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The Fabelmans, l’art pour donner sens au monde

The Fabelmans, l’art pour donner sens au monde

La famille the Fabelmans au complet. © Universal Pictures

Si son dernier film ne s’appelle pas les Spielberg mais Les Fabelmans, c’est bien de son histoire dont il est question. Pendant deux heures et trente minutes, Spielberg raconte la genèse de son œuvre dans le regard d’un enfant qui se découvre alors que sa famille s’écroule sur elle-même. 

En contournant le récit autobiographique nombrilique, Steven Spielberg ne tombe pas dans le piège de la démonstration de son propre talent. The Fabelmans assoit, en effet, les capacités de Spielberg à rendre un portrait intimiste universel par le biais du septième art. Il se livre, comme rarement dans un drame familial qui tient de la fable où la force des images est interrogée, qu’elles soient révélatrices ou manipulatrices.

L’avènement d’une vocation

La scène d’introduction présente le spectateur au tout jeune Sam Fabelman, alter ego de Spielberg, sur le point de s’émouvoir d’admiration pour ce qui sera sa première expérience (à l’instar de Spielberg, Sous le plus grand chapiteau du monde de Cecil B. DeMille) dans les salles obscures. Une “première fois” qu’il avait raison d’appréhender, puisqu’il en ressortira ensorcelé : une passion à laquelle il finira par se dévouer s’ébauche alors.

Le spectateur attendrait d’une autobiographie d’un grand cinéaste qu’une fois bien installé sur son siège, son visage éclairé par l’écran, les yeux de son protagoniste s’écarquilleraient d’émerveillement, et qu’il réclamerait une caméra en quittant le cinéma. Ce n’est pas le cas ici. Alors que Sammy observe cette séquence d’accident ferroviaire impressionnante et viscérale, les émotions se mélangent et s’entrechoquent. Sur le chemin du retour, il semble avoir perdu la parole. Tiraillé entre le choc et la révélation, il rejoue à répétition l’accident dans sa tête jusqu’à en perdre le sommeil.

Chez Spielberg, cette vocation ne naît donc pas de l’éblouissement mais de l’obsession, tandis que la caméra n’est pas un moyen d’expression mais d’extériorisation. Parce que son âme d’enfant secouée par cette séquence a besoin de traduire physiquement cet accident pour le comprendre et le contrôler, il doit  finalement l’extirper de sa psyché.

Le premier geste cinématographique de Sammy s’imprime ainsi, dans celui de Steven Spielberg, dans son processus de création de The Fabelmans. Le cinéaste à la renommée mondiale aura attendu ses 75 ans pour enfin exorciser sa propre histoire et ses traumatismes, dans un film presque testamentaire, après avoir déposé de subtils échantillons dans chacun de ses oeuvres précédentes.

(De gauche à droite) Sammy Fabelman (Gabriel LaBelle), Mitzi Fabelman (Michelle Williams), Burt Fabelman (Paul Dano), Natalie Fabelman (Keeley Karsten), Reggie Fabelman (Julia Butters) and Lisa Fabelman (Sophia Kopera). © Universal Pictures

La puissance révélatrice des images

Plus qu’un film sur la magie du cinéma, The Fabelmans se soucie de ses moyens. Spielberg illustre effectivement sa révélation quant au(x) pouvoir(s) d’une simple caméra, symbolisée par sa transition brutale de l’enfance à l’adolescence. Tel un couteau-suisse, le cinéma est à la fois échappatoire, exutoire, et catalyseur.

L’évolution de l’identité de Sammy en tant que cinéaste joue un rôle secondaire, le drame central de The Fabelmans repose en effet sur la lente et douloureuse dépravation d’une famille que tous idéalisent à première vue. Union d’un scientifique aux capacités inestimables et d’une pianiste douée et libre d’esprit, les parents de Sammy (Mitzi et Burt) adulent les qualités de chacun, lesquelles ont harmonieusement été inculquées à leur fils. Un terrain sans doute fertile pour un futur virtuose de la caméra, qui est écartelé entre ingéniosité et sensibilité artistique.

Face à l’enthousiasme naissant de leur tout jeune fils, une scission des réactions parentales se creuse dès l’ouverture. Avant d’entrer dans le cinéma, Mitzi compare les films à des rêves, alors que le pragmatisme de Burt lui détaille le fonctionnement du cinématographe. Un peu trop terre à terre aux yeux de Sammy, ce dernier qualifie sa passion de “hobby”, agaçant sa femme par la même occasion : “You dismiss what he does that is playful or imaginative, you could afford to be a little more encouraging”. (Tu dénigres tout ce qu’il fait d’amusant ou de créatif, tu pourrais l’encourager un peu).

