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Tragédie : le théâtre peut-il changer le monde ?

Tragédie : le théâtre peut-il changer le monde ?

Tragédie sous les applaudissements

« Mesdames, messieurs et le reste du monde, bonsoir ». L’habituel accueil du Théâtre du Nord nous plonge du 1er au 5 octobre dans Tragédie. Le monde apocalyptique, dans lequel la salle est amenée, appelle à se rassembler. 

Tragédie, une pièce mise en scène par David Bobée et Éric Lacascade, clôture les trois années d’études des élèves du Studio 7 à l’École du Nord . Désormais comédien·nes professionnel·les, ils et elles interprètent cette pièce dystopique aux mille émotions !

Tragédie, récit d’un monde catastrophe (attention spoiler)

Traditionnelement le théâtre est composé de cinq actes, Tragédie n’en a que trois. Autrement, c’est en bouleversant les codes que cette pièce se déroule devant les yeux, parfois embués, du public plongé dans le noir.

Un avion s’écrase au sol, ses deux parties distinctes sont encore fumantes, trois sièges déchus dans l’angle, des débris à son pied et une lumière tamisée. Tant d’éléments d’un « visuel saisissant pour comprendre l’urgence et la réinvention du monde de demain » comme on peut le lire sur le programme. Un écran permet la projection de multiples décors, mais que l’on soit au milieu d’une décharge de métaux ou d’une forêt verdoyante, le message est le même : notre monde s’écroule sous nos yeux.

« Le progrès, c’est un mensonge que l’on se raconte ». Le constat est saisissant : tout nous pousse à consommer, nous avons une multitude de besoins vitaux, mais ce qui nous est proposé sur le marché est uniquement agrémenté de polluants et de cancérigènes. Planté au bord de la scène, l’un des rescapés vocifère, épuisé, que « la tragédie, c’est qu’on en peut plus ».

La pièce de clôture du Studio 7

Si la série de monologues parait rébarbative à certains, il est important de la recontextualiser. Cette pièce marque l’entrée des jeunes acteur·ices sur le marché du théâtre, donnant à chacun·e une occasion de briller. Ce récit, écrit à huit mains, laisse une large place aux improvisations de leurs 16 camarades lors de l’écriture. Si l’école fait référence au « respect, à la règlementation […] et à l’obéissance », le théâtre est quant à lui « un champ d’expérimentation anti-autoritaire », qui emmène « du côté de l’indiscipline » souligne Eric Lacascade, metteur en scène de la pièce.

D’une part, certains survivants sont fatalistes, réalisant qu’ils n’ont aucun savoir pour se débrouiller. D’autre part, des lueurs d’espoirs émanent (« Ma gosse sera une Warrior ! »), avant de s’éteindre les unes après les autres. « Suis-je responsable de ne pas avoir eu espoir ? » s’exclame subitement, sur scène, une jeune désespérée. Elle y a pensé, c’est arrivé. De quoi se demander si nous, la génération sacrifiée, X, celle des écrans, ne ferait pas l’erreur de s’être déresponsabilisée ? Le drame des générations, c’est le fait qu’elles vivent avec le fardeau des précédentes, font de leur mieux, mais toujours moins bien que les suivantes.

Les survivants tombent finalement les uns après les autres, chacun à leur façon : tragique, spontanée, ou poétique. « Je n’ai pas peur de la mort ! » s’exclame l’un d’entre eux. Décrivant l’image festive de son enterrement, il s’en va apaisé. Finalement, s’il y a bien une chose certaine que l’on sait dès la naissance, c’est que notre vie prendra fin un jour ou l’autre.

Le théâtre peut-il changer le monde ?

Le troisième acte « sauve la pièce, ils nous ont tellement plombés qu’ils nous font rire » déclare Joe, spectatrice. Changeant complétement de ton, il laisse une possibilité à chaque acteur·ice de s’exprimer personnellement, sortant de l’ambiance fataliste pour poser une nouvelle question : « Le théâtre peut-il changer le monde ? »

Si le monde fait changer le théâtre, le 6e art peut-il avoir un impact sur notre société ? Pendant l’aventure humaine, les acteur·ices sont là, tantôt à l’autre bout de la scène, tantôt à quelques pas du public. Certains des jeunes acteurs appellent à voter à gauche pour mettre à bas le capitalisme et réduire les inégalités. Joe rappelle tout de même qu’il ne faut pas se leurrer : en jouant dans une salle comme celle du Théâtre du Nord, déclamer un tel discours revient à prêcher des convaincus. Néanmoins, cette pièce constitue un véritable appel au questionnement du public qui ressort rempli d’émotions et l’esprit bouillonnant.

Des avis hétérogènes

Noémie témoigne d’une « pièce originale qui pose des questions fondamentales sur le monde que nous vivons, et sur les relations humaines. L’incroyable énergie de groupe de ces jeunes comédiens et comédiennes parvient à transmettre, par leur talent, la peur, l’amour, le rire, la folie. Le décor visuel et musical est grandiose et ambitieux. Très belle découverte. »

Si les commentaires sont d’abord enjoués à la sortie, d’autres restent dubitatifs : « J’étais perdue et ne savais pas où ils voulaient en venir ». Joe avait déjà saisi la gravité de la situation et, bien qu’elle n’attende pas que le théâtre fasse du journalisme de solution, le thème choisi y appelait. Tragédie n’a pas mis de mots pour soigner ses maux venant pourtant de ressurgir tels la douleur d’une plaie dont on aurait arraché la croûte violemment.

La pièce s’efforce cependant de passer plusieurs messages : « N’oubliez pas la banderole ». Elle permet de se rassembler, ne pas se replier isolement, mais de se relever en un ensemble et de se tourner vers l’avenir. La folie finit par rattraper ces jeunes perdus après le crash de leur avion, pourtant en route pour changer le monde. Ils tentent de définir un bilan et trouver comment évoluer. Comment pourraient-ils être capable de sauver notre monde s’ils n’arrivent pas à se sauver eux-mêmes de cette catastrophe ? Comment l’Homme réagit face au cataclysme ?

Retenons cependant de ces 2h40 le message d’un ultime espoir : « Les survivants déclarent : il faut vivre, croyons en notre capacité d’agir ».

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