Reportage : La colère des enseignants dans les rues de Lille
Le 1er février à 14 heures, plus de 1200 enseignants et apparentés se sont élancés pacifiquement dans une ambiance festive vers la gare de Lille Flandres, pour revendiquer leur mécontentement envers la ministre de l’éducation nationale, Amélie Oudéa-Castéra, et sur le statut social du corps enseignant et de leur situation de plus en plus précaire.
Amélie Oudéa-Castéra avait fait très fort devant les caméras des principaux médias français en déclarant qu’ “aujourd’hui, beaucoup d’heures ne sont pas remplacées lorsqu’un enseignant est absent”, pour justifier la mise dans le privé de ses fils. Une courte enquête a suffit à Médiapart pour prouver que l’enseignante qui assurait la classe du fils de la ministre lorsqu’il se trouvait à l’école publique n’avait jamais été absente. Une entrée fracassante, qui a engrangé la machine médiatique. Son intervention sur les plateaux de télévision a été désastreuse et un préavis de grève fut déposé pour protester contre cette nomination jugée chaotique.
Une mobilisation entérinée depuis (trop) longtemps
“Il y a un ras de bol, une accumulation, à la fois sur la forme avec une ministre qui nous crache à la figure, plus tous les mensonges qu’elle a pu proférer, et puis à la fois sur les sujets de fond, comme la hausse des salaires, comme les réformes de l’uniforme ou les classes de niveau : le corps enseignant sait que ça ne marche pas” nous confie Patrick Proisy, maire de Faches-Thumesnil La France insoumise et enseignant lui aussi.
Le Syndicat national unitaire des instituteurs, professeurs des écoles et PEGC (SNUipp) avait déjà alerté sur les conditions de travail en novembre et avait prévenu d’une grève dans le cas où il ne serait pas entendu. Résultat : 25% de grévistes dans le département du Nord. Un chiffre honorable dans le contexte de précarisation du métier. Aujourd’hui, un professeur peut espérer gagner 1,2 fois le SMIC, une somme dérisoire par rapport à la charge de travail effectuée : les enseignants du premier degré public déclaraient travailler 44 heures par semaine en moyenne en 2010, selon le gouvernement.
“Il y a besoin d’un sursaut, et si je suis dans la rue c’est pour qu’il y ait une prise de conscience de la part de ce gouvernement des conditions déplorables dans lesquelles les enseignants doivent travailler” scande Pascal, enseignant. “La nouvelle ministre a bien contribué à ce que les gens se mettent en grève, entre ses propos méprisants mais surtout mensongers. En 40 ans d’enseignement, je n’ai jamais vu quelqu’un d’aussi nul et d’aussi méprisant envers les enseignants”.
Des décisions difficiles à avaler pour les enseignants
L’incompréhension se manifeste, lorsque l’on sait que 219 postes ont été supprimés dans le Nord à cause de la baisse du nombre d’élèves, alors que ces fonctionnaires auraient pu ouvrir de nouvelles classes pour désengorger les autres, déjà surchargés. “On a du budget pour financer les uniformes mais pas pour augmenter les enseignants, il faut se poser les bonnes questions et voir où on met les priorités”, nous déclare Patrick Proisy.
Quelques jours après la mobilisation, Amélie Oudéa Castéra a été destituée du ministère de l’Éducation lors de la seconde moité du remaniement ministériel, le vendredi 9 février 2024. L’ex ministre dirige toujours le ministère des Sports et des Jeux Olympiques et paralympiques. C’est Nicolle Belloubet qui a remplacé sa prédécesseure, ayant pour mission de calmer la colère du corps enseignant.