Finalement, Burt et Mitzi sont en parfait décalage : leur divorce incarne l’éternel pugilat opposant la raison à la sensibilité artistique. L’amour qu’ils se portent n’a rien de substantiel là où leurs intérêts et leur perspective ne se rencontrent pas.

En captant les moments idylliques comme mélancoliques, les gestes, les corps et les regards, la caméra de Sammy sert de loupe pour mettre le doigt sur la vérité. © Universal Pictures

Fils aîné aux portes de l’âge adulte, Sammy constate qu’une tragédie attend l’équilibre familial au tournant quand il met le doigt sur une vérité au moyen d’une bobine de film. Plongé dans une séance de montage à contre-coeur, les rushs d’un film de vacances lui dévoilent un secret dont il aurait préféré ne pas être détenteur. Cette vérité, il ne pouvait pas la voir dans le réel, mais seulement en scrutant chaque détail des images que renferme cette pellicule.

Alors que Sammy déroule celle-ci, une partition jouée par Mitzi vient délicatement lui caresser les oreilles, comme si celle-ci savait que son secret n’en était désormais plus un. Un instant de complicité entre mère et fils qui suggère un dialogue par l’intermédiaire de l’art, que seules deux âmes sensibles peuvent décrypter. Décalé et noyé dans la naïveté, Burt voit et sait ce qu’il ne peut s’avouer à lui-même. Ce mariage familiarise Mitzi avec une démence et un chagrin qui ne cessent de s’aiguiser.  “You can’t just love something, you have to take care of it” (Il ne suffit pas d’aimer quelque chose, tu dois en prendre soin).

Everybody has their rasons”

Alors qu’il étoffe son art, Sammy est bientôt spectateur d’un drame humain qu’il apprend à utiliser. L’entracte dévastatrice travaille ainsi en contrepoint avec les compétences cinématographiques croissantes de Sammy qu’il s’imagine déjà capturer avec sa caméra. Ce n’est pas un hasard s’il réalise un film de guerre parallèlement à l’implosion du mariage de ses parents. Bien que Spielberg se soit toujours ouvertement confié quant au divorce de ses parents, The Fabelmans révèle plutôt les moyens de découverte grâce au cinéma, qu’il instrumentalise pour exister, se protéger et combattre ses souffrances.

L’exquise délicatesse de ce film est soutenue par des performances criantes de justesse et de poésie. Le tandem formé par Paul Dano et Michelle Williams épouse la complexité émotionnelle de leurs personnages, un homme dont la patience menace de déraper et une femme à fleur de peau qui perd le contrôle. En dépit de sa personnalité fade, Paul Dano réussit à faire valoir son personnage face à une Michelle Williams dont le visage ouvert communique davantage sur l’aspect émotionnel du film que n’importe quelle ligne de dialogue. Spielberg filme Williams comme sa muse, à laquelle il semble dédier une lettre d’amour chaque fois qu’elle apparaît dans le cadre. 

Objet de leçon essentiel pour Sammy, Mitzi représente l’archétype de la frustration liée aux ambitions artistiques inassouvies, ce qui fait d’elle un personnage absolument central. Quoique l’histoire gravite autour de Sammy, Mitzi en est l’âme profonde : il s’identifie à tout ce qu’elle est, de ses désirs, à sa sensibilité. C’est certain, Spielberg tient de sa mère et lui réserve un portrait qui respire l’amour et la bonté de coeur. 

What she got in her heart is what you got” (Ce qu’elle a dans le coeur, tu l’as)

Avec The Fabelmans, Spielberg dresse un hommage aussi désenchanté que tendre à des figures parentales dont il pardonne les pas de côté qui l’ont heurtés enfant. Avant d’être parents, ils ne sont jamais que des êtres humains. La même chose peut être relevée concernant Bennie, le meilleur ami de Burt : malgré son implication dans la destruction de cette famille qu’il chérit, il est dépeint comme un être adorable et généreux. Parce que le cinéaste ne sait pas faire autrement qu’adoucir le plus difficile, c’est précisément en accord avec ce que son public attend de lui.

Dans The Fabelmans, il filme un événement destructeur avec une générosité et une honnêteté rares, ce qui fait de ce film un moment de cinéma à ne surtout pas manquer.

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