Tatami : le conflit israëlo-iranien dans le dojo

Désormais, la crise moyen-orientale porte un nom : celui de Leila Hosseini. Pour la paix et contre les extrémismes, une Israëlienne et un Iranien réalisent main dans la main un thriller dramatique et engagé, inspiré de faits réels. Tatami relate l’histoire d’une jeune judokate iranienne, tiraillée entre ses ambitions et les menaces d’un régime autoritaire. Un long métrage à la croisée du sport, de la politique et du drame psychologique qui nous questionne : jusqu’où serions-nous prêts à aller pour défendre nos convictions ?
Leila arrive en Géorgie, du rap dans les oreilles. Son seul objectif ? Rentrer chez elle en Iran, la médaille d’or du championnat du monde de judo autour du cou. Maryam, son entraîneuse, voit en elle l’accomplissement de son rêve enlevé. Combat après combat, Leila vainc ses adversaires par ippon ou waza-ari. Seulement, au cours de la phase décisive du tournoi, Maryam reçoit un appel de la République islamique d’Iran : « Elle doit simuler une blessure, et quitter la compétition ». Leila ne doit pas affronter la judokate israëlienne. Alors que le régime menace son existence et celle de sa famille, la fougueuse judokate se trouve face au dilemme d’une vie. Libre dans l’âme et pétrie d’ambition, Leila ne se bat plus uniquement sur le tapis. Elle s’acharne, s’obstine, tandis que son entraîneuse cède progressivement aux pressions. La rage envahit Leila Hosseini : quel est le prix à payer pour sa liberté ?
Antigone sur le tatami
Antigone, c’est Leila. Créon, c’est la République islamique d’Iran. Quand le sport vire au tragique, le tatami devient l’arène où s’affrontent convictions personnelles et pressions étatiques. « Esclave de corps, d’esprit libre. » Sophocle n’a pas cru si bien dire.
Au-delà des affrontements sportifs, la vraie bataille de Tatami est celle d’une femme résistant à un système autocratique. Chaque coup, chaque prise, est un acte de rébellion. Le film n’est pas simplement narratif, il est une expérience sensorielle où la réalisation retranscrit le climat d’oppression. Dans un format carré, le choix du noir et blanc accentue la détresse criante de la protagoniste. Les plans rapprochés sur les visages et les plans suivis dans les dédales et les ralentis, s’accompagnent d’une formidable ambiance sonore. Sans musique, ou presque, le spectateur suit les personnages silencieusement, et se laisse porter par le rythme des paroles, des cris et des souffles.
Sous cette apparence minimaliste, Tatami fait le tableau du poids insupportable de l’autoritarisme sur les individus, ou du régime iranien qui dicte le destin de « ses » sportifs. Alors que Leila, interprétée par Arienne Mandi, est prête à se sacrifier pour son intégrité et celle des générations futures, Maryam son entraîneuse, incarne les générations précédentes, résignées face aux injonctions du pouvoir. Dès lors, ce film est aussi l’histoire d’un duel intergénérationnel, où s’opposent la fièvre révolutionnaire de la jeunesse iranienne, et la résignation des anciens.
Un film engagé, miroir de la résistance
Tatami brise les frontières. Les frontières du cinéma, les frontières de la politique. Né d’une collaboration inédite entre Zar Amir Ebrahimi, actrice iranienne en exil, et Guy Nattiv, réalisateur israélien, ce film montre que l’art peut unir des peuples que tout semble opposer. Les deux réalisateurs ont alors préféré clamer en chœur une apologie à la paix, plutôt que de céder à l’Histoire qui leur crie de se haïr.
Plus qu’un simple film sportif, Tatami est un plaidoyer contre les extrémismes politiques et religieux qui gangrènent notre époque. Pourtant, plutôt que d’exposer un discours ouvertement militant, les réalisateurs s’engagent par le biais de l’expérience individuelle. Inspiré de faits réels, ce drame politique se fonde en partie sur l’histoire du judoka iranien Saeid Mollaei, contraint par la République islamique d’Iran de renoncer à une compétition contre un Israélien lors des championnats du monde 2019. Dès lors, le personnage de Leila représente plus largement les hommes et les femmes en lutte contre les dictatures et les pressions sociopolitiques. Mais le film ne se limite pas à la dénonciation du régime iranien, critiquant toute forme d’extrémisme, comme l’explique Zar Amir Ebrahimi dans une interview au Monde.
Le parti pris de suivre l’histoire d’une athlète féminine iranienne fait écho à l’actuelle lutte des femmes en Iran, qui se battent pour leur liberté. La répression qu’elles subissent, notamment au regard des restrictions liées au port du voile forcé, se lie à la scène où Leila, épuisée et au bord de l’abandon, arrache son voile lors de son dernier combat. Maryam lui lance alors un véritable cri du coeur : « Bats-toi (…) tu n’as plus rien à perdre ».