Fortes, fières, féministes, radicales et en colère pour défendre les droits des femmes
A Lille, ce 8 mars 2023, entre 1.000 et 5.000 manifestantes et manifestants ont marché de la Porte de Paris à la place République pour revendiquer leurs droits et dénoncer les violences sexistes et sexuelles. Cette année, les revendications de la Journée internationale des droits des femmes convergent avec la grève générale contre la réforme des retraites.
“On est là pour soutenir la lutte car le combat féministe n’est jamais fini”, voilà la motivation de celles et ceux qui sont présentes et présents ce 8 mars. La revendication principale : l’abolition du patriarcat et du capitalisme qui oppressent les minorités de genre. C’est donc le poing levé et la tête haute que les manifestantes et manifestants hurlent leur passion, leur colère et leur rage tout au long du défilé.
Des violences systémiques
Les slogans “tout le monde emmerde le patriarcat” et “patron, patriarcat, mêmes racines, même combat” ponctuent régulièrement la marche. Le patriarcat est un type d’organisation de la société qui s’inspire d’une cellule familiale où l’homme est dominant dans la sphère publique et privée. Le père est considéré comme le chef de famille, ce qui lui donne des droits sur toute la maison. Et, dans l’espace public, ce sont aussi les hommes, souvent les plus âgés, qui monopolisent les rôles de pouvoir dans tous les domaines.
La France est encore une société patriarcale. L’infériorité des femmes est institutionnalisée dans tous les groupes sociaux et à toutes les échelles de pouvoir. L’inégalité salariale en est la plus flagrante démonstration. Par exemple, en 2019, le salaire des femmes est, à temps de travail et qualification égales, 22% inférieur à celui des hommes (INSEE). Le sexisme et les VSS que dénoncent les manifestant.e.s résonnent avec les chiffres du Rapport 2023 sur l’état du sexisme en France.
La société patriarcale oppresse donc les femmes et les minorités de genre, mais c’est surtout un système de domination dont la logique s’est inscrite dans l’histoire. Les pancartes et slogans, repérés dans la foule ce 8 mars, font écho au concept de Patriarcapitalisme. Développé et énoncé par Pauline Grosjean dans un ouvrage éponyme, ce mot-valise lie deux systèmes de domination, le patriarcat et le capitalisme. Ce système oppresserait donc les femmes. “La logique historique de domination de la femme dans la sphère domestique […] n’est pas une logique basée sur le déterminisme biologique mais bien une logique économique et politique”, explique Pauline Grosjean . Comme l’a montré l’auteure, le “patriarcapitalisme” favorise la minorité d’hommes privilégiés qui commettent des actes de violences et des abus sexuels.
“Prouvons que si on s’arrête, le monde s’arrête”
Comme l’expliquent les intervenantes du Collectif Lillois de Luttes Féministes (CLLF59), lors du rassemblement sur la Place de la République à Lille, qui précède la manifestation, il est capital d’imposer un rapport de force. “Prouvons que si on s’arrête, le monde s’arrête”, indiquent les intervenantes. Le Collectif Lillois de Luttes Fémnistes dénonce un système qui fonctionne en partie sur le travail gratuit des femmes. En effet, elles touchent des salaires plus faibles pour le même travail qu’un homme et doivent, en plus, s’acquitter des tâches ménagères gratuitement, du fait du sexisme et des stéréotypes de genre intériorisés par une grande partie de la population.
Il est aussi important pour toutes et tous de faire converger les luttes contre la réforme des retraites avec la lutte contre le sexisme. Les syndicats étudiants et professionnels ainsi que les organisations politiques marchent aux côtés des associations féministes. Pour Mathieu Silbermann, secrétaire FO-DGFIP du Nord, les femmes dans la fonction publique n’ont pas les mêmes opportunités de promotion. “On leur demande de choisir entre vie personnelle et vie professionnelle”, mentionne M.Silbermann. Ce sont pour le syndicat les mêmes problématiques : “Pour défendre le pouvoir d’achat, il faut aussi défendre le pouvoir d’achat des femmes puisqu’on a des inégalités de rémunération mais aussi des inégalités de pensions de retraites”.
Katy Vuylstecker, conseillère régionale et présidente du groupe EELV du Nord-Pas-De-Calais, est engagée depuis plus de 10 ans dans la lutte contre le sexisme. Elle regrette que cette réforme se fasse encore au détriment des femmes : “On fait face à une violence économique contre les femmes. Elles touchent un quart de salaire et 40% de pensions de retraite en moins que les hommes”. Elle complète : “la réforme des retraites est particulièrement sexiste et refuse de voir les inégalités qui existent. […] on aimerait que toutes les décisions soient prises avec les lunettes du genre”. Pour ces organisations politiques et syndicales la convergence des luttes est essentielle, même si la lutte contre la réforme des retraites ne doit pas effacer l’objectif de la journée.
Le besoin d’un espace sain
L’émotion est palpable tout au long de la marche, l’air est électrique et chargé de colère. La CGT et l’intersyndicale mènent la tête de cortège. Les enceintes de la camionnette rouge diffusent les slogans scandés qui ponctuent la marche “Violences sexistes, violences sociales, même combat” ou encore “Violeur on te voit, victime on te croit”. Le cortège part aux alentours de 14h30 sous la pluie, presque toute une symbolique. “Ce n’est pas la pluie qui nous arrêtera”, affirme, sourire aux lèvres, une manifestante.
Derrière l’intersyndicale, les associations féministes comme le CLLF59 et NousToutesLille ont partagé le cortège en zones non-mixte, non-mixte queer puis mixte. La non-mixité consiste à autoriser l’accès à un évènement ou à un lieu aux seules personnes considérées comme opprimées, ici aux femmes et minorités de genre. La non-mixité est nécessaire pour de nombreuses personnes. “Ça nous permet de nous sentir en sécurité déjà. C’est un moyen d’être entre nous, de savoir que toutes les personnes qui sont dans ce cortège non-mixte comprennent ce qu’est d’être discriminé pour son genre et son orientation sexuelle”, confirme Marthe, étudiante en sociologie. Son amie ajoute : “On remercie les hommes pour leur soutien, la lutte doit être accompagnée par les hommes. Mais seules les femmes peuvent vraiment comprendre et nous avons besoin de cet espace sain”.
La non-mixité n’est pas respecté par certains manifestants et des rappels à l’ordre sont énoncés en toute bienveillance. Une manifestante ajoute “Si les hommes sont là pour défendre nos droits et nous accompagner[…] ils doivent comprendre cette non-mixité”.
Cette manifestation est l’occasion pour toutes et tous de montrer que ce n’est que le début de la lutte. En France, une femme meurt tous les deux jours sous les coups de son compagnon ou ex-compagnon. Au 9 mars 2023, elles étaient déjà 27 femmes. Le patriarcat tue. Du sexisme ordinaire jusqu’au féminicide, les étapes du continuum de violence mènent à la mort d’une femme parce qu’elle est une femme.