Être étudiant à Lille : classes préparatoires de grandes écoles versus fac
La rentrée en études supérieures se déroule tout le mois de septembre. À Lille, le traitement des élèves inscrits en Classes Préparatoires aux Grandes Écoles (CPGE) ou à la faculté est radicalement différent. Les politiques de financement de l’Etat y sont pour quelque chose, tout comme la puissance et les moyens d’action des CPGE. Témoignage de deux étudiants.
La rentrée se profile. Tiago se décide sur un T-shirt blanc, un jean baggy bleu, une paire de basket de Samba blanche et noire et une coupe de cheveux “plus décoiffée que coiffée”. Louise (le prénom a été modifié) porte un débardeur blanc à rayures, un jean baggy bleu et une paire de basket Samba blanche et bleue, elle laisse ses cheveux bruns et bouclés détachés. Louise et Tiago ont obtenu leur bac avec mention dans des lycées de la métropole de Lille. Ils ont fait leur entrée dans la vie étudiante lilloise tout début septembre. Tiago et Louise se sont lancés dans des formations à proximité de leur domicile. Pour Tiago, ce sera une licence de sciences politiques à l’Université de Lille. Pour Louise, une CPGE lettres et sciences sociales au lycée Faidherbe de Lille. Dans cette nouvelle vie, une inquiétude persiste pour les deux : s’intégrer dans leur promotion pour ne pas se sentir isolé.
“Je me suis dit que ce n’était pas pour moi la fac”
Tiago a rendez-vous vendredi 30 août, à neuf heures, pour sa pré-rentrée. Dans l’amphi G, les quelque 250 élèves s’installent progressivement. Une vidéo est projetée, personne n’y porte attention. C’est la retranscription d’un live qui se déroule dans l’amphi d’à côté. Neuf heures quarante cinq, une personne de l’administration passe pour augmenter le son, l’amphi devient silencieux. La pré-rentrée a déjà commencé depuis 45 minutes. Mais Tiago raconte : “Il y avait des choses utiles, mais on n’entendait pas grand-chose et ça aurait tenu sur un PDF.” À dix heures et demi, une grande partie de la promotion décide de quitter l’amphi : à quoi bon suivre un live que l’on ne parvient presque pas à entendre ? Les élèves de sciences politiques et de droit n’auront vu personne jusqu’à midi. La rentrée pédagogique n’est pas beaucoup mieux : uniquement trois ou quatre professeurs sont venus se présenter devant l’amphithéâtre. “Je savais que ça n’allait pas être le festival, et que c’était juste la pré-rentrée“, mais Tiago déclare, blasé : “je me suis dit que ce n’était pas pour moi la fac“. “C’est comme le jour et la nuit avec le lycée, c’est très brutal“, explique-t-il. Par manque d’amphithéâtres, plusieurs cours sont annulés lors de la première semaine, et avec des cours à plus de 150 élèves, cela laisse très peu d’occasions pour se faire des amis.
Louise fait sa rentrée le 3 septembre à huit heures. Pendant la présentation, sept professeurs sont devant la classe de 53 élèves. Elle mange le midi avec tous ses camarades à la cantine et a cours dès l’après-midi. Elle avait peur de ne pas réussir à se faire des amis à cause de la concurrence que l’on attribue aux prépas. Mais les profs sont catégoriques : pour réussir la prépa, il faut être soudé et travailler ensemble. Les deuxièmes années organisent tous les jeudis des apéros pour apprendre à se connaître. La professeure d’allemand propose même d’amener ses élèves au cinéma sur leur temps libre. Toujours dans la même salle, avec les mêmes personnes, le repérage est facile, “sauf pour trouver les toilettes” précise Louise. Avec plus de 30 heures de cours par semaine, des intégrations à gogo et des professeurs qui cherchent à développer une relation avec chacun des élèves, l’accent est mis sur l’intégration de tous. Louise ressort convaincue de sa première journée et de sa première semaine en tant qu’étudiante.
Politique de l’Etat : un financement différencié
Un constat peut être fait : la rentrée des deux étudiants est loin d’être la même. La politique de l’Etat concernant l’enseignement supérieur semble y être pour quelque chose. Il s’agit en effet de comparer le cadre scolaire que l’Etat leur offre. Dans le rapport 2023 de la Direction de l’Évaluation, de la Prospective et de la Performance (DEPP) sur l’état de l’école en France, il apparaît qu’en 2022, un élève moyen étudiant à l’université coûte 11.190€. Pour un élève de CPGE ça revient à 17.260€. La différence de 6.070€ en 2022 se creuse chaque année. Cela oblige un encadrement très réduit, voire des suppressions de cours à la fac. Les élèves de prépa, eux, sont sur-encadrés, avec un effectif de 30 à 55 élèves par professeur, et suivent autour de 32 heures de cours par semaine selon les établissements.
Moyens et puissance d’action des CPGE, en opposition à celle de la faculté
L’Etat semble, à travers son budget, privilégier les étudiants de CPGE. On peut y voir un pari : les étudiants de classe prépa connaîtront sûrement des débouchés plus larges, d’une part parce qu’ils ont un meilleur accompagnement et d’autre part puisqu’ils sont issus majoritairement de milieux favorisés. Mais même lorsque l’Etat essaie d’amoindrir ces inégalités, les moyens d’action des prépas semblent trop forts pour les vaincre. En 2023, le rectorat annonce à Paris la fermeture potentielle de quatre CPGE en accusant des formations discriminantes, un effectif manquant et l’ouverture de prépas pour les “bacheliers professionnels”. Face à cette menace : une lettre ouverte et de multiples manifestations s’organisent dans les prépas parisiennes. Amélie Oudéa-Castéra, ministre de l’Education de l’époque, cède : les classes resteront ouvertes. Après l’annonce de la décision, le recteur démissionne. À travers sa lettre, on comprend qu’il voulait participer à diversifier et donc à ouvrir l’accès aux CPGE. Il écrit : “Il est si facile de passer à côté d’un élève. Croire en chacun d’entre eux, n’exclure personne est une ardente obligation pour faire société.” Grâce à leur forte mobilisation les CPGE conservent leurs conditions de travail. À l’inverse, dans une note d’information des Systèmes d’Information et Etudes Statistiques (SIES) sur l’enseignement supérieur, on comprend que les effectifs de l’université ne font que croître, alors que l’investissement de l’État par étudiant de la faculté décline. Il faut donc faire pour plus d’étudiants, avec moins de financement. Tiago en est désormais bien conscient, malgré lui.