au Pépère News. Que les Ukrainiens n’aient pas envie de se faire envahir, c’est finalement très secondaire, ils sont ”manipulés par les bourgeois”. P. Verquin, lui, sait ce qui est bon pour eux : ‘’On peut tout à fait respecter [l’avis des Ukrainiens], mais par contre, venir imposer une autre idée en tant que communistes.” Cette autre idée serait ”une solution diplomatique” même si cela implique des concessions territoriales à la Russie.
On décèle sans trop de difficulté où les communistes placent le curseur en termes de démocratie. Volodymyr Zelensky ne serait ”pas beaucoup mieux que Poutine” selon Pierre Verquin. Certes, l’Ukraine est loin d’être une démocratie consolidée. Dans le classement des démocraties de l’ONG Freedom House, qui fait référence, le pays est listé comme étant ”partiellement libre”, avec un score de 61/100. Soit quatre fois plus que la Russie. Mettre Zelensky à égalité au Panthéon des dictateurs avec un tyran accusé d’assassinats politiques et de répression de masse est donc absurde. Ce qui n’empêche pas P. Verquin de systématiquement renvoyer les deux dos-à-dos, y compris quand on l’interroge sur les atrocités commises par l’armée russe.
Pourtant, l’ONU affirme clairement que ”les forces armées russes ont commis la grande majorité des violations du droit international”, même si elle note aussi deux ”crimes de guerre” potentiels dont l’Ukraine serait coupable. Quand le Pépère News l’interroge sur la présence d’un poster du dictateur Fidel Castro, le présentant comme ”un géant de la libération des peuples”, P. Verquin défend ”un grand démocrate”. On parle bien d’un tyran resté au pouvoir 49 ans, qui a nié des droits politiques basiques à des générations entières, emprisonné des milliers de Cubains dans des conditions abyssales, et ordonné des centaines d’exécutions sommaires. Une vision originale de ce qu’est un démocrate, où il suffit de se dire de gauche pour mériter ce label.