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Intervention brutale des forces de l’ordre après l’occupation au campus Moulins

Intervention brutale des forces de l’ordre après l’occupation au campus Moulins

Banderole déployée lors de l'occupation de la FSJPS, le 14 février 2023 ©Mattis Habib / Pépère News

Une soixantaine de manifestants ont tenté d’occuper un amphi à la Faculté de sciences juridiques, politiques et sociales de Lille 2, le 13 février dernier. Ils protestaient notamment contre la réforme des retraites. Lors de leur sortie, la police est intervenue brutalement, en blessant plusieurs.

L’amphi F accueille habituellement des cours magistraux de science politique mais ce 13 février, il assiste à une application plus concrète. Une soixantaine de manifestants l’ont occupé à partir de 18 heures, réclamant ”un espace de lutte” où ils pourraient passer la nuit. Pendant presque cinq heures, ils vont s’approprier les lieux, débattre passionnément de leurs revendications, et surtout, défier les règles qu’ils ne veulent plus respecter. Une bulle de liberté fugace, qui éclate quand les forces de l’ordre interviennent. 

Cocktail Molotov en papier

La soirée commence sur un topo “anti-rep [anti-répression, NDLR]” du Collectif lillois d’autodéfense juridique. Les bénévoles de ce groupe apportent des conseils légaux aux manifestants, sur les risques encourus en cas d’irruption des policiers notamment. Les souvenirs d’occupations passées sont convoqués par quelques vétérans. Une décision est prise à l’unanimité : quoi qu’il arrive, rester groupé, ne pas laisser de “camarade” seul face aux forces de l’ordre.

Après cette discussion relativement calme, la petite foule qui s’est regroupée autour du bénévole se désagrège. Une bonne humeur teintée de défi règne sur l’assemblée. Des avions de papier patrouillent les airs. Sur l’un, on peut lire “Cocktail Molotov (en papier)”, un symbole de la bravade rigolarde commise par les occupants. Sur l’écran géant de l’amphithéâtre, des manifestants suivent le match Liverpool-Everton (résultat : 2-0 pour Liverpool). Certains s’attellent à l’écriture d’un communiqué, d’autres sortent déjà leur sac de couchage. 

La question des revendications divise quelque peu les manifestants. Évidemment, l’étincelle qui a déclenché le mouvement, c’est la réforme des retraites. Mais l’on comprend vite qu’elle n’est qu’une bataille supplémentaire au sein d’une lutte plus large, contre le capitalisme, la destruction de la planète, et tout ce qui pourrait ressembler de près ou de loin à l’ordre établi. Beaucoup veulent absolument demander que tout le monde ait accès aux repas du CROUS à un euro, réservé aux étudiants touchant les plus grandes bourses actuellement. Une mesure refusée récemment par la majorité présidentielle

“Notre vie ça va probablement être de la merde, mais on peut faire en sorte qu’elle le soit un peu moins” – Une étudiante

Sont aussi exigés de plus grands moyens pour les services publics ainsi que la fin de Parcoursup et de son équivalent en master. Plus localement, les étudiants réclament plus d’embauche en CDI pour les employés de la fac, et la fin des contrôles de sécurité à l’entrée du campus Moulins. D’autres s’énervent de revendications qu’ils jugent timides. “Tout ça, c’est des miettes”, lâche une étudiante. “Notre vie ça va probablement être de la merde, mais on peut faire en sorte qu’elle le soit un peu moins”, répond une autre. Certains se mettent à rêver de la fin du capitalisme. L’immuable ballet des mouvements sociaux se met en place, ponctué “d’interv [interventions, NDLR]” plus ou moins longues. Pour montrer leur assentiment, les occupants de l’amphithéâtre placent leurs mains comme s’ils tenaient une pomme et font pivoter leurs poignets. 

“L’évacuation se passera très bien”

À 21h04, le doyen de la faculté, Jean-Gabriel Contamin, pénètre dans l’amphi. La majorité a voté pour lever les barricades sommaires placées devant les portes pour le laisser entrer. D’emblée, le doyen se montre intraitable. Lui qui a passé sa carrière à étudier les mouvements sociaux, ne s’attendait peut-être pas à ce que son sujet de recherche vienne à lui. “Dans les faits, vous ne pouvez pas rester ici cette nuit”, lance-t-il, très calme, presque affable.

Les agents ne peuvent pas rentrer chez eux tant que vous êtes là, et ce sont eux qui seront le plus durement touchés par cette réforme que vous combattez”, poursuit-il. Les occupants lui répondent qu’il n’a qu’à leur faire confiance, et soulignent qu’aucune dégradation n’a été commise. Mais rien n’y fait, la négociation est impossible. “On est pacifiste, si vous appelez la police vous serez responsable des violences”, argue une manifestante. “Si vous êtes pacifiste, l’évacuation se passera très bien”, rétorque Jean-Gabriel Contamin. 

