L’Institut pour la Photographie pris dans une bataille politique

Le 11 rue de Thionville, adresse de l'Institut pour la photographie © Robin Le Cornec / Pépère News

L’Institut pour la photographie à Lille n’en finit plus de semer la discorde parmi les élus locaux. L’opposition municipale macroniste crie à l’abus d’argent public, tandis que la mairie et la région défendent le projet. Une situation complexifiée par les accusations de conflit d’intérêt portées contre Violette Spillebout, figure politique locale (Renaissance) et opposante au projet.

Ce lundi 7 novembre, les élues de la liste municipale macroniste Faire Respirer Lille sont attablées au restaurant Le Meunier, pas loin de la gare Lille Flandres. Violette Spillebout, députée, ainsi qu’Ingrid Brulant et Clémentine Dupuy, conseillères municipales,  sont face à une demi-douzaine de journalistes. Devant elles, des verres de Coca Cola, quelques notes, et une lettre que le Pépère News a pu consulter. Adressée à la ministre de la Culture, Rima Abdul Malak, la missive porte sur l’Institut pour la photographie à Lille. Ce projet culturel, lancé en grande pompe par Xavier Bertrand il y a cinq ans, a vu son budget exploser et les retards s’accumuler. Les élues lilloises demandent donc à ce que l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC) intervienne, afin d’obtenir un avis sur la gestion du projet. Mais l’intrigue s’épaissit : la députée locale Violette Spillebout est accusée d’avoir des raisons très personnelles de s’opposer à l’Institut.

Croisade personnelle ou combat politique ?

Violette Spillebout, députée lilloise, est mariée à Olivier Spillebout, photographe et ancien directeur de la défunte Maison de la photographie. Celle-ci a dû fermer en 2020, faute de subventions publiques. Ces détails personnels ne sont pas anodins : Olivier Spillebout est un opposant farouche au projet d’Institut de la photographie, l’accusant de concurrence déloyale avec sa propre structure, avant que celle-ci ne périclite . Il a même porté son combat jusqu’au tribunal, qui l’a débouté. Il faut savoir que dans une vie antérieure, alors que son mari dirigeait la Maison de la Photographie, Violette Spillebout travaillait auprès de Martine Aubry à la mairie, de 2001 à 2013. Elle était aussi impliquée au sein de l’association de son mari. En plus des désaccords politiques (elle a par la suite rejoint Emmanuel Macron), l’hostilité affichée d’Olivier Spillebout envers la maire lilloise avait joué un rôle parmi d’autres” dans son choix de quitter la mairie, en 2013. O. Spillebout reprochait à Martine Aubry d’avoir baissé puis suspendu les subventions publiques à la Maison de la photographie, précipitant la fermeture de cette dernière en 2020. 

Aujourd’hui, V. Spillebout, élue députée en avril dernier, s’oppose à son tour au projet d’Institut pour la photographie. Dans la lettre évoquée plus haut, qu’elle a signée, V. Spillebout déplore même la fermeture de “la Maison de la Photographie, lieu implanté depuis 25 ans dans un quartier prioritaire”. Sans mentionner que son mari la dirigeait, ni qu’elle en était l’une des principales promotrices. Elle critique aussi “l’hégémonie des grands projets comme Lille 3000 [une association qui organise des manifestations culturelles comme Utopia, NDLR]” aux dépens des plus petites structures. Un combat là aussi mené par son conjoint avant elle : il avait contesté en justice la subvention accordée par la ville à Lille 3000. Le tribunal administratif de Lille avait rejeté sa demande. 

De gauche à droite : Ingrid Brulant, Violette Spillebout et Clémentine Dupuy, conseillères municipales d'opposition
De gauche à droite : Ingrid Brulant, Violette Spillebout et Clémentine Dupuy, conseillères municipales d’opposition © Alice Gosselin

Interrogée sur ce mélange entre croisade personnelle et activité politique lors du point presse, l’élue lilloise Clémentine Dupuy a éludé : “on nous reproche souvent de nous impliquer dans des sujets qu’on ne connaît pas, si on ne peut même plus le faire sur des sujets qu’on connaît, ça va devenir compliqué”. Elle insiste aussi sur le fait que V. Spillebout n’est pas seule à porter ce combat. Cette dernière, quant à elle, s’est défendue en mettant en avant “tout ce qu’elle avait appris” grâce à son expérience associative. Les accusations de conflit d’intérêts seraient-ils devenu une qualité ? 

En tout cas, les élues de Faire Respirer Lille profitent de la situation pour critiquer durement la politique culturelle de la mairie, même si elle n’est pas directement impliquée dans le projet. Elle favoriserait des initiatives “pharaoniques” comme Utopia, qui a coûté plus de dix millions d’euros, ou encore la piscine olympique avortée de Bois-Blancs, au détriment de structures plus petites. “80% du budget de la ville va aux très grandes structures” affirme Ingrid Brulant. Faire Respirer Lille défend une vision “plus décentralisée” de la culture, avec une plus grande place donnée aux acteurs locaux. La liste regrette aussi une trop forte concentration des équipements culturels dans les quartiers huppés de la capitale des Flandres, au détriment du reste de la Métropole européenne lilloise. L’opposition macroniste aurait ainsi préféré que l’Institut se trouve à Roubaix ou à Denain. Olivier Spillebout ne dirige pas d’association dans ces deux villes. 

