Réfugié ukrainien à Coutiches, Leonid Nosach nous livre son art
Leonid Nosach est réfugié ukrainien, mais il est surtout un artiste. Il a fui la guerre avec sa fille en avril. Passant par la Pologne, ils décident de se rendre en France, le seul pays proposant une famille d’accueil. Diplômé de l’Académie nationale des arts de Tbilissi, il nous présente ses œuvres, qui mêlent représentation de la nature et violence humaine.
Chapeau vissé sur la tête, Leonid, 75 ans, est prêt à se confier. Au bord de la départementale de Coutiches, ses tableaux s’entassent dans son studio. Sa fille Stasiia, 33 ans, apprend le français, c’est elle qui fait l’intermédiaire et traduit ce que nous raconte son père. Mais nul besoin de parler avec lui pour être bien accueilli ; il nous installe, nous tend une corbeille de fruits, du chocolat et un café, tout sourire. Ce qui contraste avec son témoignage de la guerre en Ukraine, « Des maisons et des ponts détruits, des routes défoncées. Un soir, les Russes ont pris notre ville et c’était très effrayant. » Malgré cela, père et fille gardent espoir et Leonid, à travers son art, cherche « l’harmonie spirituelle ».
Une reconnaissance altérée en France
Leonid Nosach peint depuis ses cinq ans, grâce à l’enseignement de sa mère. Une passion qui se transforme en profession après ses études aux Beaux-arts en Géorgie. Il prise Rembrandt, Matisse ou Van Gogh, prenant pour muse la nature ; « Je ne fais pas comme eux, je m’inspire », assure-t-il. Il se positionne dans le courant surréaliste et impressionniste. Il transmet ses émotions, qui sont maîtresses de ses mouvements. Prenant pour voie d’expression la peinture, il se sert aussi de la sculpture, la céramique ou encore la poésie. Depuis les années 1970, ses créations sont devenues une façon d’exister plus qu’un métier.
Et son engagement paye. En 1980, il participe à un concours organisé par son gouvernement sur le thème de l’énergie. Il décide de peindre la fresque ci-dessous, de onze mètres sur sept à Enerhodar, sa ville, dans la région de Zaporijia, aujourd’hui occupée par les Russes.
Le chant de Prométhée représente ce titan de la mythologie grecque qui apporte l’énergie nécessaire à la Terre. Après neuf mois de réalisation, l’artiste figure parmi les trois ukrainiens gagnants. Sa consécration ne s’arrête pas là. L’UNESCO, qui découvre sa fresque miniature à Moscou, lui transmet un certificat qui l’enregistre dans la Fédération internationale des artistes de l’institution.
En France, sa reconnaissance est altérée et il cherche désespérément à être exposé. La barrière de la langue l’oblige à se reposer sur sa fille Stasiia. La famille qui les accueille se montre très investie dans les démarches : « Nous sommes très reconnaissants de l’aide de Pierre et Véronique », affirment-ils plein d’affection. Ils les ont rencontrés avec l’association Lille Aide Ukraine, qui organise des convois humanitaires depuis la Pologne et qui propose des familles d’accueil. Grâce à eux, Stasiia et Leonid ont obtenu une rencontre avec la ville de Valenciennes pour un projet d’exposition dans une petite salle qui met à leur disposition une petite cuisine, une chambre et une salle de bain pour l’artiste. Cela leur coûterait 400 euros par semaines, et ils cherchent désormais un sponsor en capacité de payer au moins deux semaines.
Perpétuer l’art ukrainien menacé
Selon l’UNESCO, plus de deux cents sites patrimoniaux ont été endommagés ou détruits en Ukraine entre le début de la guerre et le 24 octobre dernier. Le peintre réfugié fait part de son inquiétude : « Bien sûr la guerre est très menaçante pour la culture ukrainienne. Les missiles frappent les musées, l’architecture précieuse des villes est détruite ». Lui est parvenu à sauver ses œuvres, mais toutes ne sont pas à ses côtés. « On a ramené d’Ukraine les peintures réalisées sur carton et non sur toile. Les plus grandes sont aussi restées là-bas », explique-t-il. Si l’art est sans aucun doute en danger, pour Leonid Nosach, il est aussi une arme : “L’art doit lutter contre la guerre”.
Très affecté, il est en revanche dans l’impossibilité de retranscrire cette souffrance à travers l’art. “La guerre n’inspire pas, elle détruit”, nous confie-t-il plein d’émotion. Si le conflit russo-ukrainien ne lui permet pas de créer, il transmet la souffrance provoquée par la violence dans de petites sculptures. Intitulées Douleur et repentance, il aimerait les exposer à Moscou afin qu’il y ait “une prise de conscience de la douleur qu’inflige la guerre”. Malgré ses peurs, son regard dans le vide observable entre deux questions, Leonid Nosach en est certain, l’Ukraine va gagner : “La vie continue, vive la France, vive l’Ukraine !”
Füntes Rennent, une œuvre philosophique
Parmi tous les tableaux que nous avons contemplés, l’un d’entre eux a retenu notre attention. Fünftes Rennent demande analyse et concentration. À droite, avec une croix gammée sur la tête, est représenté Adolf Hitler. À gauche, c’est Vladimir Poutine. Mais il ne faut pas s’arrêter là, nous explique l’auteur : « Ce tableau représente tout le mal qui existe sur Terre, tous ces guerriers, méchants politiques ». Au centre se démarque en effet le nuage nucléaire de Nagasaki. A la croisée des chemins « hitlérien » et « poutinien », l’étoile juive symbolise l’incompréhension de David qui s’interroge sur le besoin de cette violence. Sur la droite du tableau, la lumière vient du Christ selon l’auteur. De cette même lumière, il se représente lui-même, en bas, complètement désespéré.
Fünftes Rennent, qui vient de l’allemand, signifie « cinquième course ». Cette expression fait référence à la doctrine élaborée par la russe Helena Blavatsky au XIXe siècle. Dans La Doctrine Secrète en 1888, elle expose l’idée de l’existence de sept races-racines, étapes de l’évolution humaine. Plus concrètement, elle pense que le monde est, depuis des millénaires, divisé en races qui le dominent tour à tour. La cinquième, dernière à être apparue, est la race aryenne. Ainsi, « l’humanité, course après course, effectue son cycle de pèlerinage ». Si certains auteurs critiquent son travail qui a inspiré des auteurs antisémites lus par Adolf Hitler, d’autres estiment qu’il s’agit d’un contre-sens, rappelant qu’elle souhaitait développer la fraternité pour oublier ces races, étapes évolutives de l’histoire humaine.