La Braderie de Lille : un évènement qui s’éloigne de son essence ?
La Braderie de Lille 2024 s’est tenue le week-end du 14 septembre. Mais cet événement, incontournable de la rentrée, a-t-il toujours été le même ?
Nous connaissons aujourd’hui la Braderie de Lille comme cette immense brocante animée, où se mêlent antiquités, objets vintages, vêtements de seconde main… Mais contrairement aux autres brocantes, la Braderie est également connue pour se terminer au petit matin, lorsque les derniers fêtards prennent le chemin du retour, entre les piles de moules et les gobelets de bière épars. Ce visage nocturne et festif de la Braderie est assez récent, au regard de sa longue existence. Cette évolution ne serait-elle pas symptomatique du changement d’identité de l’évènement ? Ce présumé changement ne menaçerait-il pas son esprit de vide-greniers de quartier ?
Une petite histoire de la Braderie
Les premières heures de la Braderie ne coïncident pas avec celles des Livres de Poche, ou des vinyles, que l’on trouve en nombre sur les étals des bradeurs. Non, sa naissance a précédé la leur de près d’un millénaire : les premières traces que nous conservons de la Braderie remontent à 1127. La foire moyenâgeuse s’est transformée au cours des siècles en vide-greniers. Les serviteurs pouvaient y vendre les vieux objets de leurs maîtres. Puis se sont mêlés à eux les marchands, qui souhaitaient capitaliser sur la grandissante popularité de l’évènement, où l’on mangeait déjà des moules entre deux bonnes affaires.
S’il est difficile de trouver aujourd’hui âme qui ait connue ces lointaines origines, nous avons tout de même eu le plaisir de rencontrer Michelle (le prénom a été modifié), qui participe à la Braderie depuis 1978. Avec une moue songeuse, la Lilloise témoigne très vite des changements qu’elle a observé, ces dernières décennies. La Braderie, telle que nous croyons la connaître, n’est pas celle des débuts de Michelle en tant que bradeuse…
Un changement perceptible ?
“Je travaillais de nuit quelques fois à la Braderie”, nous raconte-elle. Car avant d’être envahies par les fêtards, les rues de Lille accueillaient les bradeurs à la nuit tombée. Ce marché nocturne a peu à peu disparu, pour laisser la place à une tout autre atmosphère qui ravit les plus jeunes, se bousculant par milliers entre les bars et les boîtes de nuit. Avant “à sept heures, il y avait déjà une belle ambiance”, déplore-t-elle. Désormais, les bonnes affaires ne tirent du lit avant l’aube que de très rares badauds.
Michelle demeure prudente quand on l’interroge sur l’intérêt touristique d’une telle mise en scène nocturne, du gain que peuvent alors faire les débits de boissons auprès d’un public plus jeune. Elle concède néanmoins que la Braderie est “bien sûr liée à notre temps”, qu’elle est devenue “un peu mercantile”.
Mercantile… Voilà un adjectif que de plus en plus de personnes attribueraient volontiers à la Braderie, de nos jours. Les fêtes nocturnes sont loin d’avoir menacées à elles seules la “convivialité de voisinage”, l’image de “brocante de quartier” qu’appréciaient tant les plus anciens, bradeurs comme chineurs. L’augmentation des prix de vente est un véritable écueil, certains profitant de l’afflux de nombreux touristes pour faire payer quelques vieilleries au prix fort. De même, les fameuses moules-frites, tradition chérie de la Braderie, atteignent des prix faramineux après avoir été longtemps les moins chères du marché : si en 2002, la portion individuelle était encore à 10 euros, la plupart des restaurants les vendent aujourd’hui entre 15 et 20 euros !
Quant aux traditionnels antiquaires de la Braderie, Michelle nous avoue avoir constaté leur diminution au fil des ans. Elle déplore un rétrécissement de la Braderie, allant de pair avec l’éparpillement des antiquaires. Bien qu’ils semblent nombreux ainsi regroupés le long des boulevards Louis XIV et de la Liberté, ils ne sont plus que cinq cents, moins que par le passé d’après la Lilloise.
“Que la Braderie continue !”
Si les changements pointés du doigt par Michelle ont une réalité plus ou moins évidente, ils n’ont rien d’une fatalité. La bradeuse a elle-même conclu notre échange en affirmant qu’elle “aimerait bien que la Braderie continue !”. Et pour cela, comme toute chose, la Braderie doit évoluer, s’ouvrir à de nouvelles activités, de nouveaux objets d’exposition…
Si on accuse la Braderie de se commercialiser, on peut rétorquer qu’elle permet aux restaurants de faire 5 à 10 % de leur chiffre d’affaires annuel, par exemple, ou à l’hôtellerie lilloise d’afficher presque complet. Si l’on regrette le recul des antiquaires, on peut se réjouir de l’apparition de la Braderie de la BD aux Palais des Beaux-Arts, qui rassemble différentes générations de passionnés. Aussi, pour les enfants qui ne trouveraient pas leur bonheur entre les meubles de grand-mère et les antiques tableaux, eux et leurs parents peuvent flâner jusqu’à la Gare Saint-Sauveur où les attendent des montagnes de cartons de jouets.
Et lorsque la nuit tombe, les rues explosent sous les basses de DJ techno, typiques des boîtes du Nord. Celles-ci résonnent également des éclats de showcases exclusifs, comme celui du rappeur français Gambi, qui s’est produit au Network, ce samedi 14 septembre 2024.
Ainsi, ce sont de nouveaux publics qui se joignent aux festivités : des familles, des jeunes… Il est nécessaire qu’ils s’identifient à ce chahut, où s’entremêlent les intérêts et la culture. Chacun peut trouver son trésor, et c’est là que réside l’essence de la Braderie de Lille : dans la réunion d’une foule aussi hétéroclite et passionnante que les objets exposés.