Sustain, recul sur les rouages grippés d’une culture trop carbonée

Du 25 au 27 octobre s’est tenu le Sustain Festival à l’Aéronef, moment de rencontre entre différents acteurs du monde culturel. En axe des conférences, tables rondes et représentations, le projet d’une culture plus en adéquation avec l’urgence climatique.

Sur le dernier week-end d’octobre, le Sustain Festival a fait l’état des lieux d’une culture polluante. Organisateurs, acteurs et consommateurs, le rôle de chacun dans l’industrie culturelle a été rappelé. De conférences en prestations, les visiteurs ont pu découvrir un panel de solutions et d’engagements vers une culture plus durable.

Une industrie grippée

Samedi, lors de la conférence « Changer de rêve«   tenue par Samuel Valensi, le comédien a exposé les différentes problématiques vis-à-vis de cette transition. Membre du Shift Project, fondation de Jean Marc Jancovici, il a participé au rapport « Décarbonons la Culture » sorti en novembre 2021. Valensi a ainsi pu rappeler l’importance de la culture dans nos émissions de carbones. Elle y participerait à hauteur d’environ 60%, majoritairement à cause de notre utilisation du numérique, qui représente en France environ deux gigatonnes de CO2. Furent énumérées également les problématiques environnementales dues au déplacement des structures de spectacles, des spectateurs ou bien des artistes. Face à cet impact colossal, le monde de la culture ne semble pourtant pas en général tendre vers le vert. Le conférencier a rappelé l’attrait des publics pour les spectacles colossaux. Sarah McCoy, chanteuse australienne, critique la Swift-Mania. « Fuck Taylor Swift, I hate that bitch! Faire des spectacles avec des milliers de spectateurs où on la voit que sur des écrans immenses, c’est fou. Les gens font des heures d’avion, pour payer des places à des centaines voire des milliers de dollars. Au fond ils ne voient même pas Taylor et c’est du CO2 en bloc ! ». D’autres groupes comme Coldplay, avec leurs décors stratosphériques, ont également été pointés.

Le problème ne semble pourtant pas si simple. C’est tout un système qui s’avère grippé dans une industrie polluante. « Si un artiste refuse de polluer à ses débuts, au final il ne pourra jamais vivre de son art » témoigne Anne Freches, membre du groupe Human Behaviour dans la conférence de la veille. Pour Samuel Valensi, l’enjeu est donc de responsabiliser les structures ayant la possibilité d’agir pour cette transition et non de culpabiliser les petites troupes tenant leur équilibre économique de peu. La critique s’exerce plus sur des structures ayant refusé une transition malgré sa nécessité flagrante et leur capacité d’action. L’Opéra de Rouen Normandie, qui a annoncé en février 2023 une fermeture de six semaines en avril et mai, ainsi que l’annulation de cinq opéras et concerts, en raison d’une augmentation de 450.000 euros de sa facture énergétique annuelle, est vu comme responsable. Ayant refusé un bilan carbone, il est l’illustration d’infrastructures en non-adéquation avec la transition écologique actuelle, réduisant les programmations sans tenter de trouver des solutions. Il se trouve que selon la Métropole Rouen Normandie, l’opéra a tout de même récemment conclu un nouveau pacte de financement avec l’État, la région et la métropole, incluant des investissements destinés à réduire la consommation énergétique de l’établissement.

Un secteur fragilisé

« Quand on fait de l’art, il faut qu’on se demande comment les artistes pourront en faire dans 200 ans » témoigne la co-présidente de France festival Maria-Carmela Mini. Avec l’urgence climatique, c’est la création artistique qui semble être en danger. C’est ce que l’organisatrice de Latitudes Contemporaines a introduit lors d’une table ronde, utilisant un récent rapport du Centre National de la Musique. Selon celui-ci, les aléas climatiques (pluies, orages, fortes températures, etc.) ont affecté plus d’un tiers des festivals en France. Ils deviennent ainsi la deuxième cause de difficulté financière pour les organisateurs.

Leur schéma polluant ne semble toujours pourtant pas être remis en cause. « Je trouve ça fou de chanter avec des braises qui tombent sur les amplis à cause des incendies, dans un festival comme Avignon, où se jouent 1.700 pièces de compagnies du monde entier, dont beaucoup dans des salles climatisées, et que personne ne se dise qu’il y ait un problème« , explique Benjamin Collier, membre d’Avant-Post, association tentant de concilier musique et écologie. Comme barrière face à la transition : la survie d’un secteur fragile. Tous sont unanimes pour concéder à des festivals comme Avignon la capacité de jouer sur les programmations des compagnies sur une année entière. Un passage obligatoire souvent pour le maintien économique de nombreuses compagnies. Un problème d’autant plus contraignant avec la récente annonce d’une réduction de 55 millions d’euros sur le budget de la culture par le gouvernement Barnier, qui semble inquiéter l’ensemble des intervenants.

L’heure de trouver des alternatives

Pour le Sustain, difficulté ne rime pourtant pas avec déterminisme. Samuel Valensi a soutenu la capacité de la culture à construire un imaginaire collectif. Il la voit comme un facteur déterminant dans la transition écologique. Rappelant avec humour la montée des candidatures de 60% à la DGSE l’année suivant la sortie de la série Le Bureau des Légendes, la salle a pu en tirer la conclusion suivante : si la culture influe sur les services secrets, pourquoi n’influerait-elle pas sur l’écologie ? Il a lui-même tenté de trouver des solutions dans sa propre compagnie La Poursuite du Bleu. Les décors de celle-ci sont notamment élaborés pour rentrer dans un Kangoo, soit environ trois mètres cube. Un casse-tête pour la scénographe, mais une alternative permettant la suppression des transports lourds, baissant son impact énergétique, et permettant aux comédiens de se déplacer en train.

Une autre alternative a été présentée par l’ancien demi-finaliste de la Nouvelle Star Gael Faure. Se disant lassé d’un système qui profite aux grands producteurs, souvent aux dépens de l’artiste et du public, il a monté un spectacle audacieux. Accompagné d’un comédien, dans Le bruit du blé, le message passé est celui du retour à la terre. Pour le mettre en application dans sa production même, il ne se produit que dans des fermes, hormis pour le Sustain où le chanteur a fait une représentation. Revendiquant un baisse des exigences de confort des artistes sur leurs tournées, il vise une culture moins chère à produire. Il loge ainsi chez l’agriculteur, qui bénéficie financièrement de l’évènement. Fils d’agriculteurs en Ardèche, Gael Faure vise donc également à sensibiliser vis-à-vis de l’isolement dans le secteur agricole, et à promouvoir une agriculture locale. Deux combats différents pour une transition commune.

On retiendra de ce Sustain que la culture est capable de se réinventer, de trouver des alternatives pour être plus en adéquation avec l’urgence climatique. Il s’agit de changer le regard du public et des organisateurs, et de revoir la répartition économique entre les agents du secteur, pour permettre une transition qui ne se ferait pas au détriment de la création. Il faut retrouver l’artiste, caché derrière l’écran lointain du Zénith. Comme a conclu Samuel Valensi, au fond, il s’agirait là de « changer de rêve« .

Quelle est votre réaction ?
J'adore !
0
J'ai hâte !
0
Joyeux
0
MDR
0
Mmm...
0
Triste...
0
Wow !
0

Auteur/Autrice

Voir les commentaires (0)

Répondre

Votre adresse Email ne sera pas publié

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.