Zal Batmanglij, un conteur d’histoires en suspens dans « la vie vide »
À l’occasion du Festival Series Mania organisé à Lille, le réalisateur américano-iranien Zal Batmanglij, président du jury de la compétition internationale, a donné une conférence le lundi 18 mars 2024. Lors de cette masterclass animée par Renan Cros, il est revenu sur son parcours et s’est livré sur sa pause actuelle dans la production, une phase de « vie vide » pour mieux appréhender les enjeux de notre époque.
Zal Batmanglij a amorcé sa carrière dans le cinéma indépendant en 2011, avec deux longs-métrages, avant de s’aventurer dans l’univers des séries avec The OA (2016-2019), diffusée sur Netflix, puis Un meurtre au bout du monde (2023). Son univers oscille entre science-fiction et fantastique, comme en témoigne The OA, souvent qualifiée « d’ovni ». Arborant un style cool et décontracté, le réalisateur s’est confié sur sa carrière et son rapport à la production artistique, devant un public passionné.
« Ne pas vouloir suivre les règles, c’est déjà suivre les règles »
À son sens, la production est un jeu, dans lequel il faut être le plus libre possible. Pour la réalisation de The OA, avec Brit Marling, qui incarne aussi le personnage principal, ils ne se sont imposés aucune limite. L’intrigue plonge le spectateur dans l’univers de Prairie Johnson, jeune femme qui réapparait après sept ans d’absence et se déclare être devenue l’Ange Originel. The OA aborde des questions métaphysiques, religieuses et humaines, et se présente libre d’interprétation. Zal Batmanglij confie qu’ils l’ont imaginée et produite comme un livre aux chapitres que l’on dévore, avec des épisodes aux durées variables, d’une trentaine de minutes à plus d’une heure. Il partage que la collaboration avec son amie l’a rendu « plus courageux » dans ses choix. Interrogé par le journaliste Renan Cros sur sa volonté de ne pas se conformer aux règles établies, il répond avec un sourire « je pense que ne pas vouloir suivre les règles, c’est déjà suivre les règles ».
Une liberté artistique qui a cependant un prix : Netflix n’a pas renouvelé le contrat pour la saison 3 de The OA, après la diffusion de la seconde partie en mars 2019. Une décision prise au regard de ses statistiques, qui a déçu plus d’un fan. Zal Batmanglij révèle même qu’une jeune américaine a décidé d’entamer une grève de la faim suite à cette annulation. Un acte de protestation, porteur du message « les algorithmes ne doivent pas décider du futur ».
Zal Batmanglij, un conteur d’histoires
Plus qu’un réalisateur, Zal Batmanglij est un conteur d’histoires. Enfant, il aimait l’univers de Roald Dahl, aux frontières entre fantastique et réel, saupoudré d’une touche d’humour piquant. Les livres sont pour lui une source d’apaisement et d’évasion, qui permettent de « se vider la tête des soucis ». Des émotions qu’il s’ingénie à transmettre aux spectateurs dans ses fictions. Il puise son inspiration dans la réalité de l’époque, avouant qu’il préfère l’expression « de nos jours » à celle d’ « il était une fois ». « Je ne raconte pas de contes de fées« , affirme-t-il. Le réalisateur écrit sur les choses qui l’intriguent et le questionnent sur la société contemporaine, en explorant ses contradictions dans ses personnages.
Un souci du réel qui impacte son travail. En 2019, quand il entame l’écriture du scénario d’ Un meurtre au bout du monde , il introduit le personnage de Ray, une intelligence artificielle qui assiste le personnage principal dans la résolution de son enquête. À l’époque, il n’avait pas anticipé le développement que connaîtrait l’IA, au moment de la diffusion de la série. À présent, sa science-fiction est presque devenue réalité. Il déclare « le contexte actuel n’est plus le même qu’à l’époque, la façon dont les spectateurs reçoivent l’histoire aujourd’hui n’est pas celle que j’avais imaginé ». Pour lui, l’IA représente un enjeu majeur. Il confie : « avec l’intelligence artificielle, la vie va changer ». Une technologie qui lui apparaît tant inquiétante que fascinante, « le monde va être chaotique, peut-être douloureux, mais l’IA est aussi excitante, elle va construire de nouvelles communautés, apporter de nouvelles histoires ».
« La vie vide »
Selon Zal Batmanglij, les réalisateurs ont aujourd’hui une responsabilité dans les histoires qu’ils partagent. En 2024, « nous devons changer les histoires que nous racontons » confie-t-il. Pour cette raison, il a décidé de prendre une pause de réflexion, qu’il aime appeler « la vie vide ». Cette retraite est consacré à l’expérience, à la redécouverte de ce nouveau monde en construction. Plus qu’un acte politique, c’est pour lui une démarche « humaine », nécessaire car, comme il le reconnaît, « nous ne savons pas encore dans quelle histoire nous sommes ». La « vie vide », une pause au carrefour des évolutions contemporaines. Le réalisateur américano-iranien incarne ainsi l’esprit de son époque, en transition, soucieux de l’impact de son art.