Transparence sélective ?

Le 11 novembre paraît dans la Voix du Nord un article au titre éloquent : “Institut pour la photographie à Lille : Violette Spillebout (REN) en plein conflit d’intérêts ? Kaddour Qassid, référent local de l’association anticorruption Anticor, y accuse Violette Spillebout d’être tombée “dans le piège du conflit d’intérêt”. La députée Renaissance s’en défend, affirmant que “pour qu’il y ait conflit d’intérêts, il faut une intervention pour avantager un projet dans lequel j’ai des intérêts. Or, je n’ai aucun intérêt dans l’Institut pour la photo”. Pour elle, Anticor ferait mieux de se pencher directement sur le projet. Une réponse qui ne convainc pas K. Qassid, qui a accepté de répondre aux questions du Pépère News. Il rappelle la définition du conflit d’intérêts par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), l’instance qui lutte contre ce genre de dérives : “toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction”. 

Pour l’activiste, l’affaire correspond parfaitement à cette définition : il y a “un intérêt privé, l’engagement associatif d’Olivier Spillebout, qui interfère avec le travail politique de son épouse”.  Dans cette affaire, le référent local d’Anticor voit l’incarnation d’une certaine déconnexion des élus français. “On sous-estime à quel point ils sont hors-sol, au point de commettre des erreurs monumentales” estime-t-il. S’il juge que la demande d’audit est “légitime”, il dit ne pas comprendre pourquoi V. Spillebout s’est impliquée personnellement dans cette affaire. “Pourquoi [Faire Respirer Lille] s’intéresse à ce budget, et pas à un autre ?” s’interroge-t-il, considérant que la transparence doit se faire “à tous les niveaux”. Ironie du sort, c’est exactement ce que réclamait la députée lors du point presse. Elle n’a pour l’instant pas répondu aux sollicitations du Pépère News. Toutefois, le 19 novembre, l

Le 11 rue de Thionville, adresse de l'Institut pour la photographie © Robin Le Cornec / Pépère News
Le 11 rue de Thionville, adresse de l’Institut pour la photographie © Robin Le Cornec / Pépère News

L’Institut pris entre deux feux

Ce qui est sûr, c’est que l’Institut ne parvient pour l’instant pas à atteindre ses ambitions . Annoncé pour 2020, il n’ouvrira  pas avant 2025, la faute à un chantier de réhabilitation trop lent. Initialement, trois vénérables bâtisses du Vieux-Lille devait être reconstruites pour accueillir le projet. Finalement, une seule a été retenue, au 11 rue de Thionville, ce qui n’a pas empêché les dépenses prévues de presque tripler. Pour Antoine Sillani, conseiller régional délégué à la vie associative,  “nous reprocher un retard alors qu’on était en plein Covid, c’est quand même étonnant”. Selon le conseiller, l’implication de Violette Spillebout pose “un problème déontologique”. Il se montre moins bavard quand il s’agit d’expliquer pourquoi le budget de l’Institut a explosé, se contentant d’affirmer que si “[le ministère de la Culture] a des questions, on y répondra”.

Giulia Franchino, responsable de la communication de l’Institut, préfère “ne pas prendre position” dans ces querelles politiques. “C’est dommage pour le projet” se contente-elle de commenter. Elle tient à préciser que, même si ses locaux ne sont pas encore ouverts, l’organisme reste actif. Plusieurs expositions hors-les-murs ont déjà eu lieu, la dernière dans le cadre… d’Utopia.  La communicante rêve de voir l’Institut rayonner à l’échelle “régionale, nationale, voire internationale”.

À l’heure actuelle, l’organisme se retrouve donc dans un douloureux entre-deux. Pris dans une bataille politique entre la mairie, l’opposition et la région, ses employés sont contraints d’attendre. Attendre que le chantier soit fini, pour ne plus être un lieu d’exposition qui ne peut pas exposer. Et attendre que le ministère se prononce sur la demande d’audit de l’opposition. Si celle-ci est validée, l’Inspection générale des affaires culturelles pourra mener une expertise du projet, et apporter des recommandations. Tout cela à titre consultatif, c’est-à-dire que l’inspection se contentera d’émettre un avis, elle n’a pas de pouvoir contraignant. D’ici-là, la porte bleu électrique du 11 rue de Thionville restera fermée au public. Dans ce jeu d’ombres, pas sûr que les Lillois en sortent gagnants.

[Le lendemain de la publication de l’article, V. Spillebout a indiqué à la Voix du Nord avoir saisi le service déontologie de l’Assemblée nationale. Celui-ci n’a trouvé “aucune irrégularité” dans sa demande d’audit.]

 

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