Saint-Valentin : Qui sont les vendeurs de roses ?
La Saint-Valentin, grande fête pour les amoureux mais aussi pour les vendeurs de roses, des silhouettes que l’on croise dans nos soirées mais dont on ne sait rien. Quatorze février ou pas, ces immigrés bangladais sont dans les rues de Lille toute l’année. Le Pépère a rencontré Mustagfir, l’un de ces invisibles aux fleurs défraîchies, pendant sa tournée.
“Une rose ? ” Bouquet à la main, Mustagfir, 20 ans, enchaîne les refus sur le trottoir de la rue Royale. On est mercredi, il est 21h30, et sa tournée ne fait que commencer. Du mardi au dimanche de 20h30 à 3h, il arpente les grandes rues de Lille, de terrasses en terrasses, pour écouler son stock. Ils sont une dizaine à vendre leurs fleurs et leurs oreilles de Mickey lumineuses, et ont presque tous la même histoire.
“Je suis venu en France pour trouver du travail”
Originaire du Bangladesh, Mustagfir arrive à Lille en 2019 après être passé par les Émirats arabes unis, l’Égypte, la Libye, Malte et la Belgique. “Je suis venu en France pour gagner plus d’argent, ici, un euro c’est deux kilos de riz dans mon pays” nous dit-il dans un français hésitant. Il a laissé derrière lui sa famille qu’il n’a plus vue depuis son départ. “J’ai deux frères qui sont aussi partis en Europe pour trouver du travail et envoyer de l’argent à mes parents au pays”. La quasi-totalité des vendeurs de roses de la ville viennent du Bangladesh, sont sans-papiers et dorment sous le même toit. Selon l’OFPRA (Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides), la France a connu une forte croissance des demandes d’asile émanant de ressortissants bangladais en 2022, à l’instar de l’ensemble des États de l’Union européenne. 9 269 demandes ont été faites, contre environ 5 000 en 2021.
Maximum dix euros par soir
Vendre des roses aux amoureux transis est une activité bien solitaire. Même s’il existe une certaine solidarité dans cette communauté, les vendeurs ne travaillent pas ensemble. Chacun achète ses fleurs en gros à un contact qui se fournit en Hollande, système permettant de ne payer aucune taxe. En vendant des roses à deux euros l’unité, le chiffre d’affaire d’une soirée est de dix euros en moyenne : “c’est dur de gagner de l’argent en faisant ça, mais c’est quand même mieux qu’au Bangladesh.” Mustagfir gagne à peine de quoi subvenir à ses besoins en ayant d’autres activités à côté, mais heureusement : “pas de papiers, pas d’impôts”. Son collègue au visage balafré nous dit la même chose : “dès sept heures du matin jusqu’à tard le soir, je fais des petits boulots, mais ça dépend des mois, des fois ça peut être difficile”.
Un métier qui peut apporter bon nombre d’ennuis
C’est à la Saint-Valentin qu’ils font leurs plus grosses ventes, mais pas seulement : “il y a aussi le nouvel an, la fête de la musique, la braderie, la fête de la soupe…” Les plus gros acheteurs de Mustagfir sont dans le quartier de Wazemmes : “je passe souvent dans les bars à chicha, là-bas, on m’achète toujours des roses”. Le bangladais n’a jamais eu de problèmes avec des clients ou des patrons de bars : “les gens sont gentils à Lille. Arabes, égyptiens, bangladais… Tout le monde est pareil ici, j’aime bien cette ville.” Même si le jeune homme n’a jamais eu d’ennuis à cause de son activité, d’autres n’ont pas eu cette chance. En 2017, deux agents de la Police aux frontières (PAF) de Lille sont jugés pour avoir racketté et passé à tabac six vendeurs de roses pendant près d’un an en 2013. Les agents les embarquaient après avoir volé leur argent pour ensuite les abandonner à plusieurs dizaines de kilomètres de Lille en pleine nuit. Ils écopent respectivement de 3 ans et 18 mois de prison ferme. Depuis, la relation entre les bangladais et la police s’est apaisée.
“J’aimerais pouvoir arrêter”
Comme Mustagfir, les vendeurs de roses ne font pas ce métier par choix : “on n’a pas de papiers alors c’est dur de trouver du travail. J’aimerais bien arrêter et travailler dans un restaurant par exemple.” Quand il parle de la possibilité d’avoir des papiers, son sourire disparaît de son visage, il sait que ses chances sont bien faibles. Avec la nouvelle loi immigration, les sans-papiers bangladais vont voir leurs chances d’être régularisés diminuer drastiquement alors qu’elles étaient déjà minces. Mais Mustagfir ne se plaint jamais, il répète sans cesse : “ça va, ça va”. Avant de repartir dans la nuit froide, il nous offre son inimitable sourire et une belle rose rouge.
Article très émouvant , je vais leur acheter des roses désormais