Le face-à-face, entre protestataires voulant absolument se libérer du cadre habituel et doyen représentant de l’ordre malgré lui, se conclut finalement à 21h26. Dès ce moment, les occupants le savent tous : la police va arriver. L’ambiance se tend un peu. “On ressent de la colère, plus que la peur”, témoignent quatre étudiantes. Elles assument un “fouillis” de revendications confluant autour du refus “d’un monde dirigé par des riches”. Les étudiantes luttent évidemment contre la réforme, mais rêvent surtout d’avoir “plus de pouvoir sur [leur] vie” et de “mettre fin aux discriminations”. Certaines ont déjà pris part à des luttes sociales, d’autres non. L’une lâche “[Le doyen] nous traite comme des enfants, il y a des gens qui ont 40 ans ici !”. 

Effectivement, une poignée de “totos [mot d’argot signifiant autonomistes, NDLR]” sont venus assister les étudiants. L’un explique être venu “en soutien”. “Il n’y a pas assez de gens qui font des choses”, déplore-t-il. Pour lui, être “toto”, c’est n’être “affilié à rien”. Les autonomistes revendiquent leurs libertés par rapport aux partis, aux syndicats, à toute organisation hiérarchique. Contrairement à d’autres, lui se situe sur le spectre politique, “plutôt à gauche, plutôt anar”, même s’il rejette la politique partisane. Si les totos ne sont qu’une poignée, la volonté de s’affranchir des syndicats traverse tout le mouvement. “Je pense qu’il est important de faire autrement”, estime un étudiant. “Que les syndicats cherchent à ce point à cadrer la mobilisation, je trouve ça moins pertinent”, juge-t-il. Le protestataire ne veut pas se contenter d’une journée d’action tous les quinze jours. Il regrette un “manque d’espaces politiques”, et espère en créer ce 13 février. Comme beaucoup, c’est sa première participation à une lutte sociale, et il ressent l’enthousiasme communicatif que seul un tel combat peut conjurer.

Entre amertume et défi

À 22h08, les occupants apprennent qu’un camion de police est arrivé. Ils voient les gardiens de la paix arriver par l’une des fenêtres de l’amphithéâtre. Des masques sanitaires sont distribués à la hâte. Toujours avec cette audace teintée de provocation, un protestataire lance une chanson ponctuée de sirènes de police et de punchlines anti-flics.

À 22h25, les quelques policiers arrivent dans l’amphi. Ils ne sont que trois, face à une soixantaine de manifestants. Une haie d’honneur moqueuse leur a été consacrée avec des tracts. Ils prennent des photos de la situation, pendant que les protestataires s’agglutinent entre eux. Le mot d’ordre a été retenu : rester groupé. Des chants retentissent dans le bloc formé par les occupants : le classique “siamo tutti antifascisti [nous sommes tous antifascistes, NDLR]”, déjà entonné lors de la tentative de blocage du 7 février, galvanise les manifestants. 

La police immobilise un manifestant après l’évacuation. ©Comité de mobilisation de Lille Moulins 

On ne décèle pas de peur sur les visages, mais l’atmosphère est lourde. Après un face-à-face d’environ une demi-heure, les protestataires décident de quitter les lieux, tant qu’ils sont encore en situation de supériorité numérique écrasante par rapport aux forces de l’ordre. Tous ensemble, ils descendent les escaliers de la sortie de secours. C’est au moment où ils sortent de la fac que des violences éclatent.

Les yeux se mettent à brûler sous l’effet du gaz lacrymogène lancé par les policiers, au nombre de quatre. Dans un désordre que la nuit tombée n’arrange pas, plusieurs manifestants sont frappés. Le bloc qu’ils formaient est momentanément scindé en deux. L’un d’entre eux a été retenu par les forces de l’ordre. Aussitôt, la tension s’étant accrue ces dernières heures se relâche. “Libérez notre camarade !”, scandent les manifestants. “Parlez-nous normalement”, répondent les policiers, goguenards. 

Aiguillonnés par le vacarme, les chiens policiers s’excitent, et manquent de s’en prendre à leurs maîtres, sous les vivats moqueurs des contestataires.  Après de longues minutes de confrontation, l’occupant est finalement relâché par la police. Il raconte avoir “éclairé la police, avec [sa] lampe électrique” et assure n’avoir rien fait d’autre. “Une fois que je suis arrivé en bas, ils m’ont plaqué au sol et m’ont fait une clef de bras. Ils m’ont menacé, m’ont dit que si je ne montrais pas mes papiers ils m’emmenaient en garde à vue”. Avec les autres occupants, ils se sont regroupés non loin de la fac pour faire le point. S’ils ressentent tous de l’amertume après l’occupation avortée et l’intervention des forces de l’ordre, les manifestants refusent le misérabilisme. Convaincus que c’est leur unité qui a permis la libération de leur ”camarade”, ils prévoient déjà d’autres actions.

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